Ne plus croire à rien, ni même dans la démocratie!

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Ne plus croire à rien, ni même dans la démocratie!

Guy Le Comte
8 juin 2011
J’ai croisé l’autre jour à la Poste un collègue perdu de vue depuis quelques années. Il est du bon côté de la soixantaine et fraîchement retraité. Il était prof de maths. Un bon prof!

Nous sommes bientôt attablés devant un café et nous causons. Tout à coup, il me dit: « Je ne crois plus à rien! » Comme il sait que j’ai exercé quelques fonctions ecclésiastiques, je pense qu’il me donne à entendre qu’il a perdu la foi. Je me trompe, c’est plus grave.

Il précise : « Je ne crois plus à rien, ni à la justice, ni à la démocratie, ni à la solidarité sociale. Je vais finir le temps qu’il me reste en ne m’occupant que de mes petites affaires. Je ne voterai plus, je ne m’engagerai plus, je ne penserai qu’à mes intérêts. » En somme, il veut, comme disait Desproges, « vivre heureux en attendant la mort ». Il me demande ce que j’en pense. Que lui répondre?

Que lui répondre?

Qu’il n’est pas le seul et que la majorité de nos compatriotes pense comme lui? C’est vrai, mais la réponse est courte. Je comprends bien que mon ami soit, comme il dit, dégoûté des gesticulations politiques; qu’il soit lassé des débats sempiternels où chacun récite son credo; qu’il soit irrité par des promesses qui n’engagent finalement que ceux qui sont assez bêtes pour y croire et qui sont bien rarement suivies d’effet. Les politiciens ne lui paraissent mus que par une seule pensée: assurer leur réélection.

Je crois fermement que dans une démocratie, l’Etat doit veiller au bien être de tous, mais dans le cas de l’aide aux working poors, qui l’Etat aide-t-il? Ceux qui travaillent à plein temps sans pouvoir suffire à leurs besoins ou les entreprises dont la vocation est de faire du profit?

Le poids des lobbies est tel, affirme-t-il, que peu importe qui gagne les élections, ceux qui exercent le vrai pouvoir, le pouvoir de l’argent, font toujours prévaloir leur point de vue. Il me décrit une démocratie à bout de souffle, sur le déclin. L’analyse est rude, un peu sommaire, peut-être, injuste parfois - je connais quelques politiciens de tous les bords qui ne correspondent pas au portrait qu’il a peint - mais elle est pertinente, dans l’ensemble. Il assène enfin un argument qu’il croit décisif. Si l’électeur s’abstient, c’est qu’il estime que voter ne sert à rien, or l’électeur a toujours raison.

Je marque ici mon désaccord. L’histoire montre que l’électeur ou le votant, ce qui n’est pas la même chose, se trompe souvent. Ceux qui ont voté pour Hitler se trompaient et ceux qui se sont opposés chez nous au suffrage féminin ou à l’AVS nous paraissent aujourd’hui bien ridicules. Ce n’est pas en renonçant à exercer nos droits démocratiques que nous améliorerons le monde dans lequel nous vivons. La société démocratique ne s’est pas construite en un jour, et nulle part, elle n’est parfaite.

Je ne suis pas un admirateur fanatique de Madame Le Pen, mais un véritable démocrate ne peut pas ne pas se poser des questions quand il constate qu’un courant politique qui représente 15 à 20 % des électeurs n’est pas représenté au niveau des assemblées départementales qui comptent plus de 3000 membres. Le système électoral britannique, uninominal à un tour, garantit que les minorités ne seront jamais représentées au Parlement de Westminster.

De leur côté, la Suisse et les Etats-Unis protègent si bien leurs minorités qu’elles imposent souvent leur point de vue à la majorité. Au final, la France, la Grande Bretagne, la Suisse et les Etats-Unis sont des démocraties largement perfectibles, mais elles ont le mérite de promouvoir encore des valeurs essentielles à la vie en société: l’égalité de tous devant la loi et la solidarité sociale.

Des mots creux?

D'aucuns me diront que ce ne sont là que des mots creux et que la réalité est autre. Je le sais bien, certains sont plus égaux que d'autres! Les privilégiés cultivent volontiers leurs penchants élitistes. Ils ne croient pas à l’égalité et s’en font une gloire. La solidarité leur est de plus en plus étrangère. J’ai même entendu il y a quelques lunes un énergumène affirmer doctement sur nos ondes démocratiques que « le but de l’entreprise est de faire du profit et non pas d’assurer de quoi vivre à ceux qui travaillent à plein temps pour elle ».

C’est donc à l’Etat d’y pourvoir, mais au nom du sacro-sainte responsabilité individuelle, beaucoup de nantis s’y opposent. Je crois fermement que dans une démocratie, l’Etat doit veiller au bien-être de tous, mais dans le cas de l’aide aux working poors, qui l’Etat aide-t-il? Ceux qui travaillent à plein temps sans pouvoir suffire à leurs besoins ou les entreprises dont la vocation est de faire du profit?

Nos démocraties sont fragiles

Nos démocraties sont fragiles, car elles s’épuisent à vouloir accorder la démocratie et un marché complètement dérégulé. C’est impossible! C’est pourtant une question de survie. La démocratie, quand elle est bien entendue, protège les faibles contre les abus des puissants, or nos sociétés modernes ont choisi un modèle économique dont nous voyons chaque jour les effets. Les vrais riches deviennent de plus en plus riches, les pauvres de plus en plus pauvres et la classe moyenne souffre. On devrait changer de modèle, mais la volonté manque. Trop de gens profitent du système.

Ce n’est pas le moment de baisser les bras et de s’abstenir. Le devoir des démocrates est de renforcer la démocratie en soutenant toutes les mesures qui renforcent l’égalité - il faut passer de l’égalité des droits à celle des chances - et la cohésion sociale. C’est aussi le devoir des chrétiens. Le Christ a dit qu’on ne peut pas servir deux maîtres, on ne peut pas servir Dieu et l’argent. Il prônait la solidarité, la charité, l’accueil de l’autre. Les valeurs d’une société démocratique sont des valeurs authentiquement chrétiennes. Défendons-les!