Quand l’interruption de grossesse s'invite dans la campagne présidentielle américaine

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Quand l’interruption de grossesse s'invite dans la campagne présidentielle américaine

Jean Martin
1 février 2012
Les questions touchant à la sphère privée prennent une place considérable au coeur des élections américaines. Les primaires n'y échappent pas. Les débats touchant ces domaines y trouvent même un terreau fertil. Exemple avec l'interruption de grossesse.

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Au cours des primaires, les candidats républicains font assaut, entre eux et vis-à-vis de Barack Obama, de polémiques et d’attaques qui vont très au delà du fair play qu’on attendrait d’Anglo-Saxons. Invoquant, parfois contre l’évidence, leurs convictions chrétiennes ; ainsi Newt Gingrich, ancien président de la Chambre des représentants (équivalent du Conseil national chez nous), qui en est à son troisième mariage et une « carrière » assez libre dans ce domaine, se profile comme un des grands chantres des valeurs chrétiennes, familiales et traditionnelles.

Rick Santorum, candidat de Pennsylvanie, catholique fervent, refuse absolument l’interruption de grossesse (IG), y compris après un viol. A propos des options rigides en matière de sexualité courantes outre-Atlantique, je note que les USA ont un taux très élevé de grossesses chez des adolescentes, lié à ce qu’un certain puritanisme empêche de donner des cours d’éducation sexuelle dans les écoles de plusieurs Etats (et selon les comtés - circonscriptions locales). Intéressant aussi de noter que le leader actuel de ces primaires, Mitt Romney, est mormon, ce qui pose problème à nombre de chrétiens plus classiques.

Exemple frappant d’intrusion inappropriée

Un exemple frappant d’intrusion inappropriée à mon sens d’un thème dans le processus politique est la question de l’IG. Depuis, 1973 et un arrêt majeur de la Cour Suprême (cas Roe vs. Wade) l’interruption est admise dans le premier trimestre de la grossesse, avec toutefois des modalités diverses selon les Etats (situation comparable avec ce qu’on a vécu en Suisse, et vit encore dans une certaine mesure, entre les cantons).

Les milieux de la « droite chrétienne » sont en croisade permanente contre ce qu’il voient comme un laxisme immoral (et homicide), alors que les milieux libéraux (au sens américain du terme, à savoir ouverts et plutôt de gauche) défendent la position déterminée il y a 40 ans par la plus haute instance judiciaire du pays. Dans les débats et combats s’opposent les « Pro Life » (pour la vie), vigoureusement anti-IG - il y a eu quelques assassinats de médecins qui la pratiquaient - et les « Pro Choice », pour le droit de choisir de la femme.

Les candidats républicains se voient contraints, sous peine de disparaître de la course, de proclamer des valeurs fondamentalistes rigides, sur base de religion, laissant entendre qu’ils voudraient les voir régir la vie publique, (en matière d’IG, de droits des homosexuels, d’enseignement du créationnisme). Mais tous ont, dans le même temps, un discours revendiquant agressivement moins d’Etat. Et chacun y va de ses envolées sur la liberté qui ne doit pas être écornée par les lois.

Ce qui est particulièrement intéressant, c’est que les candidats républicains se voient contraints, sous peine de disparaître de la course, de proclamer des valeurs fondamentalistes rigides, sur base de religion, laissant entendre qu’ils voudraient les voir régir la vie publique, (en matière d’IG, de droits des homosexuels, d’enseignement du créationnisme). Mais tous ont, dans le même temps, un discours revendiquant agressivement moins d’Etat.

Ils tempêtent contre l’hypertrophie du Gouvernement fédéral, de ses ministères et des cadres légaux et invoquent la grande liberté individuelle promise par la Constitution du pays, datant de plus de deux siècles (1787) et considérée par beaucoup, on peut le dire, comme un texte sacré. Chacun y va de ses envolées sur la liberté qui ne doit pas être écornée par les lois.

Frappant donc, paradoxal, de voir ces milieux « libertariens » faire de la position sur l’IG d’un candidat à un poste élevé un facteur déterminant dans leur attitude à son égard, et de leur vote à venir. J‘entends bien que l’autorité publique peut légitimement agir, dans certains cas, à propos d’IG et mettre des limites à une liberté discrétionnaire (on ne saurait admettre de mettre un terme à des grossesses avancées et ainsi empêcher des foetus viables de vivre).

Mais, s’agissant du premier trimestre de grossesse, une longue expérience de santé publique m’a convaincu que le régime du délai que connaît la Suisse depuis 2002 est de loin le moins mauvais système (il n’y pas de système idéal dans ce domaine – personne au reste, personne, n’aime l’IG mais elle doit parfois être admise et comprise).

La position européenne ouverte (entre autres chez beaucoup de réformés) est que l’IG précoce est au premier chef un problème éthique de conscience personnelle, ressortissant à la sphère privée (« privacy » des Anglo-Saxons), problème que la femme discute avec son conjoint, cas échéant son médecin et d’autres, sans que l’Etat se mêle de sonder les reins et les cœurs.

Or, aujourd’hui aux Etats-Unis, les mêmes ténors qui réclament la liberté quasi sans limites des pionniers veulent prohiber l’IG. Considérant donc qu’il est logique que cette problématiques soit au cœur même de la vie politique et sociétale, balayant du dos de la main la notion que ce serait d’abord une affaire privée. Ce sont là des poussées qui, tout en s’en défendant, vont clairement dans un sens de théocratie.

Mais le fait est, et cela bien sûr arrive aussi dans d’autres pays, qu’on module, qu’on infléchit, les grands principes des discours, en particulier sur les rôles souhaitables ou pas des pouvoirs publics, à ses idées voire à ses prétentions personnelles. Complexité de la vie politique. Dans tous les cas, il sera intéressant de voir au cours de l'année 2012 quel impact ces options morales, qui en soi devraient rester du domaine intime de chacun, auront sur le choix du prochain président des Etats-Unis.

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