L’enseignement du créationnisme: l’instruction publique affiche son malaise
Sept écoles privées chrétiennes de Suisse romande enseignent les thèses créationnistes pendant les cours de sciences. En règle avec la loi, cet enseignement suscite un malaise parmi les responsables de l’instruction publique des cantons romands.
Photo: La Création d’Adam de Michel-Ange
«Toutes les matières enseignées sont mises en lien avec les textes bibliques, cette démarche permet à l’enfant de réaliser que Dieu s’intéresse à ce qu’il étudie», explique Eric Tendon, président de l’Association instruire.ch qui regroupe les sept écoles chrétiennes évangéliques de Suisse romande. La particularité de ces écoles est l’enseignement des thèses créationnistes comme véridique, dans leur programme.
«La théorie de l’évolution est aussi présentée mais pas comme une vérité. Pour nous, il est clair que nous avons été créés par Dieu», précise le directeur. Néanmoins les enseignants ont la liberté de présenter leur vision du créationnisme d’une façon plus ou moins stricte*. Ces écoles, réparties dans les cantons de Vaud, Genève, Fribourg et Berne (à Bienne, dans la partie francophone), regroupent environ 200 élèves. Elles assurent l’enseignement obligatoire.
«Nous suivons le programme scolaire de l’école publique. Si l’instruction publique souhaite que nous modifions nos cours, nous considérerons leur demande et essayerons d’y répondre sans trahir nos convictions chrétiennes», explique Eric Tendon. Dans les articles de lois sur l’enseignement privé, les quatre cantons s’alignent sur le fait que le niveau de l’enseignement des écoles privées doit être équivalent ou supérieur à celui des écoles publiques.
Surprise à GenèveConfrontée à ces articles de lois, l’instruction publique du canton de Genève affiche son embarras. «Le Département de l'instruction publique (DIP), de la culture et du sport vérifie que l'enseignement par les écoles privées de scolarité obligatoire correspond au plan d'études romand. Il n'intervient pas sur les matières supplémentaires enseignées», explique Martine Boissard-Gos, cheffe du Service de l’enseignement privé du DIP du canton de Genève, étonnée que des écoles genevoises enseignent ces thèses.
«Si tout l'enseignement était basé uniquement sur une thèse, quelle qu'elle soit, notre position serait différente», ajoute la cheffe de service. Selon cette responsable, des directeurs de l’école publique contrôlent les enseignements de toutes les institutions privées du canton, tous les deux ans.
Vaud troubléDans le canton de Vaud, le directeur de l’enseignement obligatoire n’a pas souhaité prendre position, dans cet article. Par contre, la conseillère d’Etat, Anne-Catherine Lyon, a répondu, par l'intermédiaire de son délégué à la communication, «que le Département de la formation, de la jeunesse et de la culture n'avait pas connaissance de ces cas et ne pouvait dès lors se prononcer. Ces éléments étant liés aux tâches de surveillance de l'enseignement privé exercées par le département, ils seront examinés».
La loi sur l’enseignement privé du canton de Vaud stipule que le DIP «peut s’assurer, au besoin par des examens, que l’instruction [dans les écoles privée] est au moins équivalente à celle dispensée par les écoles publiques. Toutefois, il [le DIP] ne se porte garant ni des méthodes ni de la qualité d’enseignement» (art.7, al. 2,3).
Fribourg ferme les yeuxEn réponse à notre demande, le service de presse du canton de Fribourg nous a écrit que le Conseiller d’Etat, Jean-Pierre Siggen, directeur de l'instruction publique, de la culture et du sport depuis novembre 2013, «était très occupé et ne pouvait nous répondre directement». Par contre, son responsable de l’information nous a signalé que des visites régulières avaient été effectuées dans l’école chrétienne située dans le canton et «qu’elles n’avaient rien révélé de problématique par rapport aux compétences exigées des élèves».
En suisse, l’instruction publique est du ressort des cantons. Dans la Constitution fédérale de la Confédération suisse, l’article 62 sur l’instruction publique spécifie uniquement que les cantons doivent fournir «un enseignement de base suffisant, ouvert à tous les enfants. Cet enseignement est obligatoire et placé sous la direction ou la surveillance des autorités publiques. Il est gratuit dans les écoles publiques».
La position européennePourtant, en 2007, le Conseil de l’Europe a publié un rapport sur Les dangers du créationnisme dans l’éducation, qu’il qualifie de «désespérément inadapté aux classes scientifiques». Cette même année, le Conseil a adopté une résolution pour encourager les Etats membres de l’Europe «à défendre et promouvoir le savoir scientifique» et «à s’opposer fermement à l’enseignement du créationnisme, en tant que discipline scientifique au même titre que la théorie de l’évolution».
*Pour tous les créationnistes, «les espèces ont été créées séparément en une seule fois et sont restées inchangées dans leurs caractères, depuis l’origine de la vie», explique l’Encyclopédie du protestantisme. Le créationnisme jeune-terre, celui qui a une interprétation la plus littérale des textes bibliques, stipule que la Terre date de 6000 ans, qu’elle a été créée en six jours et que Dieu a créé tous les être vivants tels qu’ils sont.
Cet article a été publié dans:L'édition des 25 et 26 janvier 2014 des quotidiens 24 heures et La Tribune de Genève;
L'édition du 28 janvier 2014 du quotidien Le Courrier.