Il est assez habituel de sourire quelque peu de notre héros national suisse, célébré par la pièce de théâtre de Schiller, et d’ironiser à son sujet. Pourtant, lorsqu’en 1938, Hitler apprit qu’un jeune Neuchâtelois du nom de Maurice Bavaud avait failli l’assassiner, il associa ce héros discret, méconnu, guillotiné à Plötzensee en 1941, à Guillaume Tell tuant Gessler de sa flèche.

Du coup, pour éviter tous les risques d’imitation, il interdit les représentations de la pièce de Schiller et, plus tard, exigea même la suppression d’extraits de cette pièce dans les manuels scolaires de littérature allemande ! Le Tell du XIIIe siècle était soudain devenu un « Tell 38 », selon la formule de Rolf Hochhuth. Mais l’héroïsme quelque peu maladroit de Maurice Bavaud peine à être pleinement reconnu en Suisse.

Lorsqu’en 1938, Hitler apprit qu’un jeune Neuchâtelois du nom de Maurice Bavaud avait failli l’assassiner, il associa ce héros (...) à Guillaume Tell tuant Gessler de sa flèche. Du coup, pour éviter tous risques d’imitation, il interdit les représentations de la pièce de Schiller et (...) exigea la suppression d’extraits de cette pièce dans les manuels scolaires de littérature allemande !
L’arrestation de Ratko Mladic

La deuxième occasion fut l’arrestation de Ratko Mladic. C’est au compte-gouttes que la Serbie livre ses criminels de guerre, et apparemment surtout pour obtenir son adhésion à l’Union européenne. Mais nous sommes tous soulagés que celui qu’on appelle le « boucher des Balkans » soit enfin arrêté, seize ans après ses méfaits !

Sauf tous ceux qui, en Serbie, le considèrent encore toujours comme un héros national et qui, par milliers, ont manifesté à grands cris contre son arrestation. Et j’ai appris récemment qu’à Sarajevo, cette arrestation réouvrait des blessures de guerre à peine guéries (des musulmans molestés par des serbes).

Hercule chez Dürrenmatt

Préparant une conférence sur la figure d’Hercule dans l’œuvre de Dürrenmatt, je découvre chez ce dernier quelques pistes très actuelles. Dans la pièce Hercule et les écuries d’Augias, l’Élide (une Suisse transposée en Grèce !) est envahie par le fumier. On fait appel à un grand purificateur : seul Hercule aura la force de venir à bout de la tâche.

Mais les Éléens sont prudents : ils créent des commissions et des sous-commissions pour évaluer les risques de l’opération. Le temps passe, le fumier monte, et finalement, parce que les commissions tergiversent sans fin, le héros, impuissant, s’en va sans accomplir son travail… Le fumier semble être surtout dans la tête des Éléens !

N’y a-t-il plus de place pour les héros ? Au terme de la pièce de Dürrenmatt, il s’avère qu’en secret, Augias s’est aménagé un jardin dans lequel il transforme patiemment le fumier en humus, pour y cultiver légumes, fruits et fleurs.

N’est-ce pas là la véritable action héroïque ? demande Augias, en essayant de convaincre son fils de reprendre ce véritable travail d’Hercule : non pas débarrasser le fumier, tâche impossible, mais patiemment le transformer en humus fertile pour nos enfants. Exhortation pour l’ex-Yougoslavie, pour la Suisse, mais aussi pour nos vies, nos têtes et nos cœurs !

*Cette chronique a été publiée dans les journaux de l'arc jurassien.

LIRE

Vous pouvez lire ou relire les précédentes chroniques publiées par Pierre Bühler sur le site de ProtestInfo :

- Max Frisch : " Tu ne te feras pas d'images "
- Friedrich Dürrenmatt et Max Frisch à l'honneur
- " La foi seule " : Jean Ansaldi (1934-2010)
- La démocratie a besoin d'un "lieu vide" !