Jésus parlait de Mammon

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Jésus parlait de Mammon

Pierre Bühler
14 mars 2012
Longtemps, je me suis retenu de parler d’argent d’un point de vue théologique, redoutant de devenir trop vite moralisateur. Mais au vu des évolutions actuelles, il n’est plus simplement question de morale. L’argent, la finance, la richesse est devenue une puissance qui nous tient, qui nous asservit, relevant peut-être plutôt de la religion...


Jésus parlait à cet égard de Mammon. Ce terme araméen signifie « richesse, fortune », mais avec une connotation d’emprise, de pouvoir : bref, une force qui nous possède ! L’étymologie semble assez énigmatique, mais l’hypothèse la plus plausible est qu’il viendrait de l’hébreu aman, qui signifie « se confier, faire confiance ».

Mammon marquerait donc la richesse comme la puissance en laquelle on se confie, et c’est là que résiderait le piège : en nous confiant à elle, nous en devenons dépendants. Elle devient notre maîtresse, notre dieu. « Nul ne peut servir deux maîtres », dit Jésus, marquant ainsi une alternative claire : on ne peut servir Dieu et Mammon en même temps (Matthieu 6, 24).

Cette vieille notion me semble correspondre à ce que nous sommes en train de vivre. Dans Le livre de la jungle, le python Kaa hypnotise Mowgli : « Aie confiance ! » De la même manière, la finance nous tient en son pouvoir. Les taux de change sont devenus notre nouvelle loi : quelques fluctuations, et déjà le monde entier s’angoisse, et pour sauver l’euro, on n’hésite pas à jeter des milliards publics dans les banques.

Près de 49 millions d’Américains vivent sous le seuil de pauvreté

Mais quand on annonce que 49 millions d’Américains vivent actuellement sous le seuil minimal de pauvreté, personne ne semble plus s’émouvoir. Tandis qu’une statistique nous informe que fin 2008, 208’444 Suisses possédaient un million de francs ou plus et que la fortune moyenne dans le canton de Schwyz était de 768'000 francs…Et Nestlé annonce pour l’année 2011 un bénéfice net de 9,5 milliards.

L’austérité, un mot très à la mode aujourd’hui en Europe, vient à l’origine du latin « auster », qui désignait un vent chaud du Sud asséchant les terres et desséchant toute la végétation. Paradoxalement, l’austérité souffle aujourd’hui plutôt comme un grand vent glacial du Nord.

Il est beaucoup question ces derniers temps de sauver la Grèce. Pour ce faire, on proclame l’austérité. Ce mot très à la mode aujourd’hui en Europe vient à l’origine du latin « auster », qui désignait un vent chaud du Sud asséchant les terres et desséchant toute la végétation. Paradoxalement, l’austérité souffle aujourd’hui plutôt comme un grand vent glacial du Nord.

Dictée par les financiers internationaux, elle fait des victimes par milliers, poussées dans le chômage, la pauvreté, la déchéance, et elle supprime les derniers services publics, instaurant partout la sacro-sainte libéralisation. Et quand rien ne va plus en Italie, on va chercher des économistes et des banquiers pour former un nouveau gouvernement. À qui profite la crise, sinon à ceux qui l’ont provoquée ? Une vision d’horreur me rend parfois insomniaque : un monde qui serait entièrement gouverné par des économistes et des banquiers…

Jésus part d’un principe tout simple : « où est ton trésor, là aussi sera ton cœur » (Matthieu 6, 21). Alors, je demande : où est notre cœur ? Et puisqu’il y a un lien entre les deux mots : où est notre courage ? Le courage de prendre des mesures ? Les bonus, tant critiqués, continuent à être distribués allègrement.

Les millionnaires américains autour de Warren E. Buffett continuent à demander qu’on les impose enfin plus. Et on sait qu’on pourrait récupérer 25 milliards par année pour la population suisse en taxant, même légèrement seulement, les grandes fortunes et les transactions financières. Pourtant rien ne se passe : comme Kaa, Mammon nous hypnotise : « Aie confiance ! ».

Par contre, j’apprends que dans le premier volet de la sixième révision de l’assurance-invalidité suisse, on projette de supprimer 12’000 rentes entre 2012 et 2018. Parce que, quand même, ils nous coûtent cher, ces invalides, et il y a des abus…

Alors, moi, je regrette que le mouvement des indignés n’ait pas tenu plus longtemps. Ou, pour reprendre un slogan célèbre : « Arrêtez le monde, je veux descendre ! »

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Le journal français 'Réforme