Micheline Calmy-Rey: «Beaucoup de femmes méritent notre admiration»

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Micheline Calmy-Rey: «Beaucoup de femmes méritent notre admiration»

13 février 2012
A quelques jours de quitter le Conseil fédéral, la Présidente de la Confédération nous a accordé un entretien. Où il a été question de la place des femmes dans la société et de la difficile conciliation entre vie familiale et vie professionnelle.
(Photo: ©Alain Grosclaude)

Propos recueillis par Anne Buloz,VP Genève

La Radio Télévision Suisse a récemment organisé l’élection du «Romand du siècle». Le public a voté pour désigner les dix finalistes parmi une sélection de personnalités romandes ayant marqué les cent dernières années. Le fait qu’aucune femme n’en a fait partie est-il représentatif du chemin restant à parcourir pour les femmes?

Un certain nombre de femmes ont été choisies dans les nonante personnes présentées au choix du public, des femmes qui se sont beaucoup engagées, notamment pour la cause des femmes. Figuraient notamment Ella Maillart, Christiane Brunner et Jacqueline Berenstein-Wavre. Mais il est vrai que le public n’a pas choisi de les mettre dans le top dix.

Est-ce représentatif de la place des femmes dans la société?

C’est représentatif de la place qu’on ne leur a pas laissée dans l’Histoire et qu’on ne leur laisse toujours pas.

Pensez-vous que la condition de la femme s’est améliorée ces dernières années?
Les textes se sont vraiment améliorés. Il existe maintenant une norme constitutionnelle sur l’égalité et une loi. Les textes sont une chose et la réalité une autre. Les femmes gagnent toujours moins que les hommes pour un travail de valeur égale. Et cela aussi dans l’administration fédérale. La réalité est que les femmes ont des problèmes pour concilier vie familiale et vie professionnelle. La preuve en est qu’elles travaillent souvent à temps partiel.

Il y a donc encore beaucoup à faire pour que la condition des femmes progresse?
Bien sûr! Il y a un manque d’infrastructure et pas de véritable politique familiale, qui permettrait aux femmes d’être actives professionnellement sans connaître ces tensions entre vie familiale et vie professionnelle. Ce qui est aussi une réalité, c’est que parmi les personnes qui peinent à joindre les deux bouts en Suisse, on trouve une majorité de femmes. Des femmes qui, de plus, élèvent souvent seules leurs enfants. L’égalité n’est donc pas encore tout à fait la réalité, même si on constate un certain nombre de progrès.

Pourquoi les femmes sont-elles encore minoritaires dans les hautes sphères, dans le secteur bancaire et en politique notamment?

Les femmes sont victimes d’une image de la femme qu’on ne considère pas appartenir naturellement à des fonctions dirigeantes, qu’on n’imagine pas occuper certains postes. Il y a des fonctions dont on les exclut par à priori. L’éventail des professions pour les filles est beaucoup plus restreint que pour les garçons. C’est aussi pour cela qu’il est important que des femmes occupent des hautes fonctions, notamment politiques et économiques. Elles servent de modèles pour les petites filles en leur montrant qu’elles aussi peuvent le faire.

Pensez-vous avoir tracé la voie pour d’autres femmes?

Oui, certainement.

Et vous, avez-vous eu des modèles?

Non, pas vraiment. Beaucoup de femmes m’ont impressionnée parce qu’elles sont intelligentes et actives, qu’elles s’engagent, en politique ou dans leur profession. Elles méritent toute notre admiration. D’autant plus lorsqu’elles cumulent vie familiale, vie professionnelle et vie politique. Franchement, cela tient du tour de force.

Vous aussi, vous avez dû concilier vies familiale, professionnelle et politique. Oui, j’ai cumulé, mais je ne le conseille pas. Cela a été difficile. J’avais le sentiment d’être responsable de l’éducation des enfants et de la vie familiale. Et cette responsabilité, à un moment donné, vous devez l’abandonner. Il y a toujours un peu un sentiment de culpabilité.

Etes-vous féministe dans la vie de tous les jours?

