Y a-t-il une véritable avancée de l’égalité dans les Eglises protestantes aujourd’hui ?

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Y a-t-il une véritable avancée de l’égalité dans les Eglises protestantes aujourd’hui ?

Michèle Bolli
15 juin 2011
L’anniversaire de la loi sur l’égalité, le 14 juin, est l’occasion de revenir sur l’évolution de la situation des femmes et des hommes au sein du christianisme et plus particulièrement du protestantisme. Car les racines religieuses de l’inégalité existent depuis fort longtemps, mais aussi les forces émancipatrices et libératrices.


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Dans ce contexte, l’inégalité se marque au moins en trois dimensions (comme en d’autres religions et sociétés), à savoir celui des institutions, celui des représentations portées par le langage en usage et celui des légitimations. Bien entendu, elles sont en constante interaction les unes avec les autres. Voyons ce qu’il en est de chacune, du point de vue de l’avancée de l’égalité.

D’abord, l’inscription institutionnelle. Dans un contexte protestant, elle est le lieu où l’égalité a pris force et s’est concrétisée: l’accès des femmes au ministère à part entière est acquis. La formation leur est accessible jusqu’au plus haut niveau. L’égalité des salaires est en bonne voie. La reconnaissance de l’autorité spirituelle des femmes ministres s’améliore. La collaboration se porte en général assez bien. Pour preuve, la flexibilité du temps de travail pour les jeunes mères est acceptée. La participation de femmes dans les directions des Eglises est également réelle.

Tournant de la Réforme

Dans le registre symbolique, celui du langage, celui des représentations des deux genres dans l’usage des mots et des images théologiques et/ou de spiritualité, l’égalité est encore en construction. Les symboles féminins peinent à être utilisés à part égale avec les symboles masculins. Dieu, par exemple, est encore plus souvent reconnu comme le paternel que comme le maternel.

Enfin sur le plan des légitimations. Du côté de la tradition commune aux Eglises, l’anthropologie considère de manière hiérarchisante la différence de nature entre les femmes et les hommes comme un ordre des choses immuable, voulu par Dieu. Avec la Réforme, cette situation fut relue à partir de la priorité de l’amour de Dieu sur toute situation humaine imparfaite suscitant la confiance du croyant, de la croyante.

Une telle perspective a sans doute permis de mettre en œuvre un mouvement progressif d’intégration des genres. On a vu, par exemple, Martin Luther dans sa volonté de rendre la Bible accessible à tous défendre l’accès des filles à l’école pour qu’elles puissent, elles aussi, lire la Bible et chanter dans les chœurs d’église.

L’autre lieu de légitimation, très important ici - la référence biblique - est sans cesse travaillé par le mouvement de l’histoire. Or, la discipline historique a beaucoup évolué ces trente dernières années, passant de l’histoire des vainqueurs à celle des minorités. Les chercheurs ont ainsi été incités à relire chaque époque en y incluant l’histoire des femmes.

Symboles féminins pour dire Dieu

On voit alors surgir à la mémoire de nombreux visages de femmes, héroïnes des histoires bibliques, ainsi que des symboles féminins pour se référer à la vie de Dieu. Cela rejaillit sur la lecture et la compréhension du texte biblique et permet de le mettre en rapport avec la vie des femmes et des hommes aujourd'hui.

Enfin, plusieurs théologiennes ont théorisé leur compréhension du christianisme différent de celle de la tradition, en s’appuyant sur l’expérience de vie spirituelle des femmes et leur compréhension de l'amour de Dieu pour elles.

Déconstruire les inégalités et construire l’égalité offre ainsi un renouvellement qui s’inscrit dans l’idée protestante de la nécessité d’une réforme constante pour ne pas se laisser asservir à une idéologie. Du point de vue de l’éthique, un changement de priorité dans les valeurs en jeu s’opère lentement en faveur d’une pratique de l’entraide, de la réciprocité et du partage de l’autorité et de la responsabilité entre femmes et hommes.

* Les émissions religieuses de la Radio suisse romande proposent dimanche 19 juin un dossier consacré au combat des femmes dans les Eglises protestantes et catholiques à 20h20 dans l'émission « Faut pas croire ».

