Pour beaucoup de prestidigitateurs, la religion n’est qu’un tour de passe-passe
Dans son nouveau livre, « God, No! » (Dieu, non!), Penn Jillette affirme qu’il méprise les prestidigitateurs qui recourent aux tours de magie pour tenter de faire subrepticement passer un message spirituel auprès du public. La magie ne rend pas athée, dit-il, mais avec elle, il est bien plus difficile d’être croyant.
« Je me suis toujours demandé comment un prestidigitateur pouvait être croyant », écrit-il avant de fustiger les magiciens qui allient le vaguement mystique ou l’assurément chrétien avec les tours de passe-passe. « Il me semble que représenter l’événement le plus important d’une philosophie donnée au moyen d’une astuce achetée à 19,95 dollars dans un magasin de farces et attrapes le dévalorise quelque peu. »
Penn Jillette, 56 ans, n’est pas le seul à penser cela. Plusieurs magiciens connus et influents affirment que leur art est lié à leur absence de convictions religieuses. Ils ont fait suffisamment de tours de passe-passe pour comprendre l’attrait de la croyance religieuse.
« Nous, les magiciens, nous faisons basculer les gens dans l’émerveillement », explique Joshua Jay, prestidigitateur originaire de New York, athée et auteur de « Magic: The Complete Course » (La magie de A à Z).
« Mais en tant que magicien, le prix à payer, c’est que je ne pourrai moi-même plus jamais vivre la magie. Plus on en sait sur la magie, plus il est difficile de faire un acte de foi, car nous savons que ces choses qui pour beaucoup de gens relèvent de l’inconnu ne sont pas surnaturelles. »
Personne n’affirme qu’en s’intéressant à la magie on devient immédiatement sceptique ou non croyant. D’ailleurs, la Communauté des magiciens chrétiens compte des membres aux quatre coins du monde, et le prestidigitateur Jeff McBride organise des rassemblements très suivis de magiciens alliant magie et mystique.
Magiciens sceptiquesCependant, la liste des prestidigitateurs sceptiques ou athées ne se limite pas au duo Penn and Teller; y figurent également des noms tels que James Randi, Jamy Ian Swiss, Banachek et Joe Nickell.
« Quand on apprend la magie, on ne devient pas automatiquement un sceptique du surnaturel », a expliqué D. J. Grothe, président de la Fondation James Randi pour l’éducation, qui a été créée par le magicien du même nom pour déboulonner les mythes liés au surnaturel. « Mais la magie aide effectivement à comprendre comment fonctionne l’esprit et à quel point il est facile de se laisser tromper. Il peut en découler un scepticisme utile. »
Bien que certains groupes religieux considèrent que la magie est l’œuvre du diable, cela n’a pas toujours été le cas. Les premières civilisations portaient aux nues les hommes saints, et leurs rituels étaient souvent vus comme de la magie par leurs tribus.
Au 17e siècle, l’archevêque de Cantorbéry John Tillotson avait supposé que le terme « hocus-pocus », utilisé en anglais pour la magie, provenait du latin « hoc est corpus ». Cette expression est employée dans la messe catholique quand le pain et le vin deviennent de façon mystique le corps et le sang de Jésus Christ.
En 1584, un noble anglais, Reginald Scot, publiait un ouvrage intitulé « The Discoverie of Witchcraft ». Il y affirmait que la raison doit se détourner de la magie et de la sorcellerie, un point de vue partagé par les sceptiques de notre époque.
Perte de statutTrès vite, les magiciens perdirent leur statut mystique et furent amenés à se produire dans les foires. Houdini, l’un des plus célèbres magiciens, a consacré la majeure partie de sa carrière à dénoncer les supercheries des médiums et spiritistes charlatans.
Joshua Jay cite Houdini parmi ses influences. Comme lui, il a été élevé dans une famille juive. Ce qui l’a conduit à la magie à l’âge de sept ans l’a par la suite entraîné vers le scepticisme, puis l’athéisme.
« C’est une curiosité de comprendre comment les choses fonctionnent », explique-t-il. « J’ai toujours eu un penchant pour l’athéisme, mais la magie l’a justifié. Elle a en quelque sorte alimenté ce besoin de comprendre ce qui explique les choses, ainsi que mon amour pour la science. »
Penn Jillette en est quant à lui arrivé à la magie, au scepticisme et à l’athéisme différemment. Quand il avait 11 ans, ses parents lui ont offert le jeu « Amazing Kreskin », qui prétendait fonctionner sur la base de la perception extrasensorielle. Incapable de réaliser les tours, Penn Jillette s’est mis à détester la magie, ayant le sentiment que ce n’était qu’un tissu de mensonges.
Une dizaine d’années plus tard, il rencontrait James Randi et Raymond Teller. Ces rencontres l’ont convaincu que la magie pouvait dévoiler les vérités, que ce soit sur l’univers, le cerveau, l’humanité ou toute autre chose. Aujourd’hui, il affirme que la magie, le scepticisme et l’athéisme sont « toute sa vie ».
« J’en suis venu à la magie parce que j’étais un sceptique », a-t-il indiqué dans une interview. « Je pense qu’il est important de partager la vérité avec les autres. C’est tout. C’est important pour des raisons esthétiques, artistiques, émotionnelles, et je pense que c’est important pour la moralité. »
Lien entre magie et spiritualitéLes magiciens – même les sceptiques – ne pensent pas tous que magie et spiritualité font mauvais ménage.
« Je pense qu'il existe un lien plus profond et plus réel entre la magie et la spiritualité qu'entre la magie et l'athéisme », affirme Eugene Burger, professeur de magie et diplômé en théologie. « Selon moi, la plupart des gens qui sont passés de la magie à l'athéisme l'ont fait à cause d'une généralisation erronée; ils pensent probablement que puisque certaines choses sont des tours de passe-passe, toute chose est un tour de passe-passe. »
Eugene Burger, qui se définit lui-même comme un sceptique, voit une image spirituelle dans le célèbre tour de magie où trois anneaux distincts sont réunis en un. Pour lui, c'est une vraie métaphore de la volonté qu'ont les gens brisés de se reconstituer.
« Le prestidigitateur a un rôle à jouer », déclare Eugene Burger. « Il permet de rappeler à des gens qui ont grandi dans une société hautement technologique certaines choses que nous risquons d'oublier. Les choses ne sont pas toujours ce qu'elles semblent être. La magie affirme que ce qu'on pense impossible est peut-être quand même possible. »
Une photo de Penn Jillette est disponible à partir du site www.religionnews.com (1155 mots-ENI-11-F-0143-JMP)