Fin de vie, regards chrétiens

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Fin de vie, regards chrétiens

7 juin 2012
Avant la votation concernant l’initiative populaire sur l’assistance au suicide dans les EMS et le contre-projet du gouvernement, deux pasteurs parlent de leur expérience de l’accompagnement des personnes en fin de vie. Témoignages contrastés.


Par Vincent Volet, Bonne Nouvelle

François Rosselet reconnaît à Exit le droit d’exister. Pour le pasteur et aumônier à Rive-Neuve, la maison spécialisée dans les soins palliatifs, « c’est une extrémité que je peux comprendre, mais dans des situations vraiment très lourdes et difficiles. »

Pour le reste, l’aumônier critique la rhétorique d’Exit et ses simplifications: « Dans les cas concrets, il faut être plus subtil que de dire: 'La personne veut se suicider donc on le fait.' Il faut se demander ce qu’il y a derrière une demande d’assistance au suicide. Je vois des gens arriver à Rive-Neuve et qui découvrent le prix de ce qu’ils pensaient auparavant n’être plus une vie. Même diminués, ils peuvent se rendre compte que la vie est encore possible. Avec des choses à dire, à expérimenter et à échanger. »

Le pasteur reproche à Exit de réduire la question de l’assistance au suicide à une affaire purement individuelle. « C’en est une, évidemment. Mais elle a aussi un aspect communautaire, la société est touchée, avec l’équipe soignante, les autres pensionnaires. Le contre-projet, par le contrôle qu’il instaure, prend en compte cette dimension plus large.»

A cela vient encore s’ajouter la place de la famille. « L’accompagnement des familles par Exit est juste inexistant, relève l’aumônier. La famille est fréquemment prise en otage, or elle est souvent partagée. Une partie comprend, une partie est choquée, une partie vit cela difficilement. En soins palliatifs, la famille est un des trois partenaires de soins, avec le patient, les soignants. » Pour l’heure, Rive-Neuve accepte Exit pour des discussions, mais refuse que l’acte se fasse dans ses murs. (Photo: François Rosselet)

Une occasion pour l’aumônier de souligner la violence qui se cache derrière l’idée si répandue d’une mort « clean ». « Le suicide, du point de vue de la loi, est une mort violente. Y compris quand cela se passe avec Exit. C’est indiqué sur le certificat de décès qui comporte deux cases, mort naturelle et mort violente. C’est violent aux yeux de la loi et aussi pour la famille et ceux qui restent. Vous ne pouvez pas enlever la violence de cet acte. » Une violence et une dureté qu’Exit tente de masquer par un vocabulaire spécifique: « Ils parlent d’autodélivrance avec une potion, remarque le pasteur. Cela sonne mieux que suicide par poison. »

Dans une société qui a inventé la turbo-sieste, « nous en sommes réduits à avoir avec Exit des turbo-morts, cleans et rapides, regrette l’aumônier. Le pari des soins palliatifs est de dire que le plus souvent cette période est encore l’occasion de partager et de vivre des expériences. Dans les soins palliatifs, nous valorisons la vie qui est là, le plus possible, plutôt que de dire: "Suicidez-vous!" »

«Est-ce que c’est bien, ce que je fais?»

Après que le Dr Sobel, président d’Exit, eut demandé pour la deuxième fois à Mme Voillat si elle désirait toujours prendre la mixture mortelle qu’il allait préparer, la vieille dame s’est tournée vers le pasteur Jean-Marie Thévoz et lui a demandé: « Pasteur Thévoz, est-ce que c’est bien, ce que je fais? »

C’était la dernière minute pour poser la question. Anne-Marie Voillat avait fait appel à Exit pour mettre un terme à sa vie. Après des péripéties que sa fille Jacqueline rapporte dans un livre*, au dernier moment, elle a un doute. « Encore aujourd’hui, cette question, le ton que tu emploies pour la poser me bouleversent, écrit Jacqueline, la fille. Au dernier moment, tu as des doutes, tu n’es pas sûre, tu veux une réponse. Ton regard est fixé sur le visage du pasteur avec intensité, tu attends. » (Photo: Jean-Marie Thévoz)

