Au nom de Dieu Tout-Puissant

légende / crédit photo
i
[pas de légende]

Au nom de Dieu Tout-Puissant

Guy Le Comte
13 juin 2012
A les écouter sur nos ondes, il m’arrive parfois de douter que nos politiciens aient suivi des cours d’éducation civique, de civisme, comme disaient mes collègues vaudois. Les énormités fleurissent à chaque campagne de votations, la dernière n’en est pas exempte, quel que soit le camp dans lequel se rangent les intervenants.

Citons en quelques-unes: «Quand le peuple s’est prononcé, il n’y a plus rien à dire» ou «ce n’est pas aux juges de corriger l’avis du peuple» ou encore cette perle, calquée sur un slogan chiraquien, qui réduit la démocratie au seul droit de voter: «trop de démocratie tue la démocratie». Comme s’il était possible qu’on puisse mettre trop de démocratie dans une société!

J’ai donc enseigné «le civisme» pendant quelques dizaines d’années. Le système suisse, largement inspiré par le modèle américain, est complexe et doit être longuement expliqué aux futurs citoyens et ce n’est pas simple.

Rappelons que dans une démocratie, le Souverain, c’est l’ensemble du peuple et non pas sa majorité et que tous les systèmes démocratiques sont construits en fonction du principe de la séparation des pouvoirs. En effet, il tombe sous le sens que si ceux qui font les lois peuvent les changer à leur guise, les appliquer comme ils l’entendent et sanctionner selon leur bon plaisir ceux qui y contreviennent, la liberté des individus est réduite à sa plus simple expression.

Se prémunir de l'arbitraire

Si les représentants de l’un des pouvoirs mettent ceux des autres en tutelle, ils soumettent l’ensemble des citoyens à leur arbitraire. Ces différents dangers n’ont pas échappé aux conventionnels américains qui rédigèrent la constitution de 1787. Ils élaborèrent un système compliqué, perfectionné au fil du temps, pour permettre l’indépendance respective des trois pouvoirs. Le président de l’exécutif est nommé par des collèges élus à cette fin dans chaque état et qui votent pour le candidat arrivé en tête dans l’état.

Le président ne peut être déposé par le Congrès qu’en cas de crime, à une majorité qualifiée, difficile à réunir. Les membres du pouvoir législatif sont élus par le peuple et les états et les membres de la Cour Suprême sont nommés à vie par le président, avec l’approbation du Congrès.

Kern et Druey, qui rédigèrent la Constitution suisse de 1848, adoptèrent le modèle américain pour créer le législatif suisse. Ils tentèrent aussi de rendre les différents pouvoirs autonomes. Les membres du Conseil fédéral et du Tribunal fédéral sont élus par l’Assemblée fédérale, ils sont soumis à réélection, mais ne peuvent être déposés. Le système vaut ce qu’il vaut, chaque pouvoir est tenté d’étendre sont champ d’action et la volonté de l’exécutif de contrôler le pouvoir judiciaire se manifeste parfois.

Il n’en reste pas moins qu’en Suisse les juges fédéraux détiennent par délégation du peuple le pouvoir judiciaire et l’exerce en son nom. Ils ne sont hiérarchiquement soumis ni au parlement, ni au gouvernement. Quand des politiciens suisses prétendent qu’une fois que le peuple s’est prononcé, il n’y a plus rien à dire soit ils manifestent une ignorance crasse, soit ils prennent leurs concitoyens pour des imbéciles.

Le pouvoir judiciaire est indépendant car il doit protéger les citoyens contre l’arbitraire possible, de l’exécutif et du législatif, donc, en Suisse, de la majorité du peuple... et des cantons. Nous touchons là à un autre point très sensible. Le législatif suisse est une copie conforme du législatif américain: deux chambres, l’une représentant le peuple, avec à l’origine un député pour 30 000 habitants, et une autre représentant les états avec deux sénateurs par état. Au moment où il fut adopté par la Suisse, ce système montrait déjà ses limites aux Etats-Unis.

Les minorités qui paralysent la démocratie

Il ne peut en effet fonctionner équitablement que si les états sont à peu près égaux en population. Si ce n’est pas le cas, une ligue de petits états, uniquement préoccupés de leurs intérêts, peut indéfiniment retarder des réformes souhaitées par la majorité de la population.

Aux Etats-Unis, la politique à courte vue des planteurs sudistes qui, pour vendre à bon compte leur coton aux Anglais, s’opposaient systématiquement à l’introduction de taxe sur les marchandises britanniques que réclamaient les industriels du Nord, déboucha bientôt sur la plus sanglante des guerres civiles. La plupart des nordistes se fichaient éperdument du droit des Noirs, la suite de l’histoire l’a bien montré, mais ils voulaient remettre à l’ordre les gens du Sud qui bloquaient leurs projets. Ils l’ont emporté mais, aujourd’hui encore, le président des Etats-Unis peut être élu par une minorité de citoyens.

En Suisse, les conséquences furent moins dramatiques, mais tout aussi lourdes. La classe paysanne fut toujours surreprésentée au Parlement, et les petits cantons, alliés aux conservateurs des cantons de la Suisse urbaine, purent bloquer pendant des décennies des réformes souhaitées par la majorité de la population: scrutin proportionnel, assurances sociales, durée du temps de travail, longueur des vacances et suffrage féminin.

Référence à Dieu dans la constitution

Il est cependant une différence sensible entre la Constitution fédérale amendée en 1999 et la Constitution américaine. Alors qu'aux USA la religion a une forte emprise sur la vie publique, Dieu n’est cité dans la constitution américaine, que par la bande et une seule fois: «Le dix-septième jour de septembre de l'anée de notre Seigneur mil sept cent quatre-vingt-sept, l'an douze de l'Indépendance des Etats-Unis.»

Il en va tout autrement en Suisse, où le religieux n’est parfois pour l’école qu’un phénomène. Le préambule de notre constitution, qu’on ne commente jamais dans les écoles de la très laïque République de Genève, affirme en effet :

«Au nom de Dieu Tout-Puissant!
Le peuple et les cantons suisses, conscients de leur responsabilité envers la Création, résolus à renouveler leur alliance pour renforcer la liberté, la démocratie, l’indépendance et la paix dans un esprit de solidarité et d’ouverture au monde, déterminés à vivre ensemble leurs diversités dans le respect de l’autre et l’équité, conscients des acquis communs et de leur devoir d’assumer leurs responsabilités envers les générations futures, sachant que seul est libre qui use de sa liberté et que la force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres, (...)»

Chacun est libre de penser ce qu’il veut du Dieu Tout-puissant, mais il me semble que nos politiciens, au lieu de se chamailler sans cesse et de batailler à grands coups d’arguties, feraient bien de relire ce préambule, hélas non contraignant, et de s’en inspirer. Il décrit fort bien ce qu’est une société démocratique et fraternelle.