Oh oui, bien sûr. Et je le revendique. Je me suis toujours engagée pour la cause des femmes.

De quelle manière avez-vous participé à la progression des femmes au sein de votre ministère? Y avez-vous imposé des femmes?

Nous avons un bon pourcentage de femmes cadres. En moyenne, 30% au Département fédéral des affaires étrangères et 40% à la Direction du développement et de la coopération. Mais nous n’avons que 15% de femmes ambassadrices. C’est pourquoi j’ai imposé un quota sur le recrutement, c’est-à-dire 50% de femmes et 50% d’hommes. Ce qui a d’ailleurs soulevé un certain nombre de polémiques.

Lesquelles ?

Les habituelles polémiques, à savoir que l’on écarte des hommes compétents au profit de femmes qui n’ont pas les compétences. Il est bien évident que cela s’applique aux femmes et aux hommes de qualités et de compétences égales. On trouve des femmes compétentes, mais elles ne se présentent pas ou ne correspondent pas à l’image que l’on se fait de la fonction.

Vous êtes donc pour les quotas, pour imposer des femmes à des postes de pouvoir?

Oui, je suis pour les quotas. C’est un bon instrument pour augmenter la proportion des femmes. Les Norvégiens en ont fait l’expérience dans le domaine des conseils d’administration. Les objectifs quantitatifs obligent à ne pas se contenter de dire: «On n’a pas de candidate femme, tant pis» et à faire des efforts, à rechercher les candidates et à les convaincre de se présenter. Et aussi à voir les candidatures féminines avec un œil plus ouvert.

Les femmes et les hommes ont-ils des styles de management différents? Une autre manière de fonctionner, que ce soit en politique ou ailleurs, sur le fond ou sur la forme?

Je pense que oui. Pas du fait du sexe, mais de leur rôle dans la famille. Il est possible que cela influence le style de management. Les femmes ont l’habitude de gérer les conflits et d’essayer d’avoir la paix dans leur ménage. Cette manière de faire a une influence sur ce qu’elles font ensuite dans leur vie professionnelle.

Est-ce plus facile de travailler avec des collègues femmes ou hommes au Conseil fédéral?

Nous avons prouvé que le Conseil fédéral peut bien fonctionner, contrairement aux idées reçues, avec une majorité de femmes. Qu’il est capable de prendre des décisions. Et des décisions courageuses, comme la sortie du nucléaire. Ce Conseil fédéral là, avec une majorité de femmes, a démontré sa capacité de parler ensemble, de rechercher le consensus. En tout cas, cela devrait faire tomber des à-priori sur les femmes dans un gouvernement, sur le fait qu’elles ne font que se battre et se tirer les cheveux. Car parfois, on en est encore là.

Considérez-vous comme une réussite le fait d’être restée vous-même tout en étant Conseillère fédérale?

Je ne sais pas si on peut appeler cela une réussite! C’est à peu près normal de rester soi-même et, surtout, de rester fidèle à ses engagements, ce qui me paraît le plus important. La question du respect des droits humains était importante pour moi.

Durant vos neuf années passées au Conseil fédéral, vous vous êtes effectivement beaucoup impliquée dans la politique de paix.

J’ai essayé de positionner la Suisse comme un acteur influent sur le terrain de la politique de paix. Le dernier exemple est la médiation Géorgie-Russie pour faciliter l’entrée de la Russie dans l’OMC. Elle a réussi et la Russie y est entrée tout récemment (ndlr : le 16 décembre 2011). La Suisse a joué un rôle non-négligeable. Nous sommes un pays neutre avec une diplomatie très compétente.

Nous sommes crédibles sur le plan international. Ce positionnement de médiatrice est de surcroît conforme à nos traditions. C’est d’ailleurs à Genève qu’a eu lieu le premier arbitrage international après la guerre de Sécession. J’ai également mis un accent très personnel sur le développement de la Genève internationale et je suis très fière de l’établissement à Genève du Conseil des droits de l’homme.

Et la suite? Comment voyez-vous votre retraite? J’imagine que vous allez rester active?

Bien sûr! Je suis quelqu’un d’engagé, donc je vais le demeurer.

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