Le pasteur Thévoz se souvient bien de la scène qui s’est passée il y a quatre ans. « Cette personne âgée était ma paroissienne. Durant une dizaine d’années, je l’avais vue régulièrement. Je suis allé la visiter à l’hôpital, j’ai pu voir comment elle pensait. Il y a eu un bras de fer de la mère et des filles avec l’institution qui se battait pour que cette dame ne puisse pas recourir à Exit. J’avais l’impression qu’elle tenait un discours logique et raisonnable. Les filles ont obtenu un autre avis médical qui a permis qu’elle soit rapatriée à son domicile et puisse avoir la visite d’Exit. »

A la demande des deux filles et avec l’accord de la vieille dame, le pasteur se retrouve donc sur place au moment de la dernière visite. « Pour moi, c’était la continuité de mon attention à cette personne et à cette famille. Je suis arrivé avant le Dr Sobel. J’ai parlé un moment avec ma paroissienne, lui ai proposé de prier comme je le faisais dans les visites avec elle auparavant. J’ai lu un texte qui me semblait être un message d’espoir pour ses filles. »

Le pasteur Thévoz travaille aussi en EMS. « Je visite souvent des personnes qui se disent fatiguées de vivre. Plusieurs m’ont dit: "Je suis inscrit à Exit." J’ai vu ces personnes décéder tranquillement dans leur lit, mais avec la pensée rassurante qu’elles pouvaient avoir recours à Exit. C’est important mentalement, psychologiquement, même spirituellement, de pouvoir se dire: "Je n’ai pas perdu toute mon autonomie, je ne suis pas complètement dépendant, j’ai une porte de sortie." Une possibilité à laquelle, finalement, peu de personnes recourent. »

Est-ce bien le rôle du pasteur d’être présent en une telle occasion?

Est-ce bien le rôle du pasteur d’être présent en une telle occasion? « Mon ministère est d’accompagner les gens dans toutes les circonstances, de leur naissance à leur mort, leur mort comprise, répond le pasteur. Nous avons le privilège d’être une profession qui n’occulte pas les difficultés de la vie. La mort fait partie de la vie. Je referais cet accompagnement si l’un ou l’autre de mes paroissiens était dans cette situation. Certaines personnes pensent que leur vie est moins importante que leur liberté, leur dignité ou leur autonomie. C’est leur choix, je ne veux pas le juger et leur imposer mes choix de société. »

Comment le pasteur Thévoz a-t-il répondu à sa paroissienne, qui demandait "Est-ce que c’est bien, ce que je fais?"? « Je lui ai dit que je n’avais pas de jugement à faire. Parce que je ne sais pas dans l’absolu si c’est bien ou si c’est mal. J’ai utilisé une citation de Malraux que j’avais lue peu auparavant, en disant en substance: "Si on veut juger, il faut vraiment comprendre la situation, et quand on la comprend, on arrête de juger." »

Est-ce aussi ce que Jésus lui aurait répondu? « Jésus ne s’est jamais laissé arrêter par aucune barrière que la société de son temps avait érigée. Il a touché les lépreux, est allé manger chez des percepteurs du fisc, a guéri l’enfant d’un officier romain, un occupant, pour privilégier un contact humain direct. C’est ce que je considère avoir fait dans cette situation. »

  • Jacqueline Voillat, Rencontre avec la nuit, Ed. d’en bas

  • Lire aussi l'édito de Denis Müller dans Bonne Nouvelle

Autres voix

Côté catholique, le vicaire épiscopal Marc Donzé refuse les deux textes soumis au vote sur l’assistance au suicide. Il juge que l’initiative et le contre-projet ne sont pas acceptables. « Il me paraît bien préférable que, dans le canton de Vaud, on se contente de la législation fédérale qui se borne à ne pas pénaliser l’assistance au suicide, pour autant qu’elle ne repose pas sur des motifs intéressés ou égoïstes. »

La Fédération romande d’Eglises évangéliques, de son côté, invite aussi les Vaudois à glisser un double non dans les urnes. Une acceptation de l’initiative Exit pour le suicide assisté dans les homes du canton ou du contre-projet du Conseil d’Etat constituerait une violation de la liberté de conscience et de religion. La Fédération craint que les EMS confessionnels soient privés de fonds publics, s’ils refusent d’accepter les association.