Portraits de théologiennes

Ce bref parcours montre que, comme partout, le registre le plus lent à évoluer est celui du langage et des représentations qui lui sont liées. Dans cette perspective, il est intéressant de prendre la mesure de l’oeuvre de quelques grands noms de la théologie féministe de la fin du XXe siècle et du début du XXIe siècle. Ces femmes ont travaillé souvent les trois dimensions de l’inégalité et ont fait preuve d’un dynamisme spirituel étonnant.

Michèle Bolli nous propose quatre portraits de théologiennes, qui ont agi sur l’histoire pour que le christianisme se rapproche de la justice envers les femmes. Vous pourrez lire le premier portrait vendredi 17 juin.

  • Dorothée Sölle (17 juin)
Prendre en compte les souffrances humaines, leur non – sens ou leur sens. Questionner le sens : celui des événements politiques et celui des mots utilisés pour parler de Dieu.

  • France Quéré (24 juin)
Relire l’histoire de l’Eglise et y mettre en valeur le rôle des femmes. Développer la pensée de la bioéthique dans le cadre protestant.

  • Kari E. Börresen (1er juillet)
Questionner l’évidence de la subordination des femmes aux hommes véhiculée par la tradition chrétienne.

  • E. Schüssler Fiorenza (8 juillet)
Solliciter « Du pain…non des pierres » envers les femmes, de la part du christianisme. Remonter jusqu’au commencement pour reconnaître la légitimité spirituelle de l’égalité. M.B.

REPERES

Née dans le canton du Jura, Michèle Bolli* vit à Lausanne depuis 1968. D’une famille catholique, mariée à un protestant, l’oecuménisme rejoint sa vie. Elle est mère de deux enfants. Parallèlement à sa vie de famille, elle a poursuivi ses études en Psychologie et Sciences de l’Education à l’Université de Genève, s’intéressant particulièrement à l’approche langagière et genrée de l’être humain (Licence, 1980), puis, en Théologie, à l’UNIL.

Son intérêt se porte alors sur la représentation de la sagesse biblique et théologique (doctorat obtenu en 1990 ) et se poursuit. Une veine poétique constitue le troisième volet de son activité, et y exprime le versant intuitif et spirituel de l’existence. Sa préoccupation pour l’être humain en accomplissement, pour le rapport à la transcendance, qu’il vit et exprime dans un contexte particulier, polarise les divers aspects de son activité.

Elle a travaillé pour l’EERV, depuis 1992, dans un poste d’aumônerie auprès des enfants placés ainsi que dans le champ de la formation d’adultes. Elle enseigne également dans le cadre du Séminaire de Culture Théologique. Membre de l’Association des Femmes Européennes pour la Recherche en Théologie ; membre de l’Association Internationale d’Etudes Médico - Psychologiques et Religieuses ; membre de Femwiss (Feministische Wissenschaft), elle collabore aussi à plusieurs sites.

CITATIONS :

« On entend un arbre tomber, mais on entend pas la forêt pousser », proverbe africain

« Qui me trouve, trouve la vie et diffuse le vouloir du Seigneur
Tous mes haineux aiment la mort », dit Sagesse ; Pr. 8, 35-6

« Parmi des débris de paroles et des caresses en ruine, j'ai trouvé quelques formes qui revenaient de la mort », R. Juarroz

QUELQUES PUBLICATIONS :

  • 1984 L’autre dans la dogmatique : une incontournable figure ? R.H.P.R.
  • 1990 Une écoute de l’Oubliée: la Sagesse de Dieu, 2 vol. , UNIL, BCU
  • 1996 Le geste et le chant d’une prophétesse, Le souffle des femmes, L. Irigaray ed. ACGF, Paris.
  • 2000 De chair et de rêve: des femmes font signes pour les cinéastes du Sud, Zhang Yimou et Eliséo Subiela », Hors-Champ, 5.
  • 2006 « Violence, filiations, justice », Actes du Congrès de l’AIEMPR, Religion et Violence, Strasbourg
  • 2009 « L’invitation et le repas de Sagesse », Etude de Pr.9, Site de l’AIEMPR, Congrès de St Maurice/Lausanne, « C’est pour mieux te manger… » (L’oralité en question).
  • 2010 Retailles, poèmes, unibook.
  • 2010 Les quatre veilles de Judith, poèmes, bookapp.

LIENS :