Les "Autobahnkirchen", haltes pour l'âme sur les autoroutes allemandes
« Nous cherchons à prendre intégralement soin de nos visiteurs – pas seulement de leur voiture, mais aussi de leur corps, de leur âme et de leur esprit », explique Anna Isabell Strohofer, dont les parents ont ouvert la chapelle œcuménique de la Lumière-sur-le-Sentier il y a dix ans sur l’aire de repos que tient sa famille près de Nuremberg, dans le sud de l’Allemagne. « Notre famille voulait faire un endroit où les automobilistes puissent récupérer mentalement. »
C'est une tragédie familiale qui a influencé leur décision. « Le frère de ma mère est mort à l’âge de 18 ans dans un accident de la route », raconte Mme Strohofer. « On avait toujours été très croyant dans ma famille, mais cet accident n’a fait que renforcer notre foi. Cela a incité ma famille à construire l’église: pour entretenir son souvenir. »
L’église attire aujourd’hui toutes sortes de voyageurs, qu’ils descendent de cars de touristes ou de camions traversant l’Europe. Elle accueille même des cérémonies où des motards font bénir leurs engins. Au Moyen-Age, pèlerins et autres voyageurs invoquaient la protection divine au fil des croix et des chapelles dressées le long des routes. La tradition a perduré et semble plus vivante que jamais dans les églises autoroutières de notre époque.
« Je vous remercie de m'avoir protégé des accidents sur 5000 km pour retourner voir ma famille », a écrit quelqu’un dans le livre des visiteurs de la communauté protestante et église autoroutière du village de Werbellin. « Merci pour cette oasis sur le chemin de notre vie », dit un autre message.
Pourtant, ces « aires de repos de l’âme », qui permettent de faire une pause et de réfléchir, sont loin d’être des reliques du passé, affirment leur défenseurs. Elles répondent à un besoin de notre époque.
« Ce qui est nouveau, c’est qu’on vit à toute vitesse de nos jours », affirme Günter Lehner, de l’Akademie Bruderhilfe-Pax-Familienfürsorge, une compagnie d’assurance chrétienne qui coordonne les 38 églises autoroutières d’Allemagne. « Aujourd’hui, il faut lever le pied, faire une pause en chemin, parce que les voitures vont très vite et que la vie va très vite », dit-il.
La première église autoroutière, l’église catholique romaine de Marie-Protectrice-des-Voyageurs, a ouvert en 1958. Elle devait être un monument visible depuis l’autoroute, n’ouvrant qu’une fois par semaine pour la messe dominicale. Mais cela ne suffisait pas pour les automobilistes.
« Les gens ont commencé à s'y rendre mais ils se retrouvaient face à des portes closes », raconte le père Wolfram Hoyer dans une interview. « Alors on a ouvert l’église et les gens y ont afflué. Ils voulaient simplement s’éloigner de la circulation, trouver un endroit pour se reposer – psychologiquement, physiquement, religieusement – puis poursuivre leur route. » Il ajoute: « Il s’agit en quelque sorte de stations-service spirituelles. »
Aujourd’hui, indique le père Hoyer, des portes automatiques comme dans les supermarchés permettent aux fidèles d’y accéder 24 heures sur 24 et 365 jours par an et de nouvelles églises autoroutières continuent de s’ouvrir à travers le pays.
Certaines, comme Marie-Protectrice-des-Voyageurs, ou Saint-Christophe-d’Himmelkron, sur l’axe principal entre Berlin et Munich – avec son clocher en forme de fusée et sa salle dédiée à la méditation – ont été construites spécialement pour l’autoroute. D’autres se trouvaient là bien avant que l’autoroute ne fasse défiler ses cohortes de véhicules. Toutes les églises sont clairement signalées par des panneaux depuis l’autoroute. L’Akademie Bruderhilfe estime qu’elles attirent près d’un million de visiteurs par an.
« Tout automobiliste se retrouve tôt ou tard dans une église autoroutière », selon le père Hoyer. « Je sais d’après notre livre des visiteurs que nous avons eu plusieurs juifs, plusieurs musulmans et des gens qui affirment ne pas être croyants, mais ils le sont, d’une certaine manière; ils s’arrêtent pour prier ou méditer. »
D’aucuns pensent que le succès des églises autoroutières à une époque où les paroisses ordinaires sont en déclin n’est pas seulement dû aux moyens de transport modernes, mais aussi à une évolution de la pratique cultuelle.
« Même si les gens sont de moins en moins attirés par l’office religieux du dimanche, ils ont besoin du silence des églises et l’apprécient », affirme Günter Lehner. « Je pense que c’est là une utilisation très moderne des églises. » (787 mots-ENI-11-F-0142-JMP)