Les chrétiens de Kabylie sont de plus en plus nombreux à fêter Noël
Vue de Tizi Ouzou (photo: Magharebia)
, ProtestInter
Aux alentours du lycée technique de la nouvelle ville de Tizi Ouzou, à une petite encablure de la salle omnisport «Saïd Tazrout», du nom d’un journaliste assassiné par les islamistes en 1995, on entend des chants et de la musique s’échappant d’une villa. La bâtisse de trois étages est le siège de l’église protestante de Tizi Ouzou et, en cet après-midi du mercredi 25 décembre, les fidèles y célèbrent la naissance du Christ.
Devant le portail, des vigiles portant des chasubles de couleurs rose et vert-pistache, veillent. A l’intérieur, ça bourdonne comme dans une ruche.
En ce jour béni pour les chrétiens, les fidèles ont investi massivement leur lieu de culte. Tous âges sont représentés: des vieilles, des vieux, des femmes, des hommes, des jeunes et beaucoup d’enfants. Tous ont tenu à fêter Noël, dans une belle convivialité. Comme pour donner un surcroit de solennité et de faste à cette célébration, certaines femmes ont mis leur belle robe kabyle. En se croisant, les fidèles se saluent, se congratulent et s’échangent de chaleureux «joyeux Noël». Interrogé sur la présence d’un si grand nombre de fidèles, un vigile lance: «En septembre dernier, nous avons organisé un séminaire qui a drainé plus de 1000 participants!»
Dans la salle du rez-de-chaussée, on distribue gratuitement des gâteaux, des boissons gazeuses et des calendriers, au grand bonheur des enfants qui affichent de radieuses frimousses.
Dans la salle du premier étage se tient une exposition: de grandes pancartes présentent l’Eglise des premiers chrétiens. Et des jeunes gens vendent des Nouveaux Testaments, des bibles et des CD.
Au deuxième étage, dans la salle des prières, le pasteur Tarik débite en kabyle le message de l’Evangile. Son prêche est, par intermittence, coupé par des youyous de femmes et les «Amen» des fidèles.
Vendredi 27 décembre, la célébration de Noël devait se poursuivre par une fête au profit des enfants.
Petite ombre au tableau: la messe de minuit n’a pas été tenue. La raison? Le pasteur Salah invoque «la tradition évangélique de l’église autochtone», mais surtout «les conditions sécuritaires qui règnent dans la région». Pourtant, même au plus fort du terrorisme islamiste qui sévissait en Algérie au milieu des années 1990, les fidèles de l’église protestante, créée en 1996, n’ont jamais été ciblés. Pourtant la ville de Tizi Ouzou avait été endeuillée par l’assassinat de quatre moines. Un miracle? Assurément. Autre prouesse à mettre sur le compte des évangélistes: leurs rangs grossissent au fil des ans. On parle aujourd’hui de plus d’une dizaine de milliers de fidèles en Algérie. Quid de la véracité de ce chiffre? Le responsable de cette église, le pasteur Salah, refuse, lui, d’avancer la moindre estimation au motif que beaucoup de chrétiens de la région n’affichent pas leur foi. «Chaque samedi et mardi, nous recevons ici pas moins de 800 fidèles», se contente-t-il de dire. Autre précision du pasteur Salah: Tizi Ouzou compte à elle seule 20 communautés sur les 39 éparpillées sur la douzaine de wilayas (cantons, NDLR) du pays. «La famille s’agrandit», se réjouit-il. Qu’est-ce qui pousse les Kabyles à embrasser la foi chrétienne? «Il y a une soif de spiritualité et de vérité. Le désir d’être comblé intérieurement y est aussi pour quelque chose», explique encore le pasteur. Biologiste de formation, il était lui-même «athée et de culture musulmane» avant de se convertir en 1988.
La rançon de la conversionEn plus des restrictions imposées, dans les années passées, par l’administration aux chrétiens dans l’exercice de leur religion, beaucoup d’entre eux ont subi des représailles. «Certains ont été licenciés alors que d’autres ont carrément perdu leur foyer», témoigne le père Salah qui déplore aussi des «intimidations individuelles et isolées» tout en récusant d’existence d’une quelconque «hostilité communautaire». Toutefois, il refuse de qualifier la fidélité à leur foi de ses coreligionnaires d’«acte de bravoure» estimant que «celui qui croit au Seigneur sait qu’il y a un prix à payer». Pourtant, nombre de convertis ont vécu de véritables drames familiaux contraints parfois à faire des choix forts douloureux. Abdelkader, un entrepreneur dans le bâtiment, a dû couper avec sa propre mère à cause de sa conversion au christianisme, il y a 10 ans de cela. «Mes frères se sont montrés compréhensifs, mais avec ma mère on ne se parle plus», affirme-t-il. Des regrets? «Non. Je suis prêt à perdre ma vie», assène-t-il. Il raconte, avec un brin de fierté, son combat long de 14 mois avec l’administration locale pour donner à sa fille le prénom de Natanaël. Un exploit dans un pays où l’inscription de prénoms berbères est fort problématique.
Entretien avec le pasteur Mustapha Krim, président de l’Eglise protestante d’Algérie.
Que représente la fête de Noël pour les chrétiens d’Algérie, les nouveaux convertis en particulier?
Une occasion de fêter un événement relatif à sa nouvelle identité chrétienne! Pour les nouveaux chrétiens, c’est l’occasion de s’imprégner des vérités fondamentales et de comprendre que Noël est un événement qui s’est chargé au fil du temps de bien des traditions qui n’ont plus rien à voir avec ce qu’il est censé commémorer: la naissance du Messie.
Depuis l’affaire du jeune Oranais Karim Siaghi, condamné fin 2011 à une peine de 5 ans de prison ferme et à une forte amende pour «injures» au prophète Mahomet, pas un seul chrétien n’a été déféré devant la justice. N’y voyez-vous pas un signe d’apaisement? Est-ce la fin des restrictions imposées par l’administration à l’exercice de votre culte et des campagnes antichrétiens?
Je dirai que l’apparent apaisement ne garantit en rien l’avenir, nous n’avons pas vu d’amélioration sur le plan légal! Nous restons fragilisés tant que ces lois sont en vigueur. Je dirais que rien n’est acquis!
Comment trouvez-vous les rapports entre les chrétiens d’Algérie et leurs compatriotes musulmans?
Suivant les régions. Je pense que dans certaines les choses évoluent positivement par contre dans d’autres, il y a même une dégradation.
Est-il aisé pour un chrétien de vivre et surtout d’assumer sa foi dans un pays musulman comme l’Algérie, qui plus est aux prises avec le terrorisme islamité?
Je dirais que le combat continue et qu’il nous faut toujours arracher nos droits sans nous bercer d’illusions.