Lincoln : le dernier film de Spielberg et la lutte contre l’esclavage

légende / crédit photo
i
[pas de légende]

Lincoln : le dernier film de Spielberg et la lutte contre l’esclavage

Muriel Schmid
13 mars 2013
Avec le grand succès médiatique du dernier film de Steven Spielberg, Lincoln, l’Amérique revisite discrètement un épisode douloureux de son passé, l’histoire de l’esclavage et des luttes politiques qui ont mené à son abolition. Ce n’est sans doute pas un hasard, pourtant, si le film de Spielberg est dédié à Lincoln, la figure héroïque du combat contre l’esclavage, le premier à en avoir attaqué la pratique.


Alors que la Guerre Civile fait rage, le 1er janvier 1863, Président Lincoln publie le décret qui entame officiellement et irrémédiablement le démantèlement de l’esclavage, la Proclamation d’Émancipation. Usant de son autorité constitutionnelle de Commandant en Chef, Lincoln proclame ainsi, sans passer par le vote du Congrès, la fin de la servitude pour ceux et celles vivant dans les états sous contrôle de l’Union.

Tournant dans la guerre civile

Cette proclamation marque un tournant central dans la Guerre Civile qui devient de facto une guerre pour l’abolition de l’esclavage; Lincoln s’attire ainsi les faveurs d’alliés étrangers, mais il fait en même temps le premier pas en direction de la fin de l’esclavage.

En 1865, à la fin de la guerre et suite à la victoire des Nordistes, le 13e Amendement était alors ajouté à la Constitution et déclarait illégale toute forme d’esclavage (laissant une provision pour la servitude imposée comme forme de châtiment). Au terme de l’année 1865, 27 des 36 États qui formaient alors l’Union avaient officiellement ratifié ce nouvel Amendement.

Le Kentucky se distingue en ne l’adoptant qu’en 1976; pire encore, le Mississippi vient tout juste de ratifier cet Amendement en février 2013 ! Ses politiciens se justifient maladroitement en rappelant que la démarche pour la ratification du 13e Amendement aurait été entamée en 1995 et que, malheureusement, le formulaire se serait perdu dans les méandres administratifs… entre 1865 et 1995, il n’y a pas moins de 130 années et il demeure difficile de les expliquer par de simples erreurs administratives !

Lorsque j’ai entendu l’annonce que le Mississippi avait enfin ratifié le 13e Amendement. j’en suis restée bouche bée!

Lorsque j’ai entendu l’annonce que le Mississippi avait enfin ratifié le 13e Amendement, j’en suis restée bouche bée! Le rapport à la Constitution me paraît décidément bien étrange dans certains États américains; je croyais naïvement qu’au moment où un État joignait l’Union, il s’engageait à respecter la Constitution dans son entier, y compris ses divers Amendements ! À en juger les déboires du 13e Amendement au Mississippi, tel n’est pas le cas.

Ces déboires me rappellent deux choses: tout d’abord, alors que Président Obama vient d’entamer son deuxième terme, il ne faut pas perdre de vue l’incroyable événement que cela représente dans l’histoire des États-Unis; ensuite, plus tristement, il ne faut en aucun cas oublier le nombre effrayant de commentaires racistes qui ont surgi lors de sa réélection en novembre dernier, entre particulier sur Twitter qui a servi de plateforme à de longues litanies d’insultes.

Et, comme par hasard, l’Université du Mississippi fut alors, au lendemain des élections, le témoin de manifestations racistes qui firent la Une des journaux. Y aurait-il, en fin de comptes, une corrélation entre le respect de la Constitution et le succès d’une certaine éducation civique ?

Formes contemporaines d'esclavage

Au-delà du contexte américain, il est bon toutefois d’entamer une réflexion sur les formes contemporaines d’esclavage. Il y a quelques jours, j’ai reçu une information au sujet d’une pétition lancée par un groupe basé à Atlanta, Religion & Race; au nom de leur foi chrétienne, les membres de ce groupe dénoncent les formes actuelles d’esclavage, en particulier des personnes d’origine africaine, et appellent les institutions internationales à promouvoir de réelles mesures contre le trafic des personnes humaines, que ce soit pour des raisons sexuelles, économiques ou militaires.

Le texte de la pétition débute sur le constat suivant: «C’est une tragique ironie, plus d’un siècle après l’abolition de l’esclavage, que des centaines de milliers d’hommes et de femmes du continent africain soient encore transformés en esclaves…»

Une tragique ironie en effet : loin d’être un fait du passé, le monde possède aujourd’hui un nombre record de personnes en servitude (les statistiques suggèrent jusqu’à 27 millions d’individus). L’esclavage n’est pas aboli et, en allant admirer le film de Spielberg et l’hommage rendu à l’action politique du Président Lincoln, il serait bon que nous ne célébrions les héros de cette histoire qu’avec mesure.

L’État du Mississippi en ne ratifiant que tout récemment le 13e Amendement constitutionnel américain est probablement plus proche de la réalité actuelle à l’égard de l’esclavage : une bataille qui n’est de loin pas terminée et qui requiert la vigilance de tous et toutes. Lincoln nous inspirera peut-être !

LIENS:

- Pétition pour la lutte contre l’esclavage contemporain

- Article du New York Times sur les réactions racistes après les présidentielles de 2012

- Article du New York Times sur les manifestations au Mississippi

- Article du Chicago Tribune sur les manifestations au Mississippi

- Groupe anglais qui combat l’esclavage moderne