My home is in heaven? or on earth?

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My home is in heaven? or on earth?

Otto Schäfer,
2 mai 2013
Depuis quelques années, on accorde davantage d’importance à la religion et à la spiritualité dans le domaine de la coopération au développement. Cet intérêt accru ne diminue en rien le poids des aspects économiques, sociaux et politiques; mais avec l’encadrement religieux et spirituel des objectifs et des projets de développement, la démarche ne se limite plus à eux seuls. Otto Schäfer* participe ce soir jeudi à Lausanne à une conférence-débat sur invitation des Verts vaudois.

FEPS

Cette prise de conscience signifie par exemple que les projets à vocation écologique et de lutte contre le réchauffement climatique entrepris dans le Sud doivent aussi être considérés sous l’angle de leur dimension religieuse et spirituelle, le respect de cette dimension constituant une condition de réussite déterminante.

Il faut donc se poser les questions suivantes: comment les retombées du changement climatique aux plans local et régional sont-elles perçues par les partenaires locaux d’un point de vue religieux? Quels sont les facteurs spirituels qui renforcent ou qui freinent l’engagement continu et fiable de tous les partenaires du projet? L’identité théologique des oeuvres d’entraide des Églises et des missions, ainsi que leur motivation spécifique et leur légitimation intérieure et extérieure constituent d’autres facteurs clés pour l’aboutissement de ces projets.

Il importe donc que les Églises confèrent un ancrage théologique à des notions de base telles que la justice climatique, tout comme aux projets de lutte contre le réchauffement climatique qui vont dans ce sens. Il importe également que la société pluraliste intègre la réflexion chrétienne et théologique sur le développement.

Il s’agit d’un critère de succès qui dépend évidemment du contexte, mais qui est souvent déterminant. Dans les contextes où la foi chrétienne constitue visiblement une force créative, l’autoréflexion de cette foi est indispensable; la modestie, voire l’abnégation serait déplacée dans un tel contexte.

Des questions théologiques fondamentales

Des questions théologiques passionnantes soustendent la notion de justice climatique et les projets climatiques. Comment peut-on exprimer les louanges et la gratitude pour le don de la Création sans qu’elles ne se doublent d’aveuglement pour les causes de l’usage destructeur que nous faisons de la Création? La théologienne allemande Dorothee Sölle n’a eu de cesse d’attirer l’attention sur cette contradiction.

Comment définir la relation entre l’expérience animiste de la présence divine dans la nature et la foi chrétienne dans l’esprit divin qui se manifeste dans la Création? À titre d’exemples, citons les débats lancés par la théologienne coréenne Chung Hyun Kyung. Puis, plus fondamentalement, quelle est la nature du lien entre l’ici et l’au-delà?

«My home is in heaven»

La lauréate kényane du prix Nobel de la paix Wangari Maathai (1940 – 2011) a explicitement mentionné l’ancrage spirituel de sa lutte exemplaire pour le maintien et la reconstitution des forêts (Green Belt Movement). La spiritualité qu’elle préconise transcende les frontières entre les différentes traditions religieuses et joue un rôle de médiatrice entre ces traditions. Wangari Maathai n’a jamais renié son éducation chrétienne et elle n’a jamais cessé d’analyser son rapport à cette religion.

Elle estime que la spiritualité chrétienne telle qu’elle l’a elle-même vécue a une tendance fâcheuse à dénigrer l’existence terrestre par rapport à l’existence céleste, dans l’au-delà. Cette tendance provoque une attitude résignée par rapport à la destruction des bases terrestres de la vie, comme si ce processus ne concernait pas vraiment les croyants.

«My home is in heaven, I am just travelling through this world»: Wangari Maathai cite ce cantique très répandu, en Afrique surtout, pour remettre en question une piété chrétienne qui voit dans la plantation d’arbres un acte libérateur trop unilatéral et qui ne parvient pas à reconnaître de motivation chrétienne dans le Green Belt Movement.

En fin de compte, c’est à notre interprétation de la résurrection, de la rédemption et de la sanctification que nous nous voyons confrontés ici, à une interprétation où la communication des notions de l’ici et de l’au-delà n’est pas claire. Les chrétiennes et les chrétiens du Nord sont majoritairement – et peut-être aussi unilatéralement – marqués par le fait que la communauté avec le Ressuscité et l’attente du royaume de Dieu déterminent, confirment et modifient aussi notre vie dans le présent et l’ici.

