Kierkegaard: une rencontre marquante

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Kierkegaard: une rencontre marquante

1 mai 2013
Automne 1966. Depuis quelques mois, je découvre la vie de gymnasien à Bienne. J’ai bien appris la leçon des anciens de la communauté mennonite du Jura dont je suis issu: il pourrait être dangereux d’appliquer son intelligence à la foi, et il vaut donc mieux l’appliquer à d’autres domaines.

*Par Pierre Bühler, professeur de théologie systématique à l'Université de Zurich

Choisissant une maturité de type scientifique, je me plonge dans les mathématiques, la géométrie, la physique, la chimie. Tout irait bien, s’il n’y avait ce professeur de français et de philosophie qui entreprend de nous apprendre à penser et à argumenter sans hésiter à aborder des thèmes de religion, par le biais de Socrate, de Rabelais ou de Pascal.

C’est dans ce cadre que se produisent deux événements fortuits – mais le fortuit est-il toujours aussi fortuit qu’on le croit? Un camarade de classe me montre un exemplaire de la thèse de doctorat de notre professeur de français et de philosophie, trouvé dans la bibliothèque de son frère: «Le christianisme et l’histoire d’après Kierkegaard».

Je lui demande s’il me prête le livre – et je ne le lui ai jamais rendu… Peu de jours après, je farfouille dans les rayons d’un antiquaire et je tombe sur un livre que je m’acquiers tout de suite pour quelques francs et dont il faut encore couper les pages: «L’école du christianisme» de Kierkegaard.

Confrontation avec Kierkegaard

C’est ainsi qu’a commencé ma confrontation à Kierkegaard, qui s’est prolongée au fil des ans jusqu’à aujourd’hui. Quelque trois ans après mes premières découvertes, elle me conduira à entreprendre des études de théologie, malgré les avertissements des anciens mennonites…

Nous fêtons cette année le 200e anniversaire du penseur et écrivain danois Søren Kierkegaard. Né à Copenhague le 5 mai 1813, il meurt 42 ans plus tard, le 11 novembre 1855. De cette brève existence, tourmentée, il résulte une œuvre impressionnante, non seulement par son étendue, mais aussi par sa constitution originale.

Œuvres philosophiques et théologiques, très souvent publiées sous des noms pseudonymes; discours édifiants, une sorte de prédications écrites, méditant des textes bibliques; articles; papiers inédits, sous la forme de notes de journal intime. La nouvelle édition complète, éditée ces dernières années à Copenhague en vue du jubilé, comporte trente gros volumes! Comme Kierkegaard a tout écrit en danois, il faudra attendre les premières traductions, en allemand notamment, pour qu’il commence à devenir célèbre, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle.

Le motif central de l'œuvre de Kierkegaard est l’existence de l’être humain. Il ne sert à rien d’élaborer de grands systèmes de pensée s’ils ne se répercutent pas dans la vie. Ils sont alors d’immenses bâtisses dans lesquelles personne n’habite.

Le motif central de son œuvre est l’existence de l’être humain. Il ne sert à rien d’élaborer de grands systèmes de pensée s’ils ne se répercutent pas dans la vie. Ils sont alors d’immenses bâtisses dans lesquelles personne n’habite.

Or, l’essentiel, c’est la tâche de vivre sa vie en vérité, ce qui passe par l’effort de se connaître et de s’assumer soi-même. C’est pourquoi Kierkegaard s’associe volontiers le philosophe grec Socrate, se considérant parfois même comme le Socrate de Copenhague!

Il en va de même pour la foi, que Kierkegaard revendique contre ce qu’en a fait l’Eglise danoise. En régime de chrétienté, il est devenu aussi facile de croire que d’enfiler chaque matin ses chaussettes.

Kierkegaard s’attache à rappeler sans cesse, non sans humour dans sa polémique, le sérieux de l’effort qui consiste à devenir chrétien, dans le tissu de la vie quotidienne.

C’est cette passion de l’existence qui n’a cessé de m’interpeller chez Kierkegaard!

*Vous recevrez encore deux chroniques de Pierre Bühler sur Kierkegaard, à raison d'une tous les quinze jours. Merci de votre attention.