L'hostie, un patrimoine québécois

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L'hostie, un patrimoine québécois

Olivier Bauer
22 juin 2011
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Après avoir montré dans une précédente chronique (lire ci-dessous) comment le Québec a fait d’un phénomène culturel – le Canadien de Montréal – une religion, j’aimerais maintenant indiquer comment il a fait d’un artefact religieux – l’hostie – un artefact culturel. Car l’hostie (le mot et la chose) représente l’un des artefacts essentiels du patrimoine du Québec.

Le mot

Au Québec comme ailleurs, le terme «hostie» désigne d’abord une réalité théologique. Il désigne le pain que l’Eglise catholique-romaine a choisi comme aliment pour célébrer son Eucharistie.

Mais dans la Belle Province, «hostie» s’emploie aussi dans un usage bien différent. Car il est l’un des jurons (ici, on dit un sacre) préféré des Québécois et des Québécoises. Sous sa forme originale ou dans des euphémismes tout emplis de prudence comme «sti» , «hostine», ou «esti», il est utilisé à la manière d’un superlatif, pour renforcer l’expression d’un sentiment, aussi bien négatif - «osti de neige!» - que positif - «j’t’aime en hostie!».

Et pas qu’un peu! Le Québec ne craint pas d’user et d’abuser, lui qui truffe d’«hostie» ses conversations, comme d’autres régions ou d’autres langues y mettent des «nom de Dieu», des «merde», des «fuck» ou des «putain» (il paraît que chaque peuple jure avec ce qui lui fait peur, notamment le sexe ou la religion!).

La chose

Au Québec comme ailleurs, l’hostie est d’abord une nourriture liturgique. Elle est cette galette ronde, plate, blanche, fine et insipide, faite de farine de pur froment et d’eau, que les catholiques mangent lorsqu’ils participent à l’Eucharistie.

Dans la Belle Province, l’hostie est aussi une collation (ici, on dit une grignotine) faible en gras et sans sucre, que l’on peut acheter dans les supermarchés.

Mais dans la Belle Province, l’hostie est aussi une collation (ici, on dit une grignotine) faible en gras et sans sucre, que l’on peut acheter dans les supermarchés.

Elles sont fabriquées non pas par des religieuses, mais par des entreprises agro-alimentaires qui les conditionnent dans des sachets ou dans des boîtes transparentes et les commercialisent sous trois formes: des plaques rectangulaires, des plaques découpées de trous ronds (ce sont des retailles d’hostie, de faux restes de ce qui aurait pu être la production d’hosties pour l’Eucharistie) ou des ronds parfaits, semblables aux hosties liturgiques. Les Québécois les achètent pour les consommer en apéritif ou les donner comme goûter à leurs enfants.

L’hostie dans le patrimoine du Québec

Au Québec, l’hostie représente donc un cas exemplaire de patrimonialisation d’un artefact religieux. Tant le mot que la chose font maintenant partie du patrimoine matériel et immatériel de la Belle Province. De fait, sinon encore de droit (mais j’y travaille).

Certains, surtout du côté catholique évidemment, le regrettent. Ils estiment qu’en s’appropriant l’élément central de la célébration centrale de l’Eglise catholique-romaine, le Québec profane l’hostie. C’est ainsi que le diocèse de Montréal, en 2006, a lancé une vaste campagne d’affichage pour revendiquer le monopole de l’hostie. A ceux qui voudraient faire un autre usage du mot ou de la chose, elle rappelait en énormes lettres rouges et blanches sur fond noir le sens unique de l’hostie: «petite rondelle de pain azyme que le prêtre consacre pendant la messe».

Patrimonialiser l'hostie, c’est consacrer l’importance et l’influence de l’Eglise catholique-romaine au Québec.

A l’inverse, je m’en réjouis plutôt. Peut-être qu’il faut être un théologien protestant pour le penser (pour moi, rien n’est sacré si ce n’est Dieu et l’hostie reste du pain, elle n’est pas Dieu), mais je crois profondément que même les catholiques (à vrai dire, eux surtout) peuvent être fiers de la place unique que le Québec accorde à l’hostie.

Car la patrimonialiser, c’est consacrer l’importance et l’influence de l’Eglise catholique-romaine au Québec, c’est reconnaître qu’elle a forgé la culture de la Belle Province, jusque dans les habitudes québécoises les moins réfléchies, mais les plus intimes, comme leur manière de jurer et de se nourrir.

En patrimonialisant l’hostie, les Québécois avouent en quelque sorte qu’ils ne sont pas encore prêts à s’en passer.

Pour aller plus loin

Bauer, O. (2009). «Le mot et la chose, l’hostie dans le matrimoine du Québec», Journal of Religion and Popular Culture. Vol. 21: Special Edition - Religion and Popular Culture in Canada. Disponible en ligne librement ici.

On peut lire ici la dernière chronique et une courte biographie du théoligien Olivier Bauer.


Cet article a été publié dans :

Le quotidien fribourgeois "La Liberté" le samedi 25 juin.