Un baptême païen

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Un baptême païen

Muriel Schmid,
31 août 2011
L’été s’est achevé, du moins cet été académique qui ponctue la vie universitaire et scolaire du monde occidental. Mon été m’a fait voyager: la Suisse d’abord, la Hollande, la Palestine et finalement le Canada. Je suis maintenant à la maison à Salt Lake City et je me nourris de ces paysages et des rencontres faites au fil des semaines écoulées.

Salt Lake City

Ma dernière escapade vient de se terminer ; je suis rentrée il y a quelques jours d’une visite de 12 jours dans l’Ontario avec une délégation des Christian Peacemaker Teams (CPT), un groupe chrétien fondé par les Mennonites et les Quakers qui assure une présence dans divers coins du monde où les populations locales ont besoin de soutien international (www.cpt.org). Que font-ils donc au Canada?, s’étonnent de nombreuses personnes.

Les populations indigènes, principalement des communautés appartenant au groupe Anishinaabe, luttent contre la déforestation sur leur territoire ; une lutte de longue haleine contre les multinationales et le gouvernement canadien. Un petit village Anishinaabe, Grassy Narrows, dans le nord-ouest de l’Ontario, résiste ; il me fait penser au village d’Astérix et Obélix! CPT les soutient dans leur résistance non-violente et organise deux fois par année une visite au sein de la communauté pour les personnes intéressées à en savoir davantage. Notre délégation est formée de dix personnes entre 20 et 71 ans et représente six nationalités.

Nous rencontrons Paul, le pasteur baptiste qui s’est installé dans le village et cherche activement à en convertir les habitants. Il nous explique qu’ils doivent abandonner leurs rites païens et occultes et accueillir le christianisme ; pour lui, cette conversion représente une question de vie ou de mort et son travail missionnaire est essentiel. Nous l’écoutons tout en exprimant notre désaccord.

Lors de notre premier jour à Grassy Narrows, nous rencontrons Paul, le pasteur baptiste qui s’est installé dans le village et cherche activement à en convertir les habitants. Il nous explique qu’ils doivent abandonner leurs rites païens et occultes et accueillir le christianisme ; pour lui, cette conversion représente une question de vie ou de mort et son travail missionnaire est essentiel. Nous l’écoutons tout en exprimant notre désaccord.

Le lendemain, notre petit groupe reçoit la visite de deux membres de la communauté Anishinaabe, Stéphanie et Charles ; ils partagent la journée avec nous et nous racontent les difficultés rencontrées par leurs congénères et eux-mêmes pour s’insérer dans la société canadienne et préserver leur environnement naturel ainsi que leur héritage culturel.

À leur écoute, l’atmosphère se charge d’émotions ; personne ne reste indifférent à leur récit. Ils nous proposent alors de pratiquer l’un de leurs rituels traditionnels afin de purifier et libérer les émotions des uns et des autres. Ce rituel s’appelle smudging, ce qui signifie littéralement « étaler », et il se retrouve dans de nombreuses cérémonies indigènes d’Amérique du nord. Le principe en est relativement simple: on allume un petit fagot d’herbes (dans notre cas de la sauge) et chaque participant s’imprègne de la fumée qui en émane, faisant le geste de la répandre sur soi. Traditionnellement, la sauge a pour effet de chasser les mauvais sentiments et les mauvaises influences. Nous respirons à pleins poumons la douce odeur de la sauge!

Au terme du rituel, Charles nous dit: « Vous savez ce que cela signife, n’est-ce pas ? Nous sommes maintenant tous païens! » Nous rions ; il ajoute: « Mais le mot païen ne signifie rien d’autre qu’habitant ; nous sommes tous habitants de cette terre. » J'aime la conclusion de Charles et je la reçois comme une invitation ; en quelque sorte, nous venons d’être baptisés païens de leur terre. Étrangement, le français a perdu le sens étymologique du mot païen, un terme originellement neutre qui renvoie à celui qui habite tel ou tel lieu, le villageois, le paysan, l’indigène ou l’habitant. Au cours des siècles, le christianisme a chargé ce mot d’une connotation négative, l’associant à ce qui est considéré comme irréligieux et hérétique.

Division à l'oeuvre

Je ne peux m’empêcher de penser à Paul et à sa perspective sur les rituels indigènes ; pour lui, le monde semble se diviser en deux catégories distinctes: chrétiens et païens, ce qui se traduit par vie/mort, salut/damnation, bon/mauvais… Les dichotomies chères à la mission chrétienne qui œuvre encore sous bien des cieux. Pourtant, les Anishinaabe résistent là aussi et peu d’entre eux se convertissent au christianisme.

Après ma visite à Grassy Narrows, deux questions m’occupent l’esprit. Tout d’abord je réfléchis au pouvoir positif du rituel, quel qu’il soit, comme pont entre individus et croyances et lorsque le rituel de l’autre devient une menace, l’échange entre cultures et points de vue se perd ; cela me désole d’imaginer le nombre de rituels qui ont été détruits au nom d’une idéologie ou d’une autre.

Enfin, je réfléchis à la transformation des mots et de leur usage: les définitions reflètent les jeux de pouvoir sociaux et la destinée du mot « païen » me fait penser au mot « étranger » ; quand donc est-il devenu si négatif, désignant ce qui doit être éliminé au nom de la sécurité? Notre baptême païen a quelque peu brouillé les évidences et j’en suis heureuse.

*Sur le combat de Grassy Narrows, lire le rapport d’Amnesty International.