L'opposante iranienne Shirin Ebadi de passage à Lausanne

légende / crédit photo
i
[pas de légende]

L'opposante iranienne Shirin Ebadi de passage à Lausanne

Aline Jaccottet
19 juillet 2011
L’opposante iranienne Shirin Ebadi, première de ses compatriotes à avoir obtenu le Nobel de la paix, était de passage à Lausanne fin juin, à l’occasion des cent ans de la faculté d’économie de l’Université (HEC). Portrait d'une femme d'exception.




Shirin Ebadi est une petite dame qui a décidé, un jour, qu’elle ne plierait pas. Dans son blazer d’un blanc immaculé, elle sert la main de ses interlocuteurs avec poigne et les regarde droit dans les yeux. (Légende photo : Shirin Ebadi reçoit le prix Nobel en 2003)

Shirin Ebadi a vingt-trois ans à peine lorsqu’elle devient la première femme juge d’Iran en 1974. Brillante, elle doit s’armer de patience avant de trouver un mari. Javad Tavasolian n’a pas peur d’elle, l’épouse et lui fait goûter, quelques années, à la vie de famille. Sa vie bascule en 1979 lorsqu’un religieux, l’ayatollah Rouhollah Seyyed Khomeiny, entraîne son pays dans la révolution islamique.

Shirin Ebadi ne suit pas longtemps ce dignitaire qui prétend que « l’ère des inégalités sociales est terminée ». Car à peine la révolution culturelle est-elle achevée qu’à la Cour de Téhéran court le bruit que les femmes juges sont interdites de travail. D’un jour à l’autre, Shirin Ebadi, qui, à trente-deux ans, travaille depuis neuf ans comme juge est remerciée.

Iran: droit de vote des femmes obtenu en 1936

Avant Khomeiny, l’Iran était pourtant «un modèle pour toutes les femmes du Proche-Orient. D’ailleurs, nous avons obtenu le droit de vote en 1936, soit bien avant les Suissesses», explique Shirin Ebadi. Mais désormais, la vie d’une femme vaut la moitié de celle d’un homme, la polygamie est autorisée et selon le diyeh, le droit du sang, une blessure aux testicules est aussi grave que le meurtre d’une femme.

Ces lois n’ont pas dissuadé les Iraniennes de se battre. Leur instruction - deux tiers des professeurs et étudiants universitaires sont des femmes - les rend conscientes de l’oppression, dont elles sont victimes. Shirin Ebadi prend les devants. Ne supportant pas ces inégalités, elle fait signer un contrat post-nuptial à son mari, stipulant qu’elle peut demander le divorce, et la garde des enfants en cas de séparation. Lorsque le juge regarde le mari de Shirin, ce dernier commente simplement: «Ma décision est irrévocable.»

Au fur et à mesure des décrets et des exils, l'ancienne juge ne reconnaît plus le pays dans lequel elle a grandi. Un jour, son jeune beau-frère est arrêté par la Savak, la police secrète, puis tué en prison, probablement sous la torture. Le choc est terrible et la vie de Shirin Ebadi bascule.

"Il faut faire confiance aux peuples"

Depuis, une «rage indicible» la porte, qui ne s’est «jamais éteinte depuis». Soutenue par sa famille, Shirin Ebadi commence à travailler comme avocate bénévole. Elle monte au barreau pour défendre les victimes du régime, écrit, s’indigne, fait savoir... et se fait emprisonner vingt-cinq jours en 2000, dans une geôle de Téhéran, pour objection de conscience. Trois ans plus tard, elle est la première Iranienne à recevoir le Prix Nobel de la paix.

En 2009, Shirin Ebadi est contrainte à l’exil. Son mari et sa soeur sont emprisonnés, puis obligés de rester en Iran dans l’attente de leur jugement. «Le régime essaye de me faire taire par tous les moyens», dit-t-elle. Il n'y est pas parvenu. Sur un an, l'avocate dit en passer «trois cent jours en voyage pour défendre les droits humains en Iran, et les soixante-cinq restants en transit dans les aéroports».

Menacée de mort, personne ne sait où elle habite, mais il y a fort à parier qu’elle a un pied à terre aux Etats-Unis ou en Angleterre, où vivent ses deux filles. Pour le reste, Shirin Ebadi a l'optimiste des militants : «il faut faire confiance aux peuples », conclut-elle.

  • A lire: Shirin Ebadi, «Iranienne et libre, mon combat pour la justice», éditions La Découverte, 2006