La subversion de l’Evangile. Plaidoyer pour une théologie critique

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La subversion de l’Evangile. Plaidoyer pour une théologie critique

26 septembre 2012
«La subversion de l’Evangile. Plaidoyer pour une théologie critique» peut être entendu de plusieurs manières: on peut penser tout d’abord aux manières dont on a subverti et dont on continue de subvertir l’Evangile. On peut également penser aux manières dont l’Evangile lui-même nous subvertit. Prenons ces deux aspects l’un après l’autre.


par Christophe Chalamet*, UNIGE L’Evangile subverti

Nous ne savons que trop bien comment l’Evangile a été subverti durant les deux premiers millénaires du christianisme. Nous le savons si bien que nous en oublions parfois les grandes choses qui ont été accomplies en son nom. Mais ma question n’est pas historique. Elle est tournée vers le présent et l’avenir. Il s’agit donc de se demander où sont les risques majeurs, aujourd’hui, de distortion de l’Evangile.

Il ne semble pas que cela soit l’infiltration, en théologie chrétienne, d’une vision du monde raciste, comme ce fut le cas au siècle dernier dans un grand nombre de pays occidentaux ainsi qu’en Afrique du Sud. Encore que la situation des « gens du voyage » dans nos régions indique que nous ne sommes pas « sortis » de tout cela.

« Domestiquer » l’Evangile, voilà un des dangers qui continuent de guetter celles et ceux qui se réfèrent à lui ou qui se perçoivent comme étant en proximité par rapport à lui. La domestication ou l’instrumentalisation de l’Evangile, mais aussi de Dieu, est dénoncée tout au long des Ecritures. Contrairement aux idoles, dont on peut se servir à loisir et qui sont en quelque sorte faites pour cela, se servir du Dieu vivant fait l’objet de condamnations répétées.

L’Evangile qui subvertit

Comment percevoir les diverses subversions de l’Evangile dans notre situation contemporaine ou dans l’histoire si nous n’avons aucune idée de ce qu’est l’Evangile? Pour savoir si quelque chose a été perverti, détourné, ne faut-il pas avoir une idée, même vague, de ce à quoi ressemble la chose lorsqu’elle n’est pas falsifiée? L’Evangile nous subvertit parce qu’il opère une véritable réformation, jamais terminée, de nos entendements et de nos vies.

Est-il besoin de rappeler que les réformateurs protestants du 16ème siècle ont combattu, ont pris des risques pour défendre l’idée que donner vraiment, à Dieu et au prochain, c’est donner « pour rien », simplement « parce que »: « parce que » Dieu est Dieu ; « parce que » le prochain, y compris le prochain qui n’a rien d’aimable et qui n’a rien à me donner, est là et ne peut être ignoré?

En parlant du « pour rien », du désintéressement, des thèmes essentiels vu que notre société est traversée par une dictature de l’utilité et du rendement, nous ne sommes pas éloignés de la pensée des réformateurs protestants, une pensée qui est tout bonnement explosive pour notre temps.

*Cette chronique a été rédigée sur la base de la leçon inaugurale donnée par Christophe Chalamet le lundi 24 septembre à la faculté de théologie de l'Université de Genève. Elle peut être écoutée sur le site de la fac.

Bio express

Né à Genève en 1972 d'une mère argovienne et d'un père parisien, Christophe Chalamet a obtenu une licence (1997) et un doctorat (2002) à la Faculté autonome de théologie protestante de l'Université de Genève.

Il a étudié à la Yale Divinity School (2001-2002) et a enseigné à Fordham University, université jésuite à New York (2003-2011).

Il enseigne la théologie systématique à Genève depuis 2011 et organise, avec la Faculté, un colloque international sur "la sagesse et la folie de Dieu (lectures de 1 Corinthiens 1-2)" qui se tiendra à Genève du 23 au 25 mai 2013.

Trois citations:

« Car la Parole de Dieu vient pour transformer et rénover le monde entier. » Martin Luther, Du Serf Arbitre.

« Ne nous induis pas en tentation! Oui, ne permets pas que nous soyons séduits par le mirage d’une contemplation purement objectiviste, neutre et confortable de ta divinité. Ne permets pas que nous tombions dans la désobéissance, en croyant que nous pouvons te traiter comme n’importe quel objet, que nous aurions la liberté de prendre en considération ou de laisser de côté! [...] garde-nous [...] d’agir comme si nous pouvions si peu que ce soit te connaître et énoncer ou écouter la moindre parole à ton sujet, sans nous savoir aussitôt engagés, pris à partie, contraints à te répondre et à t’obéir! » Karl Barth, Dogmatique (t. 6).

« Serait-ce que, une fois trouvé, il faille le chercher encore? C’est en effet ainsi qu’il nous faut rechercher les choses incompréhensibles: qu’on ne croie pas avoir rien trouvé, quand on est parvenu à trouver combien est incompréhensible ce qu’on cherchait. Pourquoi dès lors chercher, si l’on comprend que ce qu’on cherche est incompréhensible? sinon parce qu’on ne doit pas s’arrêter, tant que la recherche elle-même approfondit davantage le domaine de l’incompréhensible et qu’elle rend de plus en plus parfait celui qui est en quête d’un si grand bien, qu’on ne cherche que pour le trouver, qu’on ne trouve que pour le chercher. Car on le cherche pour le trouver avec plus de douceur, on le trouve pour le chercher avec plus d’ardeur. » Saint Augustin, De Trinitate.