Réflexions éthiques sur les condamnations pénales sans appel

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Réflexions éthiques sur les condamnations pénales sans appel

Suzette Sandoz,
30 avril 2014
Il n’appartient pas à l’Eglise de donner un mot d’ordre précis par rapport à une votation, car tout texte soumis au vote a toujours une dimension politique qui peut obéir à des motivations ponctuelles, parfois ambiguës et éventuellement opportunistes, tout en invoquant des fins apparemment légitimes
En revanche, il est incontestablement du rôle de l’Eglise de mettre en évidence les valeurs chrétiennes ou éthiques qui peuvent être concernées par l’objet du vote.

Image: stockmonkeys.com (CC by)

professeure honoraire à la Faculté de droit à l'Unil.

L’initiative dite de la Marche blanche sur laquelle nous serons appelés à voter en mai et qui demande «l’interdiction définitive», pour les pédophiles condamnés, d’exercer une activité professionnelle ou bénévole avec des mineurs ou des personnes dépendantes est de cette catégorie. Nous entendons essayer de mettre en évidence les questions éthiques qu’elle touche.

La «pédosexualité», appelée officiellement «pédophilie», est un acte affreux dont les conséquences peuvent être d’autant plus ravageuses qu’elles sont souvent cachées par la victime elle-même qui aurait pourtant tellement besoin d’en parler pour être soutenue et comprise. On ne peut donc qu’approuver le fait que la société ait reconnu maintenant la gravité de cette atteinte à la liberté et à l’identité de l’enfant ou de l’adolescent, incite à la dénoncer et la sanctionne lourdement. Mais est-ce une raison pour la traiter de manière totalement exceptionnelle, j’entends par là pour condamner à priori, sans appel, les auteurs, en les privant à vie de la possibilité d’exercer une activité professionnelle ou bénévole?

La sanction pénale, rappelons-le, poursuit une triple but: «venger» la victime, protéger la société et permettre éventuellement la réinsertion sociale du condamné. Ce troisième but implique et la punition du coupable et la reconnaissance de la possibilité d’éduquer l’être humain. C’est une des raisons pour lesquelles on exclut la peine de mort, puisqu’elle postule la condamnation sans appel du coupable.

A vrai dire, la possibilité d’éduquer un être humain existe toujours, mais le résultat doit en être vérifié si l’on veut assurer une protection réelle de la société, car la réussite n’est pas garantie, vu la complexité de la nature humaine. Dans notre code pénal, même la condamnation à la privation de liberté à vie n’exclut pas une libération conditionnelle. En outre, toute infraction du code pénal est frappée d’une peine possible maximum ou minimum laissant une marge d’appréciation au juge afin de tenir compte de la situation personnelle de l’auteur.

Cette volonté du législateur d’éviter toute condamnation a priori définitive exprime la responsabilité de la société par rapport à l’esprit de vengeance: s’il est juste de permettre à la victime d’être «vengée» par la punition du coupable, il est en revanche de la responsabilité de la société d’éviter une culture de la vengeance illimitée.

La faculté, prévue dans la loi, de constater une réhabilitation du coupable favorise la réconciliation. L’initiative de la Marche Blanche l’exclut alors que la loi votée par le Parlement le permet. Sans doute est-ce fondamentalement le rôle de l’Eglise et des chrétiens que de rappeler qu’une société qui est incapable de laisser une porte ouverte à la réhabilitation du coupable et peut-être même au pardon est une société inhumaine.