Renvois forcés: la FEPS critiquée par sa base pour son implication

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Renvois forcés: la FEPS critiquée par sa base pour son implication

Anne Buloz
15 septembre 2011
La Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS) en a étonné plus d’un en s’engageant à assurer durant six mois l’observation des vols de retour forcés de requérants d’asile déboutés. Une mission délicate qu’elle a acceptée afin d’améliorer leurs conditions. Nombreux sont les militants qui ne comprennent pas cette démarche, qu’ils jugent contradictoire avec son engagement en faveur de l’asile.




Alors que le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), notamment, a refusé ce mandat, l’organisme faîtier des protestants a choisi de l’accepter. Simon Weber, porte-parole de la FEPS, regrette l’amalgame fait par certains opposants à cette décision: « Ils confondent souvent deux choses: le renvoi et l’observation de quelque chose qui existe. Lorsque la loi a été acceptée en votation populaire, nous avions précisé vouloir voir concrètement la manière dont les choses seraient faites. C’est une des manières de le vérifier plus activement. » Rôle de médiation et modération


La FEPS aide ainsi à mettre en application une loi qu’elle avait pourtant combattue lors de la votation: « Personne ne s’est bousculé au portillon pour le faire. C’est un dossier délicat, la situation de ces personnes est extrêmement difficile et pénible. Le Conseil de la FEPS a accepté le rôle de médiation et de modération, sur demande de l’Office fédéral des migrations, au nom de l’être humain et de la défense de ses droits. L’objectif de ce projet-pilote est de mettre en place une autorité afin que les choses s’améliorent, pour que les conditions de ces gens qui sont dans une situation détestable soient au moins dignes des droits de l’homme et d’un Etat de droit. »

Une explication qui ne convainc pas Nicole Andreetta, collaboratrice à l’aumônerie genevoise œcuménique auprès des requérants d’asile (AGORA). Elle juge cette implication contraire au document « Aux côtés des réfugiés », rédigé en 1985 par les Eglises réformée, catholique et la communauté israélite: « Depuis, elles ont réaffirmé à trois reprises leur engagement de maintenir un espace pour le respect de la dignité humaine. Les moyens pour renvoyer les personnes venues en Suisse chercher de l’espoir sont disproportionnés et sans respect de la dignité humaine. »

Nicole Andreetta pense que ce n’est pas le rôle des Eglises de veiller à ce que les retours forcés se passent bien: « Pour moi, c’est incompatible avec l’engagement de l’Eglise au côté des réfugiés et contraire à son éthique. Les Eglises doivent conserver leur liberté de s’exprimer pour être une force d’interpellation. »

Pour Simon Weber, l’un n’empêche pas l’autre: « La FEPS est favorable aux gens en position de faiblesse et démunis et le fait régulièrement savoir lors des élections fédérales. Notre rôle est de veiller à la dignité des personnes renvoyées. L’expérience allemande, où l’Eglise mène des missions d’observation depuis 10 ans, montre que cela a permis une plus grande transparence. »



Les acteurs de terrain pas consultés


Opposée à cet engagement sur le fond, Antoinette Steiner Delacrétaz en refuse également la forme. « Cela a été fait sans aucune concertation avec les acteurs de terrain, qui sont aux premières loges. Aucun de mes collègues travaillant dans les aumôneries de l’aéroport ou des centres d’enregistrement n’a été consulté. Cela me pose problème et m’inquiète sur un fonctionnement de l’Eglise qui n’est pas démocratique. La tradition réformée prend en compte la base et permet un débat ouvert », regrette l’aumônière du centre d’enregistrement et de procédure (CEP) de Vallorbe.

Avec d’autres aumôniers, elle a écrit une lettre au chargé de migration à la FEPS, afin de lui faire part de leur interrogation: « Nous souhaitons que le débat qui n’a pas eu lieu soit mené maintenant. Personnellement, je ne comprends pas du tout cette décision, qui m’a beaucoup choquée. Les Eglises s’occupent d’êtres humains et sont toujours du côté des gens marginalisés. Dans ce sens, c’est donc bien qu’elles aient une opinion. Je ne pense pas qu’elles puissent être neutres, c’est pourquoi être observateur me paraît être une position extrêmement difficile. »

J’ai face à ce choix un peu le même réflexe que face à une exécution capitale. Est-ce que l’Eglise devrait y assister pour s’assurer que l’exécution a lieu dans les meilleures conditions et que le condamné ne souffre pas trop ou devrait-elle être devant la prison pour protester ?

Antoinette Steiner Delacrétaz pense que ce n’est pas le rôle des Eglises de faire que les choses se passent le moins mal possible. « J’ai face à ce choix un peu le même réflexe que face à une exécution capitale. Est-ce que l’Eglise devrait y assister pour s’assurer que l’exécution a lieu dans les meilleures conditions et que le condamné ne souffre pas trop ou devrait-elle être devant la prison pour protester? Je ne suis pas d’accord avec de tels traitements, comme le fait d’être ficelé, qui ne sont pour moi pas respectueux de l’être humain », conclut l’aumônière.

Une quinzaine de vols observés

Pour Simon Weber, rien d’étonnant à ce que cette décision ne fasse pas l’unanimité: « Cela paraît normal, dans un dossier aussi délicat, que tout le monde ne soit pas du même côté. Beaucoup de gens, dont des gens d’Eglise, m’ont dit que c’est absolument remarquable et courageux de la part de la FEPS. »

Un avis que partage Walter Schmid, membre du conseil de fondation de l'Entraide Protestante Suisse: « La FEPS a raison de le faire. Les Eglises s’engagent aux côtés des réfugiés pour qu’ils aient un traitement digne et doivent continuer à s’y intéresser lorsque les plus vulnérables, ceux qui n’ont plus de statut, sont expulsés. C’est cependant important, pour que cet engagement ait un sens, qu’elles puissent revendiquer leur indépendance et se montrer critique. C’est ma seule réserve. »

Les cinq observateurs, qui viennent d'être nommés, parmi lesquels figurent Mario Annoni, l'ancien conseiller d'Etat du Jura bernois et actuel président de Pro Helvetia, surveillent le transfert du centre de détention, les préparatifs du vol et la remise aux autorités locales. « Ils feront leur rapport au groupe 'experts' à la fin de l’année. Ils diront par exemple si c’est acceptable que des personnes soient entravées au point de ne pouvoir ni bouger ni parler, si c’est la seule solution et si elle est digne d’un Etat de droit. Ils feront des recommandations pour que ce qui peut être amélioré le soit. Si cela ne fonctionne pas à la fin de l’année, alors ce sera l’échec du projet », conclut Simon Weber. Le premier vol accompagné, sur la quinzaine de vols de retours forcés observés d’ici fin 2011, a déjà eu lieu.

  • "Hautes Fréquences" sur RSR La Première diffusera des témoignages d'observateurs des renvois forcés dimanche 18 septembre à 20h00.

  • "Faut pas croire" sur la TSR a diffusé samedi 3 septembre un débat entre Simon Weber, porte-parole de la FEPS et Nicole Marie Andreetta, collaboratrice à l'AGORA, aumônerie œcuménique genevoise auprès des requérants d’asile. A voir ou revoir en cliquant ici.

  • Vous pouvez lire ou relire sous la rubrique "Opinions" de ProtestInfo les avis du théologien Pierre Bühler sur cette question et de Walter Schmid, membre du conseil de fondation de l'Entraide Protestante Suisse.