Mont Gazirim : une autre saveur au récit biblique

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Mont Gazirim : une autre saveur au récit biblique

Muriel Schmid
6 juillet 2011
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Trois semaines déjà que je suis en Palestine. Je rejoins un groupe d’Américains pour une visite guidée du mont Garizim au-dessus de Naplouse, une ville qui se situe au nord de Jérusalem en territoires occupés. Selon la tradition, ce mont serait le lieu historique de l’entrée d’Israël en terre promise. Aujourd’hui, il abrite des colons juifs et des réfugiés palestiniens, un décor qui donne une autre saveur au récit biblique.

Légende photo : Camp de réfugiés palestiniens au pied du Mont Gazirim © MS/ProtestInfo



Au point de rendez-vous, je retrouve Hijazi, le guide de la journée et les quelques vingt-cinq touristes américains. Très vite, je réalise que je suis tombée sur un groupe de fervents chrétiens qui ne semblent pas connaître grand chose de la réalité palestinienne. Leur guide israélien n’étant pas autorisé - par les autorités israéliennes - à entrer dans les territoires occupés, le groupe s’accommode donc d’un guide palestinien, avec la demande exprès pourtant qu’il ne parle pas de politique. Au premier arrêt café, certains d’entre eux sortent des cartes de la région et se demandent où se trouve, dans le fond, la Cisjordanie et quelle portion du territoire elle recouvre. Je m’inquiète : où donc faudra-t-il commencer ?

Nous arrivons à notre destination, le mont Garizim au-dessus de Naplouse, un lieu biblique important puisque c’est là, selon la tradition, que Josué serait solennellement entré en terre promise avec le peuple d’Israël. Selon Deutéronome 27, Moïse prescrit un rituel très précis pour marquer cette entrée en terre promise.

C’est une chose de lire la bible chez soi, dans sa communauté locale bien loin des réalités géopolitiques de ce pays. C’en est une autre de la lire alors qu’on a les pieds bien posés dans son paysage.

L’un des éléments de ce rituel est un rappel des commandements à observer sous la forme d’une série de bénédictions et de malédictions: la moitié du peuple doit se tenir sur le mont Garizim pour y prononcer les bénédictions, l’autre moitié en face, sur le mont Ébal, pour y prononcer les malédictions. Notre petit groupe se propose de revivre ce moment biblique, au moins en partie, et de lire le texte de Deutéronome 27 rassemblé sur le mont Garizim.

Je regarde autour de nous. Notre guide nous a signalé, sans faire de politique, la colonie israélienne d’Har Bracha qui se situe juste derrière le site historique du mont Garizim. Fondée au début des années 1980 par des colons juifs, la colonie compte actuellement environ 1600 personnes et occupe 0.6 km2. Juste en-dessous de nous, au pied du mont Garizim, se trouve le camp de réfugiés palestiniens de Balata. Créé en 1950 par l’ONU, ce camp a accueilli alors les palestiniens de Jaffa qui y avaient perdu leur maison. Aujourd’hui, avec pas loin de 30 000 habitants sur 0.25 km2, Balata est le camp le plus grand de Cisjordanie et le plus surpeuplé.

Concentré sur la signification biblique du lieu, notre chef de groupe lit à haute voix les malédictions de Deutéronome 27, 14ss. J’écoute attentivement : quels sont donc ces interdits que Dieu ne pourra tolérer en cette terre ? Où faut-il commencer ? Vient alors la troisième malédiction : « Maudit soit celui qui déplace les bornes de son prochain! Et tout le peuple dira: Amen! » Nous sommes peu, je crois, à percevoir l’ironie de lire ce passage-ci entre une colonie israélienne et un camp de réfugiés palestinien, tous deux témoins directs de nombreuses bornes déplacées.

Visite, explications, lecture : l’ensemble de cette scène dure peut-être vingt minutes. Et dans ce bref laps de temps se condensent des couches et des couches d’histoire, d’identité, de foi, de symboles… Il est difficile d’en faire le tour. Une pensée me traverse : c’est une chose de lire la bible chez soi, dans sa communauté locale bien loin des réalités géopolitiques de ce pays. C’en est une autre de la lire alors qu’on a les pieds bien posés dans son paysage.

Tout à coup, le récit s’enracine, une banalité peut-être, mais cela veut aussi dire qu’il devient territoire, avec tous les conflits que cela implique. Depuis que je suis en Palestine, j’entends quelques personnes me dire : « ce n’est pas un conflit religieux, c’est un conflit territorial ». Et je me dis : oui, mais le territoire est aussi religieux ! Car quiconque déclare ce territoire une terre sainte lui donne, par définition, une dimension religieuse.

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