Les chrétiennes et les chrétiens du Sud, par contre, se voient souvent comme des pèlerins en chemin vers la patrie céleste, alliant cette attente à l’amour du prochain vécu concrètement, mais sans le souci de conserver une création qui est par définition éphémère. On sent bien ici l’influence des mouvements du Réveil du XIXe siècle sur les théologies missionnaires; par ailleurs, la nature des consolations n’est pas la même dans des conditions de vie aussi radicalement différentes.

Un chantier essentiel de la théologie du développement s’ouvre ici: quelles sont les matériaux utiles? Par exemple la conviction que le Sauveur est également le Créateur, et inversement. C’est aussi le cas du champ de tension fructueux, déjà contenu dans les traditions bibliques, entre la nouvelle Création promise et la conservation de la Création actuelle, ou encore des sacrements du baptême et de la cène, autant de signes qui manifestent efficacement la présence du royaume de Dieu dans les éléments matériels tels que l’eau et dans les éléments transformés tels que le pain et le vin.

L’ «homme nouveau» agit dans l’ancien, le Christ est présent dans Adam; le Christ ressuscité vit déjà, sous une forme occultée, dans la vie actuelle et présente; le royaume de Dieu agit aujourd’hui comme le levain de la Terre.

«In heaven and on earth»

Par analogie, la Création terrestre est une parabole de la Création céleste et sa dignité découle de son aptitude à servir de parabole pour ce qui vient et pour ce qui est céleste. Une Église qui baptise de petits enfants et de jeunes adultes et qui ne s’intéresse pas à la manière dont la nouvelle vie qui leur a été ainsi donnée a un effet conservateur et salutaire dans la vie actuelle, dans la présente vie terrestre, fait preuve de cynisme.

Une Église qui célèbre la cène et qui ne s’intéresse pas à la manière dont les dons de la Terre peuvent être conservés et multipliés par le partage, fait elle aussi preuve de cynisme. Le lien avec le monde dans l’ici et le présent existe et il est nécessaire; les Évangiles ne mentionnent pas seulement l’institution de la sainte cène, mais aussi la multiplication des pains; ils mentionnent non seulement le pain et le vin, mais aussi, dans cette société de pêcheurs, la qualité rassasiante du pain et du poisson; ils ne mentionnent pas seulement le repas, mais aussi le lavement des pieds, pour mettre en évidence la manifestation de fraternité vécue (Jean 13).

Ce Dieu, qui pense non seulement à l’âme des humains, mais aussi à leurs pieds, comment ne pas l’imaginer aussi en défenseur de la Création terrestre, afin que nous ne soyons pas délivrés d’elle, mais en elle et avec elle ?

*Otto Schäfer participe à une conférence-débat jeudi 2 mai, organisée par le groupe thématique des Verts vaudois "Politique et spiritualité" sur le thème "Christianisme et écologie". Locaux des Verts vaudois, Place de la Palud 7, 20h, gratuit.

Quelques questions qui seront abordées:

  • La crise écologique est-elle la conséquence de l'interprétation de Genèse 1/28 (Dominez la terre et soumettez-la)?
  • Y a-t-il d’autres modèles de la relation humain - création dans la tradition biblique ?
  • Comment la théologie chrétienne contemporaine conçoit-elle le rôle de l'humain au sein de la
  • création?
  • Quels sont les rapports du christianisme avec d'autres traditions spirituelles, notamment celles
    favorables à la diversité ou à l’unité du vivant et du cosmos? Y a-t-il des points de rencontre ?
  • Quel(s) modèles de gouvernance le christianisme peut-il suggérer pour une société écologique de nos jours ?
Bio express

Otto Schäfer est Allemand, pasteur de l'Eglise Protestante Unie de France et chargé de
théologie et d'éthique à la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS). Une double formation en théologie protestante et en biologie (doctorat en écologie végétale) explique son investissement dans la réflexion sur l'écologie.

Auteur du livre "Et demain la Terre... Christianisme et écologie" (1990) et de l'article "Ecologie"dans l'Encyclopédie du Christianisme (2e édition 2006), il est l'un des rares spécialistes protestants francophones de la relation entre écologie et foi chrétienne. Il a écrit aussi "Ethique de l'énergie" (FEPS 2008) et d’une étude sur l'éthique du système financier prônant le Green New Deal ("Règles honnêtes", FEPS 2010), et s'intéresse par ailleurs à l'histoire de la botanique et des jardins, notamment dans son interdépendance avec la théologie.

  • Extrait de la présentation annonçant la soirée des Verts vaudois.