Un mystère de Noël qui tourne à la farce

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Un mystère de Noël qui tourne à la farce

Guy Le Comte
25 janvier 2012
Les citoyens suisses ont eu le privilège d’assister pendant les fêtes à une mauvaise pièce de théâtre, un mystère de Noël, joué dans les médias par des acteurs médiocres.


Peu avant Noël, l’ex-conseiller fédéral Blocher qui, rappelons-le, tient tellement au secret bancaire qu’il veut l’inscrire dans la Constitution, est entré, on ne sait trop comment, en possession de documents prouvant que le président de la BNS, M. Philippe Hilldebrand, avait fait à son profit des opérations de change assimilables à un délit d’initié.




M. Blocher, avec un rare esprit civique, choisit de dénoncer Hildebrand, au mépris de la loi. C’était faire oeuvre vertueuse. Ceux qui ne croient pas à sa sincérité affirment cependant que le conseiller fédéral déchu déteste Hildebrand qui prétendait imposer des règles aux banques et les avait contraintes à augmenter leurs réserves, certains ajoutent que la fixation surprise d’un taux plancher de l’euro a fait perdre pas mal d’argent à ses amis.

L’ex-conseiller fédéral a donc fait part de ses soupçons à la présidente de la Confédération, dont les collègues, une fois informés, ont agi avec la plus extrême prudence. Il ne convenait pas de troubler le travail de la BNS dans la période critique que nous vivons. Bref, l’affaire s’enlisa.

Le spectacle pouvait commencer

La presse, avertie, par on ne sait qui, la relança. Notre télévision permit au délateur d’expliquer. Le spectacle pouvait commencer. Quand il s’exprime en français M. Blocher ne fait pas de phrases. Il n’avait qu’un seul mot à la bouche et c’était un vilain mot : spéculateur. Philippe Hildebrand devait partir car c’était un spéculateur.

Il s’agit d’une prédation pure et simple, une prédation de parasites. Le fait que la spéculation soit, paraît-il, banale et même normale, n’empêche pas qu’elle soit au moins moralement, condamnable. Ces prédations généralisées qui échappent à l’impôt sur le revenu finiront par avoir raison de nos sociétés démocratiques, contraintes d’obéir aux lois du marché totalement dérégulé.

Je suis de ceux qui pensent que spéculer est condamnable, mais j’ai peine à croire qu’on devienne milliardaire sans s’y risquer ou sans stipendier des gens pour le faire à sa place. Je ne crois pas non plus que les intimes amis de l’ex-conseiller fédéral, MM. Ospel, Grubel et Ebner n’aient jamais spéculé. J’ai donc été saisi par le doute.

La défense de M. Hildebrand, qui suivit, m’a mis je dois le dire mal à l’aise. L’homme est brillant, c’est incontestable, élégant, et s’exprime dans un français parfait. Son numéro était bien préparé. Il a confessé une faute éthique mais il pensait n’avoir rien à se reprocher sur le plan pénal. L’opération litigieuse avait été faite par sa femme à qui, dès le lendemain, par courriel, il avait interdit de recommencer. M. Hildebrand a bien analysé la situation mais n’a pas fait ce qu’il aurait dû pour sauver ses meubles: revendre immédiatement à perte les dollars mal acquis.

Son plaidoyer un peu enfantin contenta cependant bien des gens. Il ne fut pas absous mais pardonné. La Confédération ne pouvait pas, pour une peccadille, se passer d’un homme providentiel, le seul banquier de Suisse capable de barrer dans l’orage la barque de la BNS. Pour un peu Tell se fût prénommé Philippe!

Les fauves hélas avait humé l’odeur du sang, et, après quelques révélations gênantes sur le montant de ses impôts, Hildebrand jeta l’éponge parce qu’il ne pouvait pas prouver ses dires. La pièce eût pu s’arrêter là, mais nous avons eu droit depuis à quelques rebondissements spectaculaires et nous pouvons en attendre d’autres plus ou moins nauséabonds.

Madame Hildebrand, du bout du monde, demanda pardon au peuple suisse. Elle le fit avec une grande froideur et une rare maladresse, en infligeant d’abord à ses auditeurs forcés un cours sur la bonne manière de commettre un délit d’initié avant d’affirmer avec force qu’elle n’en avait pas commis un parce que tous ceux qui connaissent quelque chose à la finance savaient bien qu’un jour son mari agirait et tenterait de bloquer la hausse du franc.

« Relent d'inquisiteur médiéval »

Christoph Blocher est rancuneux. Il est reparti en guerre à l’Albisgüetli, lors de la grande foire folklorique annuelle de l’UDC zurichoise. Il a menacé Hildebrand et les Conseils de la BNS d’un « feu purificateur ». A qui a-t-il emprunté cette expression ? à son père pasteur ou à Torquemada ? Il y a chez ce capitaine d’industrie comme un relent d’inquisiteur médiéval.

Il passa ensuite la parole à l’invité qui remplaçait la Présidente de la Confédération, le banquier Oswald Grubel. Ce dernier dans son allemand légèrement nasillard mais à l’intonation parfaite nous livra le fin mot de l’histoire. Il faut défendre le franc le plus fort possible parce qu’un franc fort augmente la fortune des Suisses. M. Grubel ne croit pas que le franc fort pénalisera l’industrie suisse, ou plutôt il s’en moque, les victimes de la crise que sa hausse provoque sont des petits. La BNS et le Conseil fédéral, sans qui, remarquons-le, Oswald Grubel ne serait qu’un banquier failli, font fausse route, ils se doivent de soutenir ceux qui possèdent contre ceux qui n’ont que leur travail pour vivre.

Quelle morale tirer de cette histoire grotesque ?

Quelle morale tirer de cette histoire grotesque ? Le vrai scandale de l’affaire Hildebrand, c’est qu’en une seule opération qui, de l’avis de madame Hildebrand, qui s’y connaît mieux que moi, ne demandait aucune connaissance particulière et n’a produit aucune valeur ajoutée, des individus simplement parce qu’ils ont de l’argent peuvent gagner une somme supérieure au salaire moyen annuel des Suisses.

Il s’agit d’une prédation pure et simple, une prédation de parasites. Le fait qu’elle soit, paraît-il, banale et même normale n’empêche pas qu’elle soit, au moins moralement, condamnable. Ces prédations généralisées qui échappent à l’impôt sur le revenu finiront par avoir raison de nos sociétés démocratiques, contraintes d’obéir aux lois du marché totalement dérégulé.

Il est temps de réagir et de revenir aux vraies valeurs comme le suggère Christoph Blocher. Celles d’une société démocratique sont assez différentes des siennes, ce sont le travail certes mais aussi l’honnêteté, même morale, la responsabilité sociale, la solidarité. Comme je suis chrétien, j’y ajouterais volontiers l’amour du prochain, dont les pitoyables personnages de notre triste mystère de Noël me semblent totalement dépourvu.