Remboursement de l'interruption de grossesse: des objectifs politiques masqués
, membre de la Commission nationale d’éthique
Le coût de l’interruption de grossesse (IG) ne pèse presque rien dans la facture annuelle de la santé en Suisse. Les caisses-maladie estiment que le coût des IG représente 0,02% des dépenses de la santé qui s’élèvent à 64 milliards. De plus, il y a des IG qui doivent être faites à cause de menaces graves pour la santé de la femme et ces dernières resteraient de toute manière à charge de la LAMal.
En termes d’économie, l’initiative nous ferait profiter d’une épargne de moins de 20 centimes par mois et par personne majeure assurée. Ce qui accrédite l’hypothèse que les objectifs réels des initiants sont ailleurs.
La Commission nationale d’éthique qui a pour mandat d’étudier les enjeux éthiques qui se posent en biomédecine et de faire part de ses avis aux autorités ainsi qu’au public recommande de rejeter cette initiative.
Une initiative creusant les inégalitésL’effet d’un refus de prise en charge par la LAMal toucherait principalement les personnes fragilisées et de conditions socio-économiques précaires. On ferait de ces femmes des réprouvées. Il importe d’avoir à l’esprit que l’IG est plus fréquente dans les milieux défavorisés, parce que les jeunes filles et les femmes y sont moins informées et ont moins accès au planning familial.
Il y a donc ici un différentiel social majeur entre les risques de difficultés et de malheurs et, à l’inverse, les chances de disposer aisément des moyens de se sortir d’un mauvais pas. Et il est attristant de constater que, parfois, des gens affirmant des convictions chrétiennes soutiennent une démarche imperméable à la réalité et qui creuserait un peu plus les inégalités.
L’espace ne permet pas de discuter de ce qu’il peut y avoir de souhaitable d’un modèle moral «vertueux» gérant les corps aussi bien que les consciences et s’imposant à tous. Envies de théocratie? Si les initiants ne demandent pas l’abolition du régime du délai, leurs positions à ce sujet sont de notoriété publique.
L’éducation sexuelle réduit le nombre d’IGC’est la même partie du public qui a lancé une initiative, en voie d’aboutir, s’opposant aux programmes d’éducation sexuelle à l’école qu’ils défigurent comme «sexualisation». Alors que les bénéfices de cette éducation, d’ailleurs optionnelle, en termes de prévention des MST, de grossesses prématurées et de troubles psycho-sociaux sont démontrés.
Si au cours des dernières décennies le nombre d’IG en Suisse a diminué d’un tiers, ceci est dû aux bons services d’éducation sexuelle et de planning familial mis en place dans la plupart des cantons. D’ailleurs, notre taux fait partie des plus bas d’Europe.
Un pas de plus vers l’individualismeDe plus, dans une optique de santé publique, l’acceptation de l’initiative, sous prétexte que l’IG ressortirait au «libre choix» de la personne, pourrait susciter des actions similaires qui toucheront d’autres groupes: les fumeurs, les consommateurs d’alcool, les personnes qui pratiquent des sports extrêmes, voire des personnes sans activité physique. Il y aurait là une «pente glissante» qui renverserait le principe de solidarité sur lequel est fondée la LAMal, un principe auquel les Suisses sont attachés.
Une remarque encore concernant le statut de la femme: certains des initiants (du domaine politique) ne sont pas à une contradiction près. Ils disent parfois vouloir la libération de la femme avec, par exemple, des démarches pour l’interdiction de la burka ou même du voile dans l’espace public. Dans le même temps ils refusent la prise en charge de l’IG par l’assurance-maladie sociale… Drôle de contribution à l’autonomie de la femme.
Consciemment ou pas, on choisit de ne pas donner attention à quelques éléments: aucune femme ne subit une IG par plaisir. Personne n’aime l’IG, qui est toujours un échec regrettable mais qui, selon les circonstances et conditions de vie des personnes, peut être compréhensible. Une carrière de santé publique, au contact des soucis de santé d’une collectivité, m’a démontré comme à beaucoup d’autres que le régime du délai que nous connaissons maintenant est de loin la moins mauvaise solution légale.