Faire la morale n’est pas apprécié mais nous avons besoin de morale

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Faire la morale n’est pas apprécié mais nous avons besoin de morale

Jean Martin
9 janvier 2013
En début d’année, j’ai comme père et grand-père la tentation de prodiguer de bons conseils. Mais ce n’est plus la mode et je n’ai pas envie d’être traité d’autoritaire rétrograde.


, membre de la commission fédérale d'éthique en médecine humaine

Cependant, comment ne pas souligner que, si le droit se limite à dire ce qui n’est pas acceptable, la morale, elle, a un rôle sociétal plus exigeant et nécessaire? L’exemple crasse aujourd’hui est celui de la finance. Bien que certains politiques veuillent (faire) croire que ces comportements scandaleux étaient le fait d’une minorité de personnes, les preuves s’amoncellent que, dans les plus grandes banques de la planète, il y avait (il y a encore?) une culture de la fraude et du mensonge, à large échelle (photo: Billie Holiday).


La Suisse héberge de grands consortiums dont les activités posent question en terme d’éthique. Le 17 janvier à Berne, Swissaid organise un grand débat avec la participation de hautes personnalités des domaines public et privé, dont deux secrétaires d’Etat, sur la transparence dans le secteur des matières premières. Citation du document d’invitation: « La toile de fond du débat est le fait que, dans des pays comme le Niger, l’Angola ou le Congo, en dépit d’une immense richesse en ressources minières, beaucoup survivent dans un dénuement extrême » (NB : on parle de malédiction des ressources).

« La Suisse, plus grande place du négoce des matières premières au monde, devra assumer sa responsabilité dans la réglementation » indispensable*. Enjeu fondamental de morale au plan international, avec des effets négatifs sanitaires et sociaux majeurs. Il n’est pas acceptable de se voiler la face derrière des pseudo-arguments de liberté entrepreneuriale.

Les cerveaux quittent le Sud

Problème très pratique pour les services de santé depuis des décennies, l‘exode des cerveaux (brain drain). Des dizaines de milliers de médecins et plus encore d’infirmières, formés à grands efforts dans les pays en développement, sont engagés dans nos pays et y restent. Même si on peut dire que c’est leur droit de vouloir émigrer, cela reste un hold up au détriment de la santé des populations des régions d’origine. L’OMS a émis un Code de conduite pour ses Etats-membres mais on est encore loin d’une situation satisfaisante.**

L’irréalisé qui éclaire la route, message tonique pour ceux qui comme moi songent souvent à tout ce qui, des objectifs qui ont été les leurs, n’a pas été réalisé.

Noter aussi que l’équivalent (financier et en termes de compétences) de ces aides des pays pauvres aux pays riches est plus élevé que ce qui est fait par ces derniers au titre de la coopération. Que la riche Suisse soit incapable de former les personnels de santé dont elle a besoin est simplement inadmissible. L’OMS est aussi très soucieuse d’une accessibilité adéquate des médicaments dans les pays défavorisés, y compris et notamment en ce qui concerne leur prix.

Faut-il évoquer la longue saga de la colonisation et du néocolonialisme qui lui a succédé? Beaucoup de discours sur les grandes valeurs et les droits humains alors que ces derniers sont régulièrement foulés au pied quand cela arrange ceux qui tiennent le haut du pavé.

Je pensais vivement à nos rapports avec le tiers monde en lisant une biographie récente du médecin allemand de la région de Bâle qui a créé, en Amazonie péruvienne, un hôpital où j’ai travaillé entre 1968 et 1970***. Malgré le fait que les populations amérindiennes (les Premières Nations) s’efforcent de relever la tête, les classes possédantes continuent à exploiter, déplacer, mépriser.

« Strange Fruit »

Dans un autre registre mais toujours à propos de respect et d’égalité: peu avant Noël, sur Arte, un documentaire sur Billie Holiday. Avec l’évocation de la chanson « Strange Fruit » de 1939, rappelant ce que vivaient les Noirs américains trois quarts de siècle après l’abolition de l’esclavage, notamment des lynchages en toute impunité - une des premières manifestations du mouvement des droits civiques.

Aujourd’hui, la vénération meurtrière dont est l’objet aux Etats-Unis le port d’arme, et ses conséquences comme la tuerie du 14 décembre dans le Connecticut, continuent à révolter qui n’est pas intoxiqué par la mythologie d’un droit « sacré » des héritiers des pionniers. L’immense difficulté (même pour Obama dans son second mandat) de promulguer un vrai contrôle des armes à feu laisse songeur****.

Pour finir et dans l’idée d’une éthique motivante, ce passage du message lors de son 70e anniversaire d’un ami à la carrière remarquée en santé publique et dans le domaine universitaire: « Qu’est-ce qui nous lie? Est-ce une même conscience de nos privilèges et la volonté de les partager? Est-ce peut-être le refus de laisser le monde aux méchants et aux ignorants?

Est-ce la conscience de la fragilité de notre planète et la volonté de la préserver? Est-ce plutôt cette certitude que derrière l’irréalisable qui nous enferme, il y a l’irréalisé qui nous ouvre au monde et éclaire la route? ». L’irréalisé qui éclaire la route, message tonique pour ceux qui comme moi songent souvent à tout ce qui, des objectifs qui ont été les leurs, n’a pas été réalisé.

NOTES:

* Voir aussi l’édifiant article de Marc Guéniat, Le Temps (Genève), 21 décembre 2012, p. 12.

**Titres dans l’excellent Bulletin de Medicus Mundi Schweiz, no 126 de décembre 2012 : « Bulgarien spendet West Europa sein Personal ; « Programmierte Fehlentwicklungen für die Philippinen und die Schweiz ».

*** Raymond Claudepierre. Le médecin des Indiens (Theodor Binder). F-68720 Illfurth: Editions Saint Brice, 2011.

**** Je me suis posé une question: sachant que plus de 70% des Américains croient en Dieu et qu’un très grand nombre participent à un service de Noël, combien d’entre eux sont-ils allés à l'église avec leur arme dans la poche ?