Un rêve de liberté

légende / crédit photo
i
[pas de légende]

Un rêve de liberté

Guy Le Comte
16 novembre 2011
J’ai visité la Syrie, il y a trois ans. Un voyage soigneusement préparé vers des lieux dont j’avais rêvé dès le temps de mes études : Damas et sa mosquée des Ommeyades, Bosra et son théâtre, les forteresses franques, Apamée et ses colonnes, Ebla et sa bibliothèque, enfin en bout de course, Palmyre, ses temples et ses tombeaux, Palmyre hantée par les ombres d’Odeinath et de Zénobie.
(Légende photo: la reine Zenobie a régné sur la ville de Palmyre (267-273) et brièvement sur une partie de l'Empire romain. )

*

Ce voyage vers des rêves anciens fut l’occasion d’une belle rencontre, celle des Syriens, aimables, souriants et hospitaliers. A Shebna, lieu de naissance de l’empereur Philippe l’Arabe, des dizaines de classes enfantines visitaient le musée, et les enfants rieurs nous interpellèrent joyeusement.

Les adultes avec qui nous avons pu converser, affirmaient mieux vivre, depuis que Bachar el Assad avait succédé à son père. Ils se disaient confiants dans l’avenir. Il m’a semblé cependant voir poindre de la résignation dans leurs propos. La très grande majorité de la population vivait en effet dans une précarité constante, marquée par des pénuries nombreuses d’essence, d’eau, d’électricité et même de nourriture. J’ai vu un vendredi soir sur le site d’Ougarit des jeunes, garçons et filles, se réunir pour faire la fête. Ils avaient amené des bouteilles d'eau, et pour la musique, un appareil de radio. Et j’ai pensé à notre jeunesse insatisfaite qui ne trouve pas toujours des lieux où s’éclater.

Inégalités sociales

Les inégalités sociales étaient patentes. Je n’ai pas vu les misérables qui croupissaient dans les faubourgs. Les gens que j’ai rencontré étaient le plus souvent pauvres mais dignes, ils n’entraient que pour travailler dans les palaces où les possédants étalaient leur luxe et leur morgue.

Je suis rentré en Suisse plein de sympathie pour les Syriens. Le printemps arabe a ravivé cette sympathie, à laquelle s’ajoute aujourd’hui de l’admiration pour leur courage, car il faut du courage pour manifester chaque vendredi, affronter les tirs des soldats bachariens et enterrer ensuite ses morts sous les balles des suppôts du régime. Il y a eu dans les manifestations du début beaucoup de résolution et beaucoup de désespoir aussi. Chaque vendredi, je refais mon voyage heureux d’autrefois dont les étapes, Damas, Homs, Hama, Lattaquié, sont désormais sanglantes. Le régime montre semaine après semaine le caractère répressif qu’il camouflait si bien, Bachar quoiqu’on en ait dit et quoi qu’en pense encore certains est bien le digne fils de son père.

Les Syriens veulent être libres. Ils ne supportent plus le contrôle permanent du régime, ils veulent se déplacer librement à l’intérieur de leur pays, converser avec leurs amis sans redouter les oreilles des espions des Assad. Ils veulent aussi mieux vivre. Les manifestations syriennes furent longtemps pacifiques mais petit à petit elles se réduisent et se durcissent, car, en massacrant sans faiblir, le pouvoir bacharien a trouvé la parade.

La résistance non violente atteint vite ses limites quand la violence du pouvoir n’est pas limitée. Le désir d’être libres ou le désespoir dans lequel la misère vous plonge ne suffisent plus pour affronter les balles, quand, à chaque manifestation, les morts se comptent par dizaines.

La résistance non violente atteint vite ses limites quand la violence du pouvoir n’est pas limitée. Le désir d’être libres ou le désespoir dans lequel la misère vous plonge ne suffisent plus pour affronter les balles, quand, à chaque manifestation, les morts se comptent par dizaines. L’instinct de conservation reprend le dessus. On manifeste moins ! Le rapport de force est tel que le découragement s’est emparé de beaucoup de manifestants, d’autres ont pris les armes.

La question se pose. Un mouvement non violent peut-il aujourd’hui renverser un régime autoritaire et prêt à tout ? J’en doute ! Ben Ali est tombé parce qu’il a été surpris, Moubarak parce que les manifestants hostiles étaient trop nombreux et parce que ceux avec qui il partageait le pouvoir ont redouté qu’il ne les entraîne avec eux dans sa chute.

Le printemps arabe nous renvoie à ce printemps des peuple de 1848. La Suisse moderne est née cette année-là, mais, pour naître, elle est passée par l’épreuve d’une la guerre civile en 1847. Le printemps des peuples a échoué partout. La République française qui en était issue s’est en trois ans transformée en empire, la République Vénitienne a succombé sous les coups de Radzeki, celle de Hongrie sous ceux des Russes.

Le printemps arabe est-il mieux parti ? La soif de liberté et l’espoir de mieux vivre ont été et sont encore ses moteurs mais si la Libye, riche en pétrole, n’avait pas été aidée par l’OTAN, Khadafi aurait noyé dans le sang la révolte de ses sujets. L’émir de Bahrein a ramené les siens à l’obéissance avec l’aide de ses confrères du golfe. La guerre civile a repris au Yemen. Les conservateurs ont encore des cartes à jouer en Tunisie et l’Egypte n’a toujours pas voté.

Les Syriens devront se résigner ou, comme les Suisses de 1847, en passer par la guerre civile. Le régime ne pliera pas. Il a des moyens et des partisans qui n’ont pas d’autre choix que de le soutenir. Les Alaouites, minorité à laquelle appartiennent les Assad, ne compteront plus pour grand-chose dans une Syrie démocratique, la loi du nombre est contre eux. Ils le savent. Ils vendront chèrement leurs places privilégiées.

C’est un triste destin pour des gens pacifiques que d’avoir à choisir entre l’oppression définitive et la guerre toujours destructrice. Les Syriens sont bien seuls, personne ne les aidera, la chute de Bachar causerait des problèmes à tout le monde et la Syrie n’a pas de pétrole.

Il est à New York une statue, celle de la Liberté, qui éclaire le monde. La liberté a ceci de particulier que si personne ne brûle pour elle, elle n’éclaire plus rien. Aujourd’hui les Syriens brûlent pour la liberté mais le monde ne voit rien, il regarde ailleurs.

LIRE*

les chroniques de Guy Le Comte déjà publiées sur le site de ProtestInfo :

- Ne plus croire à rien, ni même dans la démocratie !

- Les mendiants m'énervent

- Une simple question à un collègue

- Le réformé subira-t-il le sort de l’homme de Néandertal ?

- Quel lien peut-il bien y avoir entre le vote des femmes et l’abolition de la peine de mort ?