Aux Etats-Unis, les mosquées peinent à trouver des imams du cru

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Aux Etats-Unis, les mosquées peinent à trouver des imams du cru

6 juillet 2012
Sharon, Massachusetts, le 6 juillet (ENInews-RNS/Omar Sacirbey) – Le Centre islamique de la Nouvelle-Angleterre (ICNE, Islamic Center of New England), a toujours été dirigé par des imams nés hors d'Amérique. Le Centre, qui est réparti sur deux campus, souhaiterait que cela change mais, pour ses dirigeants, cela s'avère plus difficile que prévu.

La mosquée de l'ICNE installée dans la banlieue sud de Boston n'a plus d'imam depuis 2006, quand l'ancien imam a été arrêté pour fraude à l'immigration. Depuis, des laïcs et des imams formés se relayent pour assurer la prière du vendredi et d'autres fonctions liées à la mosquée, indique l'agence Religion News Service.

Après plusieurs dizaines d'entretiens, le Conseil de la mosquée s’est intéressé à un converti né aux Etats-Unis, connaissant bien la culture américaine et ayant étudié l'islam et l'arabe en Arabie saoudite. Les références académiques ont impressionné les membres immigrés de la mosquée, tandis que son aisance avec la culture populaire américaine lui ont permis d'établir le contact avec les jeunes.


« Le fait est que nous regardons vers l'avenir, or l'avenir de l'islam dans ce pays, ce sont les enfants », explique Rashid Noor, président du Conseil de l'ICNE. « C'est la raison pour laquelle nous avons besoin d'une personne qui peut établir le contact avec les jeunes. »

Ce qui est loin d'être sûr, cependant, c'est la capacité de la mosquée de Sharon à répondre aux prétentions salariales de l'imam, qui demande près du double de ce que gagne l'imam d'origine égyptienne qui officie dans la mosquée jumelle à Quincy, à 37 km de Sharon. Si le Centre ne peut pas s'offrir les services de cet imam, Rashid Noor affirme que les recherches vont se poursuivre.

Comme cette mosquée de banlieue a pu en faire le constat, les imams nés aux Etats-Unis sont impossibles à trouver. Les annonces de mosquées recherchant des imams parlant couramment l'anglais sont légion dans les magazines et journaux de la communauté musulmane des Etats-Unis. La Fédération des imams d'Amérique du Nord, une organisation de défense des intérêts fondée en 2002, reçoit chaque année plus d'une centaine de sollicitations de la part de mosquées à la recherche d'un responsable religieux.

Hossam AlJabri, ancien directeur exécutif de la Société des musulmans d’Amérique, estime qu'environ 80% des 2 200 mosquées des Etats-Unis ont à leur tête des imams d'origine étrangère, même si la majorité réside aux Etats-Unis depuis au moins dix ans, voire beaucoup plus pour certains d'entre eux.

Selon un rapport de 2011 du Centre de recherche Pew, 63% des quelque 2,75 millions de musulmans sont des immigrés et, chaque année, ce seraient jusqu'à 90 000 nouveaux musulmans qui arriveraient dans le pays. Des experts affirment qu'il faudra encore des années avant que le réservoir d'imams américains soit assez vaste pour répondre à la demande des mosquées.

Bien que quelques programmes d'aumônerie islamique et instituts de formation aient été mis en place ces dernières années aux Etats-Unis, il n'existe aucun programme similaire pour aider les imams fraîchement débarqués à s'acclimater à l'Amérique.

Les mosquées des Etats-Unis comptent toujours sur les imams nés à l'étranger pour leurs connaissances religieuses et leur maîtrise de l'arabe. Pourtant, elles veulent aussi des imams américanisés qui parlent l'anglais et qui ont des aptitudes à la communication, qui s'intéressent aux activités interreligieuses et à l'engagement civique, et qui sont à l'aise avec les médias.

« Le nombre de personnes ayant toutes ces qualités est très réduit », déplore Rashid Noor, reflétant une opinion répandue parmi d'autres responsables musulmans des Etats-Unis.

Etant donné le peu d'imams de ce type et la très forte demande dont ils font l'objet, ils peuvent exiger des salaires pouvant atteindre les 90 000 dollars EU par an, sans compter les avantages. Les imams venus de l'étranger acceptent généralement des salaires bien plus bas, escomptant une progression salariale plus importante que prévue. « On peut leur donner 20 000 dollars et ils sont contents », affirme AlJabri. Très vite, cependant, de nombreux imams ont du mal à joindre les deux bouts et certains trouvent un deuxième emploi.

Beaucoup de communautés préfèrent les imams d'importation car elles sont sceptiques à l'égard des imams formés en Amérique. « J'ai trouvé un imam dans une mosquée qui savait à peine l'anglais, mais il a été pris parce qu'il récite bien le Coran et qu'il peut mener les prières, et c'est tout ce que demande la communauté », explique Naeem Baig, porte-parole du Cercle islamique d'Amérique du Nord.