"Donner du sens à la vie"

Pascale Gilgien, conseillère synodale répondante pour le domaine de la solidarité, présente la position de l’Eglise évangélique réformée vaudoise (EERV). (Photo: Pascale Gilgien)

Vincent Volet: L’EERV a publié un document de réflexion sur la votation du 17 juin, en collaboration avec l’Eglise catholique et la communauté israélite. Dans quel but?


Pascale Gilgien: Le but est de s’exprimer sur un sujet de société qui comporte une dimension éthique. Les Eglises ont quelque chose à dire. Cette votation met en jeu deux valeurs fondamentales pour les chrétiens, la liberté de conscience d’une part, et l’empathie avec les personnes malades, souffrantes ou en fin de vie d’autre part. Notez que cette problématique touche de près des pasteurs et aumôniers qui y sont confrontés.

Pourquoi ne pas avoir pris clairement parti avec une recommandation de vote?


Nous nous exprimons mais ne donnons pas de consigne de vote. Le processus a démarré en 2009, lorsqu’un groupe de travail a été mis sur pied en vue de donner la position des Eglises au Conseil d’Etat, qui réfléchissait à ce sujet. Le premier document était opposé à l’initiative d’Exit.

Ensuite, lors de la consultation sur le contre-projet, le Conseil synodal a présenté des arguments qui ont contribué à forger le texte soumis au vote. Les discussions au sein du Conseil synodal et de notre Eglise ne nous ont pas permis de prendre une position tranchée, comme d’autres Eglises qui recommandent le double non.

A quoi l’Eglise réformée veut-elle rendre attentifs les votants?


D’abord à la dignité, valeur constitutive de la personne humaine et qui ne diminue pas si la personne est elle-même diminuée. Nous soulignons aussi la tension entre la liberté et l’autonomie de chacun d’un côté, la solidarité et l’empathie à l’égard des plus faibles d’un autre, et enfin le respect de la vie et l’interdiction du meurtre. Chacun va mettre l’accent sur l’une ou l’autre de ces exigences.

Il faut également prendre en compte la spécificité de la votation, qui touche les EMS. Ce sont des lieux de vie particuliers pour beaucoup de personnes, dans lesquels on ne peut pas faire abstraction de l’entourage, de l’équipe soignante ou des autres pensionnaires. Il importe de respecter les choix personnels et de tenir compte aussi de la liberté de ceux qui ne veulent pas participer à un tel acte.

Le contre-projet le prévoit et balise mieux les choses. Nous soulignons enfin l’importance de l’accompagnement des personnes jusqu’à la fin, quel que soit leur choix.

La Bible nous éclaire-t-elle sur l’aide au suicide?


La Bible peut aider les chrétiens par son message d’espérance, non seulement parce qu’elle affirme que la mort n’est pas la fin ultime, mais surtout parce qu’elle donne sens à la vie aujourd’hui et l’éclaire même dans ses moments les plus douloureux. La Bible fonde mon espérance et ma foi, ce qui va me permettre de prendre des décisions personnelles.

Qu’est-ce qui vous gêne dans les textes soumis au vote?


Le point qui me dérange le plus était déjà souligné dans notre premier argumentaire sur la question. Aujourd’hui, conséquence de l’article 115 de la loi fédérale, nous sommes dans une situation de dépénalisation de l’assistance au suicide. Cette aide n’est pas punie, à certaines conditions. Avec les textes proposés, nous passons à une légalisation.

Nous allons introduire des articles de loi sur une pratique qui, jusqu’ici, était tolérée, mais pas permise. Ce passage de la liberté au droit est ce qui me gêne le plus dans les deux textes. C’est un argument qui aura peut-être peu de poids dans le choix des Vaudois, mais il me semble fondamental.

Ne faut-il pas promouvoir plutôt la prévention du suicide?


Je suis pour la prévention du suicide sous toutes ses formes. Il s’agit de donner sens à la vie, avant d’en arriver là. Sans opposer cette prévention à la loi actuellement soumise au vote, il faut parler de la mort, en briser le tabou. C’est aussi un des devoirs des EMS de donner du sens à la vie diminuée des gens qui y entrent. Vie diminuée dont la dignité reste entière.
V.Vt