Elections américaines: C’est pas moi, c’est lui!

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Elections américaines: C’est pas moi, c’est lui!

Muriel Schmid
10 octobre 2012
Près de 400 millions de dollars auraient été dépensés par les deux candidats à la présidence des Etats-Unis pour décrédibiliser leur adversaire. Le phénomène est propre à la politique américaine et a pris une ampleur sans précédent en 2012. Il porte un nom: campagne négative.

, théologienne, Salt Lake City

Dans moins d'un mois, les Américain/-es se rendront aux urnes pour élire le 45e président des Etats-Unis. La majorité du public, aux Etats-Unis comme dans le reste du monde, ne voit qu’une partie de la campagne électorale menée par les deux candidats et leurs cohortes de conseillers; vous et moi, nous ne somme témoins que de la partie propre des présidentielles américaines.

Une minorité de citoyennes et citoyens américains sont eux exposés à l’autre réalité de cette campagne électorale, les éléments de campagne négative qui ont envahi leurs postes de télévision, leurs chaînes de radio et leurs sites internet! Il s’agit de campagne négative lorsque le message principal d’une campagne électorale tend à démolir l’opposant plutôt que de faire valoir les qualités et mérites du candidat appartenant à son camp.

Le 10 septembre dernier, Le Monde publiait un article qui retraçait cinquante ans de campagne négative dans les présidentielles américaines. Ce qui différencie aujourd’hui la lutte entre Obama et Romney, c’est la quantité sans précédent de spots négatifs que l’un et l’autre parti ont financés.

Le Monde parle de «débauche publicitaire» pour qualifier les dépenses faramineuses qui se cachent derrière la campagne négative des présidentielles de 2012; le coût total est actuellement estimé à plus de 400 millions de dollars. Phénomène propre à la politique américaine, le degré auquel la campagne négative est pratiquée dans ces élections a atteint un seuil qui pourrait pourtant en annuler les effets recherchés.

Campagne "négative" dans les swing states

Le public cible de ce type de campagne se situe dans ce qu’il est convenu d’appeler les swing states (ou Etats pivots), ceux qui le 6 novembre vont faire basculer le scrutin d’un côté ou de l’autre. La radio nationale publique (NPR) a récemment visité l’un des ces Etats, le Colorado, pour y prendre la mesure des effets de cette campagne électorale; en certains endroits du Colorado, les spots électoraux négatifs ont triplé en comparaison avec 2008 à la même époque.

Les stratèges de l’un et l’autre camp étudient les taux d’écoute sur chaque chaîne ainsi que la répartition démographique de chaque public entre hommes/femmes, jeunes/vieux, chômeurs/travailleurs, etc. Cela représente une étude de marché complexe et pourtant bien limitée: le seul but de ces recherches est de convaincre l’indécis et l’indécise de ne pas voter pour le parti adverse. A en croire les habitants du Colorado, le public cible est saturé et risque en fin de comptes de ne pas voter du tout.

Seuls huit ou neuf Etats seulement vont décider du scrutin

Plus fondamentalement, cette campagne négative révèle les limites du modèle démocratique américain. Comme le signale le journaliste de NPR, les élections présidentielles américaines ne sont nationales qu’en théorie, mais en pratique, huit ou neuf Etats seulement vont décider du scrutin. Nombreux sont les voix individuelles qui ne vont avoir aucun impact sur le résultat final.

De fait, le bulletin de vote individuel dans les présidentielles américaines ne compte qu’en fonction de la majorité politique de l’Etat où il est enregistré. Par exemple, l’Utah qui a eu lors des 3 dernières élections présidentielles un taux de vote républicain extrêmement haut ne va très certainement pas avoir une majorité démocrate en 2012; les votes des démocrates de l’Utah sont donc dans le fond perdus.

Le vrai enjeu se joue ainsi dans les swing states où chaque bulletin peut faire basculer l’Etat entier et donner du coup l’ensemble des voix du collège électoral à un candidat plutôt qu’à un autre.

Le vrai enjeu se joue ainsi dans les swing states où chaque bulletin peut faire basculer l’Etat entier et donner du coup l’ensemble des voix du collège électoral à un candidat plutôt qu’à un autre. Et c’est au cœur de ces Etats, là où la démocratie importe vraiment, que la campagne électorale est la plus vicieuse et se contente d’accusations enfantines, «c’est pas moi, c’est lui!»

En bref, les présidentielles américaines en arrivent à démotiver ceux et celles dont le vote ne va pas peser dans la balance et à désintéresser ceux et celles dont le bulletin va faire toute la différence. Que dire d’un tel constat? Derrière cette guerre publicitaire, les enjeux sont de taille; entre Obama et Romney, les perspectives sont radicalement opposées en ce qui concerne les rapports diplomatiques avec l’Iran, le conflit Israël-Palestine, le droit de millions d’immigrants aux Etats-Unis, l’environnement et les ressources naturelles, etc.

Raisonner ou manipuler?

Mercredi dernier, le premier débat présidentiel a quelque peu déçu le public qui attendait enfin une réelle discussion de fond. Quant aux médias, ils ont principalement critiqué le manque d’agressivité exprimé par les propos d’Obama. Pour ma part, j’ai apprécié le ton calme et posé d’Obama et je regrette davantage l’incapacité des médias, de tous bords cette fois, à y reconnaître le choix délibéré de sortir d’une rhétorique d’accusation. Cela va-t-il se retourner contre lui? Doit-il pour être réélu se contenter de manipuler les indécis ou peut-il courir le risque de raisonner avec l’opposition? Le prochain débat prévu pour le 16 octobre nous dira ce qu’il en est.

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