« Pour ce qui est de la religion, les gens sont plus habitués aux imams qui ont été élevés et éduqués selon la tradition islamique dans un pays musulman », affirme l'imam Mohamed Magid, président de la Société islamique d'Amérique du Nord, une autre organisation de défense des intérêts, et imam de la Société musulmane de la région de Dulles, dans le nord de la Virginie, l'un des plus grands centres islamiques du pays. « Mais beaucoup d'entre eux se rendent compte que la seconde génération ne se sent pas si proche de ces imams, surtout les nouveaux imams arrivant de l'étranger.

L'imam Khalid Nasr a grandi dans un petit village de paysans dans le sud de l'Egypte et a étudié à la célèbre Université Al-Azhar du Caire. En 2000, une mosquée en pleine expansion de Raleigh, en Caroline du Nord, l’invita à diriger la prière nocturne pendant le mois saint du ramadan. Avant la fin du mois, le Conseil de la mosquée, qui disposait déjà d'un imam, demanda à Khalid Nasr de rester sur place en tant que directeur religieux, ce qu’il accepta.

Les premiers temps furent difficiles. « Je ne parlais pas du tout l'anglais. En fait, je savais dire "oui", "non", "merci" et c'est tout », raconte l'imam Nasr. Les étudiants de son cours de religion du week-end étaient indisciplinés et irrespectueux, ils négligeaient leurs devoirs et sortaient de la classe sans autorisation. Il se battait pour garder le contrôle de la situation.

Des membres de la mosquée recommandèrent à l'imam Nasr de s'inscrire à un cours d'anglais et certains d'entre eux prenaient le temps de pratiquer la langue avec lui. Mais à part cela, affirme Khalid Nasr, personne ne l'a aidé à s'adapter à la vie à Raleigh. Au bout de six mois, il décida qu'il ne pourrait apprendre l'anglais que s'il se forçait à le parler en classe à la mosquée.

« Au début, c'était horrible », dit l'imam. Mais avec l'aide de ses étudiants, qui le corrigeaient quand il se trompait, il put se passer de l'aide d'un traducteur après deux ans. « Les jeunes m'ont beaucoup aidé », affirme-t-il.

En 2005, Khalid Nasr accepta le poste d'imam sur le campus de Quincy de l'ICNE, suite à la démission de son prédécesseur. Construite en 1964, c'est la plus vieille mosquée de la Nouvelle-Angleterre.

Bien que l'imam Nasr soit le seul employé rémunéré, il a édifié une communauté dynamique. La prière du vendredi attire près de 200 fidèles, les buffets canadiens et les études coraniques rassemblent toujours beaucoup de gens et l'endroit grouille d'enfants. Il est le premier à reconnaître que son succès doit beaucoup à l'aide des bénévoles, et quand le Conseil a décidé en 2010 qu'il fallait renforcer les liens avec les jeunes, Khalid Nasr accepta avec joie la recommandation qui lui était faite de recruter un coordinateur bénévole pour les jeunes.

« Travailler avec les jeunes ne fait pas partie de notre formation. Nous sommes formés à enseigner la religion », indique l'imam. « Je ne pense pas que c'est le travail de l'imam d'aller jouer avec les enfants. Les imams doivent conserver leur dignité et leur caractère. »

Othman Mohammad, psychiatre à l'Hôpital pour enfants de Boston, a répondu à l'appel du Conseil. Né et élevé à Beyrouth, Othman Mohammad, 32 ans, a grandi avec la télévision et la musique des Etats-Unis et il a étudié à l'Université américaine de Beyrouth. Beaucoup d'adolescents disent qu'il est l'une des raisons principales pour lesquelles ils aiment passer du temps à la mosquée.

« Je parle plus volontiers à Othman qu'à l'imam », explique Zain Jan, 16 ans. « C'est plus facile d'être ouvert avec lui. Je ne peux même pas parler avec mes parents de certaines choses dont je parle avec Othman. »

Si l'imam Nasr parvient à maintenir une communauté dynamique avec l'aide de bénévoles, il se dit fatigué de devoir toujours demander de l'aide, et les bénévoles ne peuvent pas en faire autant que du personnel rémunéré. Et malgré le lien que les adolescents entretiennent avec Othman Mohammad, une partie au moins souhaiterait tout de même avoir un imam qui ait grandi aux Etats-Unis.

« Un imam américain interagit mieux avec les jeunes », affirme Asad Sajjad, 17 ans. Zain Jan ajoute: « Il sait à quoi nous sommes confrontés dans cette culture. Il connaît les pressions de la société. »

Une photo de l'imam Khalid est disponible via le site www.religionnews.com (1 492 mots-ENI-12-F-0099-JMP)