La mort d’Emilio Castro: l’œcuménisme est en deuil

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La mort d’Emilio Castro: l’œcuménisme est en deuil

Laurence Villoz
12 avril 2013
Secrétaire général du Conseil Œcuménique des Eglises (COE), Emilio Castro a marqué l’œcuménisme par ses idées pacifistes et empreintes de la théologie de la libération*. Pasteur et théologien méthodiste uruguayen, il est décédé à Montevideo à l’âge de 85 ans, samedi 6 avril 2013.

(photo: Le pasteur Emilio Castro en 1985. © COE/Peter Williams)

«Emilio Castro a été un pionnier dans tout ce qu’il a entrepris», se rappelle son ami et ancien collègue, le pasteur Carlos Sintado. Directeur de la Commission de mission et d’évangélisation du COE, à Genève, dès 1973, ce pasteur méthodiste uruguayen s’est engagé activement dans la lutte pour la justice sociale. Il a permis aux Eglises orthodoxes d’Europe de l’Est ainsi qu’aux pentecôtistes et aux évangéliques, principalement d’Amérique du Sud, de rejoindre le COE. De 1985 à 1992, il a poursuivi son engagement chrétien, pacifiste et tiers-mondiste comme secrétaire général, le poste le plus élevé, du COE.

Né en 1927 en Uruguay, le jeune homme étudie la théologie à Buenos Aires, en Argentine. Attiré par la pensée du théologien suisse Karl Barth, il poursuit ses études à l’Université de Bâle où il est le premier étudiant latino-américain. Après ses études, il part travailler en Bolivie comme pasteur pour l’église méthodiste. Confronté à la pauvreté extrême des habitants, il subit un véritable choc culturel.

«La pauvreté qu’il découvre en Bolivie orientera tout ce qu’il entreprendra par la suite», explique Carlos Sintato, co-auteur du l’ouvrage Pasion y compromiso con el Reino de Dios**. De retour à Montevideo, il poursuit son activité de pasteur. Parallèlement, il anime une émission télévisée journalière, intitulée «Connaître ses droits». Mais rapidement, il sera congédié. Le programme est trop radical pour le gouvernement qui «trouve dangereux de faire connaître ses droits au peuple», raconte cet ancien secrétaire de la jeunesse et directeur des ressources humaines du COE.

Un révolutionnaire apatride

En 1973, il revient en suisse au COE à Genève. Cet homme qui s’exprime en six langues, lors des conférences de presse, prône l’ouverture et la diversité au sein du mouvement œcuménique. Le considérant comme «un révolutionnaire de gauche», le gouvernement uruguayen lui retire son passeport. C’est grâce à une carte d’apatride, délivrée par la Suisse, qu’il peut continuer à voyager pour son travail. Parallèlement à ses activités au COE, il effectue un doctorat en théologie à l’Université de Lausanne.

En 2006, il reçoit la médaille de l’Ordre Bernardo O’Higgins, la plus haute distinction décernée par le Chili à des étrangers, pour sa défense des droits de l’homme durant la dictature d’Auguste Pinochet. «Il a sauvé la vie de centaines de personnes», explique Carlos Sintado. Après le coup d’état de Pinochet, en 1973, un grand nombre de Chiliens ont fui leur pays. «Emilio Castro avec la COE a concrètement aidé ces personnes à fuir leur pays et à aller s’installer en Argentine et en Europe», raconte le théologien de 68 ans.

500 millions de chrétiens

Créé en 1948 à Amsterdam par des représentants de 147 Eglises, le COE se décrit comme «une organisation chrétienne vouée à la quête de l’unité des chrétiens». Protestantes, anglicanes, baptistes, luthériennes, méthodistes, unies et d’autres encore, quelque 345 Eglises font partie du COE, actuellement. Venant de plus de 110 pays de tous les continents, ces Eglises représentent environ 500 millions de chrétiens.

Par contre, l’église catholique romaine, qui regroupe le plus de chrétiens dans le monde, ne fait pas partie du COE. Elle n’a jamais demandé son admission au Conseil, notamment à cause de la conception qu’elle a d’elle-même. «Pour l’Eglise catholique, elle est la seule «vraie» Eglise», précise Carlos Sintado. Mais, elle est membre de la Commission de foi et constitution du COE et collabore à de nombreux projets.

Le travail réalisé par le COE a engendré un réseau œcuménique mondial qui permet de partager des ressources théologiques, liturgiques et humaines, entre autres. Actif pour la justice et la paix, notamment au Soudan, en Corée et en Amérique latine, le Conseil a mis en place un programme de lutte contre le racisme en Afrique du Sud, pendant l’apartheid. Le dialogue interreligieux et les relations avec d’autres religions font également partie des principales préoccupations du COE.

*Venue d’Amérique latine dans les années 70, cette pensée théologique chrétienne, suivie d’un mouvement socio-politique, vise à rendre leur dignité aux personnes exclues ou dans la misère en améliorant leurs conditions de vie.

** Carlos Sintado et Manuel Quintero Perez, Pasion y compromiso con el Reino de Dios: el testimonio ecumenico de Emilio Castro (Passion et engagement envers le royaume de Dieu: le témoignage œcuménique d’Emilio Castro), World Council of Churches, 2009.