Que signifie "protestant réformé" aujourd’hui?

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Que signifie "protestant réformé" aujourd’hui?

30 janvier 2013
Nos églises réformées ne savent plus très bien où se situer entre, d’un côté, un intégrisme qui récuse le lien avec la culture et s’enferme dans un autisme destructeur et, de l’autre, un conformisme qui, par peur des différences potentiellement conflictuelles, s’aligne frileusement sur les valeurs dominantes de la société.

Par Eric Fuchs, professeur honoraire de la Faculté de théologie de Genève, Itinéraires

Prêcher la « sainte ignorance » (1) pour mieux exalter la foi est aussi dommageable que d’annoncer triomphalement qu’il est temps de « croire en Dieu qui n’existe pas » pour se faire admettre d’une société devenue indifférente; dans un cas, c’est mépriser l’intelligence et confondre foi et crédulité, dans l’autre, c’est mépriser le courage spirituel et confondre l’accueil de la différence avec la complaisance.


Une intelligence fécondée


Avec saint Anselme, le protestantisme a toujours affirmé que la foi appelait l’intelligence et la fécondait. Il s’est distancé d’un certain rationalisme orgueilleux, comme d’un spiritualisme prétendant à l’immédiateté d’une relation au divin. La foi cherche la raison pour la mener à ce qui la justifie et l’accomplit. Mais aussi pour être gardée par elle de toute prétention orgueilleuse de se croire chargée, elle seule, de conduire au bien et à la justice.

La foi sans la raison sombre dans le sentimentalisme ou le fanatisme. La raison sans la foi manifeste un orgueil arrogant.

La foi sans la raison sombre dans le sentimentalisme ou le fanatisme. La raison sans la foi manifeste un orgueil arrogant. Karl Barth résume ainsi le propos d’Anselme: Credo ut intelligam ( «Je crois afin de comprendre») signifie: (2) Ma foi elle-même, en tant que telle, est un appel à la connaissance.



Je crois non pas pour ne plus avoir à penser, (...), je crois, pour penser mieux, plus rigoureusement et faire honneur ainsi à Celui qui me veut capable de « l’aimer de toute ma pensée » comme le dit le second commandement de la Loi résumée par Jésus.



On peut dire que le protestantisme, au cours de son histoire, a manifesté un grand appétit intellectuel et un grand souci de faire comprendre ce qu’est la foi dans ses sources comme dans ses fruits. L’identité protestante est donc inséparable de la réflexion intellectuelle théologique. Il faut le redire en un temps où nos églises protestantes semblent se désintéresser du sort de leurs facultés de théologie et de leurs centres de formation et accepter que leurs pasteurs soient contraints de ressembler de plus en plus à des animateurs culturels.

Or sans cet intellectus fidei, cette intelligence de la foi, celle-ci se réduit à un sentiment, une émotion, un état d’âme qui ne peut ni être transmis aux autres (générations, en particulier ), ni nourrir une action concrète réaliste. L’éthique, comme la spiritualité évangélique, sont alors délaissées, parce que réclamant une prise en charge de soi exigeante.

Mais, comme le rappelait déjà Dietrich Bonhoeffer à son église: « La grâce à bon marché est l’ennemie mortelle de notre église. (…) Dans cette église, le monde trouve, à bon marché, un voile pour couvrir ses péchés, péchés dont il ne se repent pas et dont (…) il ne désire pas se libérer (…) La grâce à bon marché, c’est la justification du péché et non point du pécheur. »(3) C’est donc le refus de l’éthique évangélique au profit d’une éthique alignée sur les comportements de la majorité.



Retourner à la Source

Il est donc temps de revenir à ce qu’on appelle volontiers aujourd’hui « les fondamentaux », ce qui désigne, en ce qui concerne le protestantisme réformé, l’enseignement de l’écriture (...).

Pour la Réforme protestante, nous ne sommes pas sauvés par nos mérites, la qualité ou les scrupules de notre obéissance aux commandements moraux de l’église, mais par la seule confiance en la bonté de Dieu. Le salut s’exprime très concrètement par une façon de vivre qui honore Dieu et, à l’imitation du Christ, se met au service de son prochain. Le protestantisme est habité par une exigence morale qui, pour être fidèle à Celui au service de qui elle entend répondre, doit se réformer constamment elle aussi.

