Fukushima : un développement technoscientifique en folie ?

légende / crédit photo
i
[pas de légende]

Fukushima : un développement technoscientifique en folie ?

Roland Benz*
25 mai 2011
Fukushima, ce feu allumé au pays du soleil levant et que les pompiers n’arrivent pas à éteindre génère en nous trouble et inquiétude. Dans ce pays de la perfection, des scientifiques et des ingénieurs ont-ils joué aux apprentis sorciers ? En Suisse, l'impact de Fukushima est puissant. Le Conseil fédéral s'est prononcé mercredi en faveur de l'abandon progressif du nucléaire après la plus grande manifestation depuis 25 ans, qui a rassemblé 20 000 personnes près de la centrale de Beznau samedi dernier.

Pour les pro-nucléaires, il s’agit, avec Fukushima, d’une circonstance exceptionnelle qui sera maîtrisée. Les experts disent « ne généralisons pas sous le coup de l’émotion ». Et puis, il est impossible de changer de technologie en quelques années. Le besoin en énergie ne peut être compensé par l’énergie renouvelable.

Les opposants, de leur côté, soulignent la dangerosité du nucléaire. Même si la probabilité d’un accident est minime, on ne peut tolérer cette technologie, car les conséquences d’une défaillance seraient forcément dévastatrices, comme Tchernobyl et Fukushima l’ont prouvé. Pour eux, il faut renoncer sans tarder à cette source d’énergie.

Ces réactions opposées n’expriment pas seulement une opinion sur la question, mais un enjeu de société. Elles témoignent du rapport ambivalent dans notre société à l’égard du développement de la technoscience.

Il n’est pas question ici de mettre en doute l’apport des sciences. On le sait bien, la connaissance scientifique est prodigieuse et les technologies qui se sont développées grâce à elle dans tous les domaines ont transformé nos conditions de vie. Il suffit de penser à la médecine, du moins dans les pays développés. Le problème qui se pose aujourd’hui n’est pas le développement des sciences et des techniques en soi, mais leur utilisation.

Une centrale nucléaire : un bijou dangereux, impossible à démonter ?

La production d’énergie par le nucléaire est, en ce sens, exemplaire. Une centrale est une réalisation technique très sophistiquée, un bijou technologique. Elle requiert une structure que seuls de grands groupes industriels possèdent avec l’appui de l’Etat. Cette structure peut devenir opaque par sa dimension et sa complexité. Elle exige des investissements financiers considérables, justifiés par les besoins en énergie toujours plus grands des consommateurs.

Dès lors, tombe l’évidence que l’arrêt immédiat des centrales nucléaires est impossible du point de vue technique, économique et énergétique. C'est en tout cas ce qu’affirme Christophe Frei, un Suisse, secrétaire général du World Energy Concil, regroupant gouvernements, producteurs d’énergie et organisations civiles de 90 pays.

Une trinité de substitution totalitaire

Nous voilà pris dans ce que j’appellerais une trinité de substitution formée de l’idéologie scientiste, qui prétend que tout peut se résoudre par les sciences et les techniques. Cette idéologie s'est liée au critère "absolutisé" de la croissance et du profit maximum. Le troisième larron de cette trinité est la consommation, qui permettrait d'étancher la soif inextinguible de bonheur. C’est la collusion de ces trois composantes qui fait problème.

Cette trinité réclame une adhésion sans réserve. Elle sait imposer ses règles pour répondre aux besoins et à la quête de bonheur. Pour assurer le progrès "sans limite" de l’humanité, elles recourent aux actuelles "incontournables" lois du marché.

Contestée, cette trinité accepte la critique, pour mieux l’absorber. Elle exige un engagement total, de l’ouvrier aux cadres, en passant par l’ingénieur. Elle ne recule pas devant les souffrances qu'elle inflige au travail, ni devant quelques sacrifices humains, toujours justifiés par le « saint progrès » et la promesse d’une vie meilleure.

Quant aux pouvoirs politiques, ils ne peuvent échapper à son emprise. Ils doivent être ses fidèles serviteurs. Les autorités politiques qui promeuvent des régulations sont souvent contournées par des multinationales, qui jouent dans la cour de la mondialisation, ces multinationales ayant souvent plus de pouvoir que les gouvernements. Cette nouvelle trinité risque bien d’entraîner l’humanité dans le mur...

Le savoir ne suffit pas

Assurément, les sciences et les techniques n’ont aucune compétence en matière éthique, écologique et spirituelle, néanmoins elles doivent être mises au service d’une prise de conscience lucide. De plus, il ne suffit pas de pointer de la plume les problèmes pour que les changements jaillissent.

Des penseurs protestants comme Denis de Rougemont, Jacques Ellul, André Biéler, et bien d’autres, nous avaient déjà avertis dans les années d’après guerre. Ces prophètes modernes ont crié dans le désert. Néanmoins, l’urgence de la situation fait qu’aujourd’hui, nombreux sont ceux qui ont pris le relais. Le premier obstacle réside dans la difficulté de changer les comportements.

On attend des autorités qu’elles promeuvent la croissance, et, en même temps, des régulations qui limitent les dégâts. Toutefois ce sont tous les citoyens qui sont concernés. Le tout à l’égo actuel –expression du philosophe Régis Debray- pourra-t-il être remis en question en vue de l’instauration d’une solidarité véritable au niveau mondial ?

Le paradigme de la trinité de substitution peut-il être d’abandonné sans qu’un nouveau paradigme ne soit proposé ? Les démocraties sont-elles en mesure de promouvoir des changements suffisamment rapide ? Et puis, l’écologie serait-elle qu’une préoccupation de riches ? Les pays pauvres en ont-ils les moyens ; et les pays émergents, la volonté ? La question reste ouverte.


**Le Conseil fédéral (CF) s'est prononcé le 25 mai en faveur de l'abandon progressif du nucéaire d'ici 2034. La Suisse a donc 23 ans pour trouver une alternative à l'atome qui couvre actuellement 40% des besoins énergétiques en Suisse.


REPERES

Roland Benz

" J’ai eu le bonheur de rencontrer dans ma vie des personnes qui m’ont fait confiance et m’ont appelé à entrer dans de nouveaux chemins. "

CITATION :
« L’amour libère de toute image », Max Frisch


BIO EXPRESS

Né en 1943, père agriculteur à Genève et mère couturière de la Chaux-de-Fonds
1968 : Mariage avec Catherine, institutrice
1970-1972-1975 : Naissances de Valérie, Olivier, Sébastien
Entre 1998 et 2011 : Naissances de sept petits-enfants

Etudes à Genève - 1968 : Diplôme de physicien à l’Université de Genève
De 1969 - 1993 : Enseignant de physique au Collège de Genève
1994 : Licence en théologie
1994 - 2008 : Pasteur dans l’Eglise protestante de Genève
2004 - 2007 : Modérateur de la Compagnie des pasteurs et des diacres
2008 - 2010 : Responsable festivités du 500e de Calvin organisée par l’EPG
2009 : Enseigne la culture théologique avec d'autres théologiens réformés et catholiques
à l'Atelier oecuménique de théologie de Genève (www.aotge.ch )

GOÛTS

Plats préférés : ceux que je peux préparer pour des amis
Sujet de réflexion de prédilection : rapport sciences et théologie
Hobby : le chant choral
Distractions : théâtre et concerts classiques
Sport : ski
Animal : notre chien
Chiffre : 7
Théologiens préférés : Paul et mes amis théologiens
Bonheur : la présence de nos petits-enfants