« L'éthique protestante », une valeur toujours forte aux Etats-Unis

légende / crédit photo
i
[pas de légende]

« L'éthique protestante », une valeur toujours forte aux Etats-Unis

26 septembre 2011
Plus d'un siècle plus tard, de nouvelles recherches montrent que quels que soient ses mérites,
En 1905, Max Weber publiait l'ouvrage de référence intitulé L'Ethique protestante et l'esprit du capitalisme, dans lequel il affirmait que la croyance calviniste en un plan de Dieu pour le salut a été un élément déterminant dans l'avènement du capitalisme. Plus d'un siècle plus tard, de nouvelles recherches montrent que quels que soient ses mérites, cette croyance qui encourage les gens à travailler dur pour gagner de l'argent et attirer ainsi sur eux la bénédiction divine se porte bien chez certaines franges de chrétiens aux Etats-Unis.

Cela se vérifie particulièrment chez les chrétiens évangéliques, fers de lance du conservatisme économique, et cette idée explique en bonne partie le débat politique qui divise le pays actuellement, donnant le ton de la campagne présidentielle.

Selon l'Etude sur la religion de l'Université Baylor publiée le 20 septembre, près de trois quarts des habitants des Etats-Unis croient que Dieu a un plan pour leur vie. Ce sont les personnes les plus attachées à ces croyances – environ quatre sur dix – qui sont les plus susceptibles d'épouser le genre de philosophie économique conservatrice prônée par le mouvement du Tea Party.

En effet, les croyants qui affirment que Dieu guide leur vie et qu'il protège les Etats-Unis de sa bénédiction sont bien plus susceptibles que les autres Américains de penser que « le gouvernement en fait trop » et que les « personnes valides qui ne travaillent pas ne devraient pas percevoir d'allocations chômage ».

En outre, il est au moins deux fois plus probable qu'ils approuvent l'affirmation selon laquelle le succès « s'atteint par le travail et non la chance ».

L'étude de l'Université Baylor, réalisée auprès d'un échantillon de plus de 1700 adultes à l'automne dernier, indique que les protestants noirs sont les plus enclins à épouser ces idées (71%), suivis des évangéliques (55%). Les catholiques et les protestants traditionnels sont loin derrière, à environ 42%, tandis que les croyants sans affiliation particulière et les juifs sont en queue de peloton, avec environ 3% d'approbation.

Protestantisme économique et Adam Smith

Sociologue à l'Université Baylor, Paul Froese souligne que le protestantisme économique d'aujourd'hui semble adhérer aux idées du marché libre mises en avant par Adam Smith, le célèbre philosophe moraliste du 18e siècle qui a élaboré la théorie de la « main invisible » de la concurrence, et aux opinions libertaires plus récentes de l'économiste de l'Université de Chicago Milton Friedman.

Paul Froese note cependant que les croyants des Etats-Unis ajoutent à ces théories de marché libre une importante couche de religion, affirmant que Dieu fait pencher la balance – en leur faveur, bien sûr – tant qu'ils restent de véritables croyants industrieux.

« Pour beaucoup d'Américains, la main invisible d'Adam Smith est devenue la main de Dieu », explique Paul Froese. Ce genre de théologie économique est revendiquée avec force par le parti Républicain, et en particulier par les candidats à la présidentielle Rick Perry et Michele Bachmann.

« Les candidats politiques peuvent encourager le conservatisme économique et le désengagement de l'Etat tout simplement en invoquant un Dieu engagé », explique Paul Froese. « Et cela marche, parce que de nombreux électeurs ordinaires pensent qu'un Etat désengagé et un taux d'imposition bas font partie du plan de Dieu. »

Cette approche fonctionne également sur le plan politique, car contre toute attente, les citoyens des Etats-Unis aux revenus les plus faibles et aux niveaux d'éducation les plus bas sont davantage susceptibles de penser que Dieu a un plan pour leur vie et que, en matière d'économie, le meilleur gouvernement est celui qui gouverne le moins. Les protestants afro-américains constituent cependant une exception à cette tendance, car ils croient à la fois en un Dieu qui guide leur vie de sa main et à un gouvernement fort.

« Evangile de prospérité »

Par exemple, 41% des personnes interrogées ont affirmé être « fermement convaincus » que Dieu a un plan pour eux, mais seuls 17% des sondés ayant un revenu de plus de 100 000 dollars EU partageaient cette conviction.

Malgré la progression de la précarité économique, cet optimisme populaire a également été démontré par un récent sondage Associated Press-CNBC, selon lequel deux Américains sur dix pensent devenir millionnaires dans les dix prochaines années. Plus cette conviction est forte, plus la position dans l'échelle économique est basse, et donc plus les chances d'atteindre ce nirvana économique sont faibles.

Cette attitude est considérée par ses détracteurs comme une pensée magique offrant les personnes les plus vulnérables financièrement aux arguments des prédicateurs de « l'évangile de prospérité ». De leur chaire télévisuelle, ceux-ci sollicitent des dons qui, affirment-ils, apporteront des bienfaits économiques à leurs téléspectateurs.

Cependant, la popularité de cet « évangile de la richesse » pourrait aussi influencer le résultat de la confrontation à Washington, alors que le président Obama tente de se faire réélire sur un programme « d'équité » économique, c'est-à-dire des hausses d'impôts pour les plus riches et des coupes budgétaires. De leur côté, les Républicains s'opposent aux projets du président en mettant en garde contre la « lutte des classes », préférant en réalité défendre les riches en période de quasi-récession et d'inégalités économiques croissantes.

Ce message pourrait pourtant bien fonctionner pour le Parti républicain si, dans les classes moyennes et ouvrières, suffisamment d'électeurs croient que, eux aussi, ils parviendront bientôt à se hisser, avec l'aide de Dieu, à cette catégorie de hauts revenus, pourvu que Washington ne les en empêche pas. (913 mots-ENI-11-F-0114-JMP)