 (...)

Combattre l’individualisme délétère

Première valeur à mettre en question: l’individualisme. On a souvent dit à juste titre que l’individualisme était un des fruits de la Réforme par le poids qui est mis par celle-ci sur la foi personnelle;  le lien institutionnel avec l’église est second (voire, pour beaucoup de protestants, inutile). Sur ce point il faut clairement faire marche arrière et rappeler avec l’écriture qu’il n’est pas bon que l’homme soit seul.

Notre société a développé un individualisme égoïste et conflictuel; la concurrence y est devenue un mode de vie qui, du commerce, s’est répandu dans l’éducation, la santé, le sport, l’art, le travail. L’évangile nous appelle au contraire à pratiquer la solidarité, à nous intéresser aux autres, mieux, à construire avec eux une pratique communautaire. Respecter les personnes et leur spécificité, c’est mettre en valeur leur contribution à l’édification commune. Première tâche de l’éthique protestante: défendre la personne plutôt que l’individu.



Quelle liberté pour quel homme?

Deuxième valeur à réexaminer: la liberté. Celle que l’Evangile nous offre nous donne le courage de refuser les diktats de l’économie, et les soi-disant inéluctables lois du marché, comme ceux de la politique et de l’opinion, si aisément manipulés par les médias. Mais la liberté évangélique n’est pas celle du sauvage qui fait ce qu’il veut, au gré de ses désirs, c’est la décision liée, à la volonté et à la raison, de conduire sa vie dans le souci de maintenir vivante l’estime de soi.

Etre libre selon l’évangile, c’est se savoir justifié par Dieu, se savoir accepté, rendu à la liberté de ne pas avoir à se justifier soi-même, c’est comme le dit Paul Tillich: Le courage d’accepter d’être accepté.(4) (...)

C’est pourquoi les protestants doivent combattre la tentation de se replier dans un ghetto religieux, loin des conflits de ce monde, comme si la justice dont parle l’évangile était réservée aux seuls chrétiens (5). Nous croyons qu’elle est aussi la source secrète de l’exigence et de l’espérance qui habite le cœur de tous les hommes de bonne volonté.

Les chrétiens se doivent donc de collaborer sans arrière-pensée avec tous ceux qui portent le souci de l’avenir du monde social et naturel. Sur ce plan, christianisme et humanisme ont le même programme.

 (...)

Bio express

Eric Fuchs, docteur en théologie et pasteur, professeur honoraire de l’Université de Genève, directeur durant vingt ans du Centre protestant d’études (CPE), cofondateur de l’Atelier Œcuménique de Théologie (AOT).

A notamment publié, le plus souvent chez Labor et Fides: L’éthique protestante, Comment faire pour bien faire, Le désir et la tendresse, L’exigence et le don, L’éthique chrétienne, Faire voir l’invisible, Réflexions théologiques sur la peinture, etc. Ses ouvrages sont traduits en plusieurs langues.

Liens

1. Selon l’expression d’Olivier Roy, La Sainte ignorance. Le temps de la religion sans culture, Paris 2008.

2. La preuve de l’existence de Dieu d’après Anselme de Canterbury, trad. fr. 1958, Delachaux et Niestlé, p. 16.

3. Le Prix de la Grâce, trad. fr. 1962, Delachaux et Niestlé, p.11

4. Le courage d’être, 1952, trad. fr. Paris 1967, Castermann, p.162



5. Fondamentalisme, une définition possible:



« L’ approche fondamentaliste est dangereuse, car elle est attirante pour les personnes qui cherchent des réponses bibliques à leurs problèmes de vie. Elle peut les duper en leur offrant des interprétations pieuses mais illusoires, au lieu de leur dire que la Bible ne contient pas nécessairement une réponse immédiate à chacun de leurs problèmes.

Le fondamentalisme invite, sans le dire, à une forme de suicide de la pensée humaine. Il met dans la vie une fausse certitude, car il confond inconsciemment les limitations humaines des messages bibliques avec la substance divine de ce message.»

 Un théologien chrétien