Jean-Arnold de Clermont : « Cela ne sert à rien de croire si ce n'est pas pour vivre »
Ramuz
Jean-Arnold a à peine 25 ans quand il met pour la première les pieds en Afrique, en 1964. Il n'a pas encore bouclé ses études de théologie, mais y tient sa première paroisse, à Bangui, en République centrafricaine. Des expatriés africains et des fonctionnaires protestants français y forment le noyau paroissial. « C'était la grande période de la coopération française, se souvient-il. J'y ai vécu une grande fraternité. »
Mais les autres ministres du culte sont américains. Et considèrent ce pasteur français comme issu d'un protestantisme libéral, selon eux en perdition. Ils croient que de Clermont boit, fume. « Ce qui était vrai », rigole-t-il. Mais il prêche chaque dimanche, donne le catéchisme, célèbre mariage et enterrements. Son ministère est lancé.
DéclicA l'époque, sa vocation est déjà vieille de quelques années. « Mais je n'aime pas ce mot, avoue cet enfant da la haute société protestante parisienne. J'ai grandi très lentement dans la foi chrétienne. Mes parents ne parlaient pas de foi, ça ne m'est pas tombé tout d'un coup sur la tête .»
Un déclic se produit toutefois au moment de la mort de son grand-père paternel. Le petit Jean-Arnold est alors pensionnaire à l'Ecole des Roches, un pensionnat privé à Verneuil-sur-Avre. L'éducation est stricte, « à l'anglaise », mais il y trouve l'écoute attentive du pasteur et du chef de maison. Et une première expérience oecuménique. « Dans les années 50, avant Vatican II, c'était tout à fait exceptionnel: j'ai même chanté la messe .» Il y apprend aussi la responsabilité sociale.
A son retour à Paris, il s'apprête cependant à se lancer dans des études d'agronomie. Mais il rate le test d'entrée et opte finalement pour la faculté de théologie du boulevard Arago, en 1962. « Années de vaches maigres », souligne le petit-fils du parfumeur Jacques Guerlain. Mais l'exégèse biblique le passionne. Les débats politiques post-guerre d'Algérie un peu moins.
Mais Jean-Arnold de Clermont aime son Eglise. Pour lui, c'est d'abord le lieu du partage du texte biblique, « les histoires croustillantes de l'Ancien Testament, les paraboles de l'Evangile, les Lettres de Paul, parfois fulgurantes, parfois confuses ». Naît alors le besoin de se confronter à cette Parole, de se laisser conduire par elle. Il se reconnaît protestant quand il se sait « au bénéfice de la grâce qui libère et qui rend responsable ».
Situation ultra-minoritaireMais qui dit protestant français dit aussi une forme d'individualisme, qui a partie liée à une situation ultra-minoritaire en France et que de Clermont n'a rencontrée dans aucun autre protestantisme dans le monde. A la tête de la Fédération protestante de France de 1999 à 2007, le pasteur fait de cette identité minoritaire le moteur d'un engagement pour d'autres minorités: les réfugiés soudanais en Afrique et, surtout, les tziganes en France et leur mouvement Vie et Lumière – un tiers des tziganes du pays.
« Pour moi, leur acceptation comme membres de la FPF est une de ses raisons d'être », souligne l'ex-président. Il soutient entre autres leur combat pour le respect de leurs droits fondamentaux, comme la question des aires de stationnement, d'ailleurs toujours pas réglée depuis la fin des années 90.
Pour de Clermont, le protestantisme ne surplombe pas la société d'une morale pré-établie, mais débat avec elle, à l'image du levain dans la pâte. Et si les Eglises ont perdu leur rôle social, le protestantisme réformé est resté fidèle à lui-même et s'est ouvert une voie dans le monde contemporain. Il déplore l'assimilation des Eglises évangéliques à un moralisme strict, à un combat contre l'islam, mais leur a au contraire toujours laissé la porte ouverte au sein de la FPF, malgré ceux qui estimaient qu'il écornait l'image du protestantisme français.
Il ne voit d'ailleurs pas la création l'an dernier du Conseil national des évangéliques de France (CNEF) comme une concurrence pour la FPF, « mais il faudra éviter la surenchère et savoir parfois communiquer ensemble, comme sur l'affaire du pasteur brûleur de Coran ». La vocation d'une minorité, précise-t-il, c'est de se savoir une communauté parmi d'autres et d'influencer le débat, par exemple sur l'immigration, quitte à perdre.
Mais Bernadette Sauvaget ne pouvait passer sous silence la délicate question de la laïcité... « Aucun autre pays au monde n'entretient un pareil rapport conflictuel au religieux », s'exclame son interlocuteur. Il trouve d'ailleurs le dossier des libertés religieuses sur son bureau dès son arrivée. « Je suis beaucoup intervenu pour dénoncer la chasse aux sectes. » Une frange de la classe politique, dont les députés Jean-Pierre Brard et Catherine Picard, le lui reprochera d'ailleurs vigoureusement. Mais il défendra le statu quo coûte-que-coûte. « Un dispositif législatif plus contraignant présentait aussi un danger pour nous, minoritaires. »
En 2005, année des 100 ans de la la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat, il en propose un toilettage. « Vouloir enfermer le religieux dans le privé, c'est l'enfermer dans un temple, dans un bâtiment. » Ce n'est pas sa conception. Il militera pour une laïcité plus ouverte, mais sans beaucoup de succès. « C'est une poutre maîtresse de la République », lui signifiera même Jacques Chirac au moment des voeux du président aux représentants des religions. « Oui, mais ce n'est pas pour autant que vous ne la repeignez pas! » lui rétorquera de Clermont.
Pour le pasteur, la laïcité française offre pourtant un cadre propice à la rencontre avec l'islam. « Il n'est pas bon que le pouvoir politique contrôle ce qui lui fait peur. » De Clermont pointe notamment ici la création du Conseil français du culte musulman, sous l'impulsion de Nicolas Sarkozy. Il regrette aussi aujourd'hui d'avoir jeté un froid dans les relations historiquement privilégiées entre protestants et juifs en France lors de ses voyages en Israël-Palestine. « Nous sommes spirituellement enracinés et historiquement alliés. »
Finalement, si les relations avec l'archevêque de Paris, le cardinal Jean-Marie Lustiger, n'ont pas toujours été au beau fixe, le pasteur parle avec foi d'oecuménisme: « Démarche extérieurement nécessaire pour dire ce qu'est l'Eglise de Jésus-Christ et intérieurement nécessaire pour ne pas vivre enfermé sur soi-même. » Au terme de son mandat à la tête de la KEK (Conférence des Eglises européennes, 2003-2009), au moment de l'assemblée générale à Lyon, il sera très touché quand le patriarche de Constantinople, Bartholomée Ier, invitera l'Eglise catholique romaine à rejoindre la KEK.
A l'image du sociologue Jean-Paul Willaime, qui envisage le christianisme « comme une culture parmi d'autres dans l'Europe d'aujourd'hui », de Clermont martèle: sa vraie condition est d'être minoritaire, « donc attentif à son témoignage ». Un témoignage qui s'enracine dans l'écoute de Dieu: « la seule question qui vaille », note celui qui appartient à un petit groupe de réflexion qui envisage la création d'un observatoire de la liberté religieuse dans le monde...
*Une voix protestante, Entretiens avec Bernadette Sauvaget, Desclée de Brouwer, 2011, 192 pages.