Du besoin de « donneurs d’alerte »

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Du besoin de « donneurs d’alerte »

Jean Martin,
2 novembre 2012
Donneurs (ou lanceurs) d’alerte est le néologisme en usage pour « whistleblowers » (littéralement donneurs de coups de sifflet). Ces personnes qui, en prenant certains risques, font connaître des faits qu’ils estiment indésirables voire choquants, scandaleux. Il y en a de multiples sortes.
Récemment, ils ont été en évidence dans le domaine financier, en y trouvant parfois des compensations notables… (comme Bradley Birkenfeld qui vient de toucher 104 millions de dollars du fisc américain pour avoir dénoncé l’UBS, sa banque). Les motivations des alerteurs sont diverses, plus ou moins désintéressées, « morales ».

Récemment, ils ont été en évidence dans le domaine financier, en y trouvant parfois des compensations notables… (comme Bradley Birkenfeld qui vient de toucher 104 millions de dollars du fisc américain pour avoir dénoncé l’UBS, sa banque). Les motivations des alerteurs sont diverses, plus ou moins désintéressées, « morales ».

Par Jean Martin, membre de la Commission nationale d’éthique

Il faut rendre hommage à celles et ceux qui, tout en étant traités d’empêcheurs de danser (ou, plutôt, de faire du business) en rond, s’attachent à attirer l’attention sur la présente course au précipice, s’agissant d’épuisement des ressources naturelles, de pollution, de démographie mondiale aussi - et de l’apocalypse que permettra la course aux armements si toutes ces armes devaient être utilisées.

Exemples : d’abord, à l’occasion de ses dix ans, La Revue Durable (LRD) qui publie un dossier anniversaire, son no 46, intitulé « La durabilité à portée de main » (1). J’espère que beaucoup de confrères connaissent et soutiennent cette revue (qui comme toute publication issue de Suisse a de la peine à se faire suffisamment connaître dans l’Hexagone, malgré de louables efforts). Basée à Fribourg, elle est animée par Susana Jourdan et Jacques Mirenowicz, qui réalisent un journal substantiel, avec des analyses approfondies.

« Recette pour un désastre global »

Dans la livraison anniversaire, interview d’un grand alerteur, James Hansen, directeur de l’Institut Goddard d’études spatiales de la NASA ; spécialiste du climat qui depuis des années s’engage pour sensibiliser la société - spécialement son pays les USA – à la « recette pour un désastre global » qu’est le réchauffement climatique. Ailleurs, l’expert du risque Frédérick Lemarchand, commentant Fukushima et ses suites, relève : « Cette catastrophe a d’abord montré que ces accidents produisent des situations irréversibles. Elle renverse la flèche du temps, dans ce sens que l’avenir est prédéterminé sans que le présent ne puisse rien y changer » (l’usage indiscriminé des ressources naturelles a un effet comparable, même sans radioactivité). « Cela a enfin révélé l’extraordinaire capacité des Etats et des organisations internationales à édifier le silence autour d’une réalité gênante » (2).

« Que faire ? » C’est le titre d’un dossier de horizons, revue du Fonds national et des Académies suisses, soulignant la complexité, la multi-factorialité et -sectorialité des problèmes. Pour les résoudre, « politiciens et scientifiques doivent plus que jamais compter les uns sur les autres » (3). Il faudrait aussi pouvoir compter sur les citoyens électeurs - par ailleurs pas très preneurs de mauvaises nouvelles. On sait aussi que, si la démocratie est le moins mauvais système, selon la formule de Churchill, elle montre une grande force d’inertie.

« Changer de récit pour changer le monde » titre un article de La Revue Durable, y compris en mettant en évidence le « déni structurel actuel et l’anesthésie du confort moderne ».

« Changer de récit pour changer le monde » titre un article de La Revue Durable, y compris en mettant en évidence le « déni structurel actuel et l’anesthésie du confort moderne ». Education à la citoyenneté globale, disent d’autres. D‘où le souhait de plus de gouvernance mondiale, qu’appellent de leurs vœux un nombre croissant de politiques de haut niveau, et de sages tels qu’Edgar Morin ; une gouvernance qui ait une certaine poigne.

Jean-Christophe Victor, scientifique prospectiviste, estime que les questions environnementales doivent être gérées « avec plus d’autorité », qu’on arrive à « une meilleure discipline collective et individuelle, ainsi qu’une plus grande solidarité entre les générations » (4). James Hansen déjà cité note que, si on voulait dans les 20 ans un vrai correctif à la dérive actuelle, cela supposerait l’avènement d’une société autoritaire - sans qu’on puisse l’appeler de ses vœux, les effets secondaires négatifs seraient graves. Par contre, il fait une place à la désobéissance civile : résister à l’Etat de droit lui-même quand l’application des règles de ce droit nuit.

Pour Philippe Roch, ancien directeur de l’Office fédéral de l’environnement, « il vaut mieux s’y mettre avant que la nature nous impose un changement brutal » ; il insiste sur le besoin d’« inventer un nouveau projet économique, une prospérité sans croissance » (5). Considérant ce que chaque lecteur, auditeur ou téléspectateur peut déduire des données disponibles, la conclusion devrait être du genre « Elémentaire, mon cher Watson ». Pourtant, les avocats d’un frein à la croissance sont de routine gorillés par tout ce que la société compte de bien-pensants (néo-)libéraux et autres « réalistes » aveugles au long terme.

Changer ne peut se faire que progressivement, le monde, dans sa version actuelle ultra-productiviste et consommatrice, est un énorme paquebot. L’année du centenaire du naufrage du Titanic, l’image du peu de temps à disposition pour éviter l’iceberg vient à l’esprit. A 70 ans sonnés, je peux me contenter de penser que je ne verrai pas le chaos programmé. L’ennui, c’est que j’ai à ce stade trois petits-enfants et qu’ils sont un des vrais bonheurs de mon existence ; je souhaiterais qu’eux aussi vivent des choses heureuses.


Références :

1. La Revue Durable (LRD), rue de Lausanne 23, 1700 Fribourg.

2. Interview de F. Lemarchand. Le Temps (Genève), 7 septembre 2012, p. 26.

3. Que faire ? (dossier). Horizons (Berne). No de septembre 2012, p. 7-21.

4. Interview de J.-Ch. Victor. Le Temps (Genève), 11 septembre 2012, p. 14.

5. Le Temps (Genève), 3 septembre 2012, p. 11. Voir aussi : Bourg D., Roch Ph.

Sobriété volontaire. Genève : Labor et Fides, 2012.