"Brèches oecuméniques: une communion au sommet"

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"Brèches oecuméniques: une communion au sommet"

Anne-Sylvie Mariéthoz
28 juin 2011
Chaque année le 15 juin, quelques jours après l'ouverture du col, la congrégation des chanoines du Grand-Saint-Bernard fête son fondateur. Un orateur externe est invité à prononcer l'homélie lors de la messe : un évêque, un abbé ou un nonce apostolique.
Cette année, les chanoines ont choisi de convier le pasteur de l’Eglise réformée de Martigny, Pierre Boismorand, ainsi que son diacre, Pierre-Alain Mischler, à prendre la parole.


Au cours d'une journée à la fois solennelle et festive, les confrères et les amis de la congrégation se retrouvent en nombre à l'hospice Grand-Saint-Bernard. «Quarante ans d’amitié unissent nos deux paroisses et cette invitation est une manière de reconnaître tous les liens que nous tissons», affirme José Mittaz, prieur de l’hospice du Grand-Saint-Bernard. Elle s’inscrit dans une continuité, car «toutes les fois que nos deux communautés peuvent organiser quelque chose ensemble, elles en saisissent l’occasion», déclare le pasteur Boismorand.» «Ici le Christ est adoré et nourri»

Le prévôt de la communauté du Saint-Bernard, Jean-Marie Lovey, rappelle de son côté que la vénérable maison a fondé sa vocation sur l’hospitalité. Instituée au XIème siècle par l’archidiacre d’Aoste, Bernard de Menthon, dans le but de venir en aide aux voyageurs, la congrégation s’en est tenue à ce principe «accueillir chaque personne comme si c’était le Christ.» Face aux autorités et aux responsables du tourisme qui voulaient lui imposer la tenue d’un registre des personnes, la communauté a tenu bon. «Nous nous y sommes toujours refusés, car cette pratique était contraire à notre philosophie», souligne le prévôt.

La communauté des chanoines du Grand-Saint-Bernard, qui compte aujourd’hui 45 membres, est principalement basée en Valais où elle dessert les paroisses d’Orsières, de Martigny et de Lens. Mais par le passé, pour offrir l’hospitalité aux nombreux passants, souvent nécessiteux, sur ces hauteurs où rien ne pousse (2473 m), les chanoines devaient aller s’approvisionner dans les vallées. Ils assuraient la pastorale dans différentes paroisses, en échange de services plus substantiels.

A l’apogée de son influence, la communauté a possédé des terres dans des lieux aussi éloignés que l’Angleterre ou la Sardaigne, mais surtout autour du Léman, dans des localités comme Roche, Etoy ou Aubonne, qui représentaient des ressources importantes. Au moment de la Réforme, la congrégation a vu ses biens et ses pratiques de quête remis en question. Elle a toutefois bénéficié de certains ménagements, en raison de son oeuvre de bienfaisance universellement reconnue (cf. encadré)

« Hospitalité eucharistique »

Permission de quêter, datée du 6 mai 1574, accordée par le gouvernement bernois à Pierre Yblet pour la durée d'une année. En raison de l'hospitalité exercée à l'hospice du Grand-Saint-Bernard, même les pays protestants permettaient à ces quêteurs catholiques d'exercer leur mission. L'acte rédigé en allemand, est authentifié par le sceau de Berne.

Aujourd'hui, nous sommes bien loin de ces guerres territoriales et les chanoines ne sont plus tenus de subvenir gratuitement aux besoins de leurs visiteurs. Ils ont du repenser leur rôle, mais dans une optique qui reste inspirée par leur fondateur.

L’invitation du pasteur procède de la même cordiale simplicité qui a toujours caractérisé la maison. Plus étonnante en revanche est «l’hospitalité eucharistique» qui se pratique lors de cette cérémonie. «A certaines occasions exceptionnelles, le pasteur et le diacre sont invités à partager également la communion», explique le pasteur Boismorand.

«C'est une façon de marquer en acte le fait qu'il y a une vraie communion entre nous, qui dépasse nos différentes manières d'exprimer la foi. En tant que protestant, je reconnais aussi pleinement la présence du Christ lors de la messe, c'est pourquoi je me sens appelé à communier.» Le chanoine José Mittaz s'exprime dans des termes proches et résume ainsi son point de vue: «dans nos deux communautés sœurs, chacun se nourrit du Christ qui est vécu dans la communauté de l'autre». Et d'ajouter: «Ce n'est pas tant au niveau institutionnel, qu'à travers les liens d'amitié, que l'œcuménisme peut progresser.»

Une tradition d'accueil légendaire

"Il est intéressant de voir, dans les jours de grand passage, tous ces bons religieux recevoir les voyageurs", écrit Horace Bénédict de Saussure dans son Voyage dans les Alpes, paru pour la première fois en 1779. "Ils servent avec un égal empressement et les étrangers et leurs compatriotes, sans distinction d'état, de sexe ou de religion; sans s'informer même, en aucune manière, de la patrie ou de la croyance de ceux qu'ils servent". Il en est toujours de même aujourd'hui et c'est peut être la raison pour laquelle ils sont aussi nombreux, de part et d'autre du col du Grand-Saint-Bernard, à se compter parmi les amis de l'hospice. Ce qui se traduit par une belle affluence le 15 juin, jour de la fête du fondateur de la congrégation.

Mercredi 15 juin, un repas de fête a été préparé pour 250 convives, mais ils sont près du double à être venus assister à l'office. Tandis que les chanoines et les auxiliaires bénévoles circulent entre les tables en offrant le vin de la maison, l'assemblée lève son verre à la mémoire du chanoine Berthouzoz, qui a marqué les hôtes par sa chaleureuse hospitalité. Personne n'a pu oublier cette figure qui, durant 22 ans, a incarné l'esprit des lieux, en s'empressant au-devant des arrivants. Felice Verraz, restaurateur valdôtain et ancien tenancier de la petite auberge du versant italien du col, lui rend un hommage appuyé. Il sait gré au chanoine de lui avoir enseigné l'art de l'hospitalité, tout en lui envoyant ses premiers clients.

A mi-chemin entre Rome et Canterbury

Jusqu'au 2 octobre 2011, le Musée du Grand-Saint-Bernard présente une exposition sur la via Francigena, route de pèlerinage inaugurée en 990 par Sigéric, archevêque de Canterbury. Le col du Grand-Saint-Bernard marque à la fois l'étape médiane et le point culminant de cet itinéraire médiéval, remis au goût du jour par le Conseil de l'Europe. Une exposition de photographies et de sculptures, accompagnées de témoignages de pèlerins, donne un aperçu historique et culturel de cette voie millénaire. ASM