«Il est temps de parler d’une voix commune»

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«Il est temps de parler d’une voix commune»

Nina Streeck
2 avril 2013
Le pape est aussi important pour les protestants, estime Gottfried Locher, président de la Fédération des Églises protestantes de Suisse (FEPS). C
ar son action dépasse les limites de l’Église catholique.

, NZZ am Sonntag

Pour vous et pour l’Église réformée, est-il finalement important de savoir qui est le nouveau pape?

Gottfried Locher: Oui, car son rayonnement porte sur l’ensemble du christianisme. Sa crédibilité en tant qu’être humain nous concerne tous.

Comment le nouveau pape pourra-t-il être crédible?

Le pape doit être convaincu de la puissance de la prière. Car son autorité ne vient pas de sa position hiérarchique, elle a son origine dans la prière. De la prière naissent la sécurité, la confiance et une foi qui donne l’autorité. Deuxièmement, il doit être un bon théologien…

… comme l’était Benoît XVI.

Incontestablement. Le ministère pontifical a un impact de communication exceptionnel, et par conséquent aussi une responsabilité théologique exceptionnelle. Comme tout bon théologien, le pape doit en outre savoir s’exprimer de manière compréhensible pour tous. Et il doit aussi puiser dans le trésor de la foi de toutes les Églises chrétiennes.

Vous décrivez ainsi deux tâches qui, dans la tradition catholique, sont reconnues comme des mandats fondamentaux de l’Église: la «liturgia» – le service divin et la prière, et la «martyria» – le témoignage. Le troisième mandat est la «diakonia» – le service à l’humanité.

C’est pourquoi je souhaite en troisième lieu que le nouveau pape aime l’humanité. Qu’il s’engage pour les pauvres, les prisonniers, les affamés, les désespérés, pour tous les hommes et toutes les femmes. Un pape doit aimer les êtres humains.

Et l’œcuménisme, le dialogue entre les confessions chrétiennes, vous ne les mentionnez pas? À cet égard, Benoît XVI a déçu beaucoup de protestants.

Benoît XVI était plus œcuménique qu’on ne le pense. Simplement, il a nommé avec plus de clarté que son prédécesseur les points qui constituent des obstacles œcuméniques aux yeux de son Église. Je préfère de beaucoup cela à l’attitude qui consiste à faire comme si les problèmes étaient résolus, en les ignorant.

Mais il est temps maintenant de passer à quelque chose de nouveau. Notre pays est en voie de déchristianisation. Nous ne pouvons plus nous permettre des discussions œcuméniques détachées des réalités. Elles ne rendent pas l’Église plus crédible.

Passer à quelque chose de nouveau: que voulez-vous dire par là?

Il est temps de parler d’une voix chrétienne commune. Sur les questions qui préoccupent notre pays, j’attends, en tant que citoyen, un message chrétien commun. Et il est temps de célébrer des services divins communs. Il y a aujourd’hui suffisamment de possibilités de prier ensemble sans créer de problèmes de droit ecclésiastique. Si nous insistons avant tout sur la fracture entre les confessions chrétiennes, cela ne nous aide pas beaucoup.

D’une part, vous plaidez pour qu’on nomme les divergences théologiques et, de l’autre, vous estimez qu’une intervention commune s’impose. Comment conciliez-vous cela?

C’est une tension avec laquelle nous devons vivre. L’œcuménisme sans fondement théologique est source de déception. Et la théologie sans œcuménisme vécu n’offre pas d’intérêt. Les deux doivent aller de pair. Nous ne pouvons pas attendre que le christianisme se soit volatilisé.

Récemment, vous avez suscité l’irritation en parlant d’une «crise de l’œcuménisme» entre catholiques et protestants, et en plaidant pour plus d’œcuménisme intra-protestant.

Il ne s’agit pas de choisir entre l’un et l’autre, la stagnation de l’œcuménisme est un fait. Il est de mon devoir, en tant que président de la Fédération des Églises, d’encourager l’unité intra-protestante. Précisément pour demeurer capables d’action œcuménique, nous avons besoin de plus d’unité protestante. Les Églises réformées doivent faire leurs «devoirs à domicile» pour demeurer aptes au dialogue. Nous attendons la même chose des autres Églises.

Il manque un profil clair à votre Église – alors que l’Église catholique en a un. L’enviez-vous?

Un profil peut être particulièrement clair: s’il ne touche pas les personnes, toute sa clarté ne lui sert à rien. Un profil doit être crédible. De toute manière, la figure centrale n’est pas l’Église, mais Jésus Christ. C’est cela que nous devons considérer quand nous organisons l’Église. Notre profil a un visage, le visage du Fils de Dieu. Tel est le profil protestant. Je le trouve clair et crédible. Mais il devrait se faire plus visible.

Chez les catholiques, l’unité est réalisée beaucoup plus nettement que dans votre Église.

Et les problèmes se posent précisément en sens inverse. Si j’étais un dignitaire catholique romain, j’insisterais sur la diversité. Le nouveau pape devra laisser plus de marge de manœuvre aux Églises locales et renforcer la liberté des évêques. Ainsi, nous sommes confrontés à des défis opposés, les uns centralisateurs, les autres centrifuges.

Quand, en tant que président de la FEPS, vous vous efforcez de promouvoir l’unité, vous avez une tâche analogue à celle du pape dans son Église au niveau mondial. Éprouvez-vous de la sympathie pour le ministère pontifical?

Réaliser l’unité concerne tout le monde. Ce ne sont pas les ministères qui créent l’unité, mais les personnes. L’Église vit de celles et ceux qui élèvent leur voix chrétienne là où c’est nécessaire. Mais qui détermine ce qu’est la voix chrétienne? Il m’incombe de représenter la voix des protestants, mais ce que je dis a inévitablement une nuance personnelle.

On ne peut pas séparer la fonction de la personne. L’être chrétien dépasse mon propre horizon. Cela vaut aussi pour celui qui exerce le ministère pontifical. Tout le monde a le droit de penser librement et, parfois, de faire des erreurs. Le pape aussi.

Souhaitez-vous un ministère pétrinien aussi pour votre propre Église?

Pierre était un disciple très humain. Sa manière de suivre le Christ l’a rendu crédible, précisément parce que les choses n’ont pas toujours été faciles pour lui. Pierre m’est sympathique. L’Église a besoin d’hommes et de femmes comme lui, dans la paroisse, dans l’Église locale, dans le monde.

Il est important d’avoir une personne qui parle pour toute la chrétienté et qui lui donne une voix. Si c’est cela qu’on entend par ministère pétrinien, alors oui, toutes les Églises ont besoin de ce service.

Lors de déclarations papales jugées fâcheuses, il y a aussi des protestants qui sortent de l’Église. Pourquoi?

Les divisions confessionnelles sont devenues moins sensibles. Aujourd’hui, le vis-à-vis confessionnel n’est plus catholique ou protestant, mais musulman. C’est précisément pour cela que l’unité des chrétiens devient plus importante. (FNA)

Gottfried Locher

Gottfried Locher, 46 ans, est depuis 2011 président de la Fédération des Églises protestantes de Suisse, qui réunit les Églises protestantes cantonales et l’Église évangélique méthodiste de Suisse. Précédemment, il était directeur de l’Institut d’études œcuméniques de l’Université de Fribourg.