Conditions de détention et d'internement en Suisse : des spécialistes tirent la sonnette d'alarme

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Conditions de détention et d'internement en Suisse : des spécialistes tirent la sonnette d'alarme

30 mars 2012
Carences dans la prise en charge individualisée, suivi médical problématique, vieillissement de la population carcérale : le criminologue et avocat lausannois Baptiste Viredaz soulève plusieurs points critiques en matière de respect des droits humains pour les détenus en Suisse. Il s'exprimait le 28 mars à Lausanne avec d'autres spécialistes, dont le conseiller aux Etats Luc Recordon (Verts/VD).
(Illustration © Confédération)

Me Viredaz a parlé d'un cocktail explosif pour qualifier le mélange des types de détenus, d'internements et de traitements dans les prisons du pays. « Il manque cruellement d'établissements adaptés pour l'exécution des mesures », a déploré mercredi le criminologue de l'Unil. Dans les combles de la gare CFF de Lausanne, l'avocat était le dernier intervenant de la soirée mise sur pied par la section vaudoise de la Ligue suisse des droits de l'homme (LSDH-VD). Née en 2008, c'est une des deux seules actives à travers le pays avec son homologue genevoise.

Dans le code pénal, les mesures sont conçues pour soigner les troubles du détenu en fin de peine et protéger la société des dangers potentiels qu'il représente. La loi prévoit qu'il puisse les exécuter dans un établissement approprié. « En règle générale », précise-t-elle. Selon Me Viredaz, les Etablissements pénitenciers de la plaine de l'Orbe (EPO) sont un bel exemple d'exception à la règle. Le praticien ne croit pas au délai fixé au 31 décembre 2016, soit dix ans après l'entrée en vigueur du nouveau code pénal le 1er janvier 2007, pour que la Suisse se dote de structures adaptées pour l'exécution des mesures.

Retranchement derrière la fédéralisme

« En la matière, le Conseil fédéral se retranche derrière le fédéralisme », a constaté le sénateur Vert et avocat Luc Recordon. A sa connaissance et à l'échelle du pays, seule la future prison pour mineurs de Palézieux (VD) offrira une prise en charge plus adaptée des détenus et les conditions d'internement différenciées qu'ils exigent. Or les subventions de la Confédération aux cantons se feraient attendre. Le conseiller national Carlo Sommaruga (PS/GE) a déposé un postulat sur la question l'hiver dernier.

De manière générale, Luc Recordon dénonce ce qu'il appelle une « obsession sécuritaire » sous la Coupole. Même des textes internationaux, comme la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH), auxquels la Suisse est soumise, sont attaqués.

De manière générale, Luc Recordon dénonce ce qu'il appelle une « obsession sécuritaire » sous la Coupole. Même des textes internationaux, comme la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH), auxquels la Suisse est soumise, sont attaqués. Les coups de boutoir viennent majoritairement des parlementaires de l'Union démocratique du centre, parmi lesquels les Zurichois Natalie Rickli et Christoph Mörgeli. « Il faut agir en amont et renforcer la formation des policiers et des agents de détention », a suggéré le constitutionnaliste Michel Hottelier.

Car les droits fondamentaux de la personne ne s'arrêtent pas aux portes des prisons. « Au contraire », a ajouté le professeur genevois. Mais voilà. La norme constitutionnelle pour l'internement à vie, acceptée par le peuple suisse en 2004, par exemple, inquiète les spécialistes. « Comment peut-on prétendre qu'un détenu condamné à l'âge de 20 ans ne changera pas dans les soixante années suivantes ? » a questionné le pénaliste André Kuhn. En faisant dépendre la libération de circonstances extérieures, comme le progrès scientifique, ce texte est incompatible avec la CEDH, a précisé le criminologue lausannois.

Doctrine Johnny Hallyday évitée

Quelques lueurs d'espoir ont néanmoins émaillé la soirée. « Un observatoire suisse de la détention est en passe d'être créé », a expliqué le président de la LSDH-VD, Patrick Herzig. Il se ferait en collaboration avec le Groupe Prisons, qui édite notamment un bulletin trimestriel de nouvelles sur le monde carcéral et dont fait partie l'ancienne conseillère nationale Anne-Catherine Menétrey. D'autres initiatives privées, comme les cafés ou carrefours prisons dans le canton de Vaud, ont aussi vu le jour.

« Nous ne sommes donc pas dans la doctrine de Johnny Hallyday, où les portes du pénitencier se referment sans que l'on sache ce qui se passe derrière », a illustré Baptiste Viredaz. L'avocat a néanmoins évoqué plusieurs « problèmes » qui restent irrésolus. Le contrôle annuel des mesures qui s'avère lacunaire, la manque d'experts indépendants, l'effritement de la confiance des détenus envers les services médicaux et, enfin, le vieillissement de la population carcérale. « Des EMS carcéraux seront bientôt nécessaires », a noté le professeur Kuhn. En Suisse, seules douze places de ce type ont été ouvertes à Lenzbourg (AG).

S. R.


A lire

Le bulletin trimestriel du Groupe Prisons, et d'autres textes en lien avec les conditions de détention en Suisse, peuvent être consultés sur le site de la LSDH-VD.