André Comte-Sponville : «Ce serait plus facile si Dieu existait»
23 mai 2011
Ancien chrétien fervent, André Comte-Sponville se définit désormais comme un athée non-dogmatique et fidèle. S’il ne croit plus en Dieu, le philosophe français défend résolument les valeurs gréco-judéo-chrétiennes. Il a donné, mardi à Lausanne, une conférence sur le thème « Une spiritualité sans Dieu » à l’invitation de l’aumônerie de l’Université de Lausanne et l'Ecole polytechnique fédérale.
Athée, André Comte-Sponville, 59 ans, l’est assurément puisqu’il ne croit plus en Dieu depuis plus de quarante ans : « J’ai été un chrétien fervent et pratiquant jusqu’à mes 18 ans. Ma foi était alors très vive. Notre façon d’être dépend de la religion que l’on refuse. La mienne est donc spécifiquement chrétienne. Je refuse toutes les religions, mais la seule qui m’intéresse vraiment est le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, plus communément appelé Dieu de Jésus-Christ, car c’est ma culture et mon histoire ».
L’inexistence de Dieu plus crédible L’adjectif non-dogmatique qu’il emploie au moment de se présenter se réfère au fait que nul ne sait si Dieu existe ou pas. « Je ne le sais pas, mais je ne le crois pas. J’ai parlé à Dieu, mais lui ne m’a jamais rien dit. L’inexistence de Dieu me paraît beaucoup plus vraisemblable que son existence. L’idée que l’homme a été créé par Dieu à son image me paraît tellement peu crédible, car l’être humain est nul comme image de Dieu, que c’est l’une des raisons pour lesquelles je suis athée », argumente l’ancien maître de conférences à la Sorbonne.
La fidélité qu’il revendique, même si elle n’est pas en Dieu, le rapproche des croyants puisqu’il se réfère par là aux valeurs gréco-judéo-chrétiennes que sont notamment l’amour, la justice, la douceur en opposition à la violence, la vertu du pardon, la générosité : « Tout athée que je suis, je reste sensible par toutes les fibres de mon être à un certain nombre de morales transmises pendant des siècles par la religion. Rien ne prouve qu’elles aient besoin d’un Dieu pour subsister. La seule façon de rester fidèle est de transmettre ces valeurs que j’ai reçues ». D’accord jusqu’à la résurrection Il aborde les trois vertus chrétiennes principales que sont la foi, l’espérance et l’amour avec le prisme de l’athéisme. « Pour la foi, je n’en ai aucune. Il reste une fidélité commune à des valeurs morales et spirituelles que l’on a reçues en Occident et la charge de les transmettre. Quand je lis l’Evangile, je suis prêt à signer presque tout même si les miracles ne sont pas ma tasse de thé et que si on me gifle la joue droite je ne vais pas tendre la gauche. Nous sommes d’accord sur les 33 premières années, mais séparés par les trois jours qui suivent la crucifixion, car pour les chrétiens l’histoire continue avec la résurrection ».
En ce qui concerne l’espérance, là aussi André Comte-Sponville se distancie des croyants : « Pour l’athée que je suis, les espoirs viennent buter sur le fond très obscur de la mort. On ne peut pas échapper à une sorte de désespoir, un « gai » désespoir. Il n’y a plus rien à espérer car le réel me comble ! Pour moi, le royaume, c’est ici et maintenant. J’y habite déjà. Rien d’autre que le présent n’existe, on est donc déjà sauvés car déjà dans l’éternité » La rareté de l’amour La troisième des vertus chrétiennes principales est respectivement l’amour pour les protestants, la charité pour les catholiques. Un autre sujet de désaccord pour le philosophe : « On ne sait pas ce qu’est l’amour ! Il n’y a personne, à part nos enfants, que nous aimons plus que nous-mêmes. On a tous expérimenté la faiblesse, la fragilité et la rareté de l’amour. L’amour ne dépend pas de nous, le respect oui ! Même si parfois l’amour nous ouvre à l’infini, à l’immanence inépuisable ».
Plusieurs études récentes montrent que la grande majorité de la population européenne entretient des rapports de plus en plus distants avec la religion et la religiosité. Pour André Comte-Sponville, il est tout à fait possible de se passer de religion, même en cette période de retour du religieux, et de ne pas croire en Dieu : « On le voit en prenant un peu de recul. Que ce soit en terme de temps en se référant à la grande sagesse de la Grèce antique ou d’espace puisqu’en Orient les bouddhistes et les taoïstes notamment ne croient pas en Dieu ». La spiritualité est la vie de l’esprit Cet état de fait n’empêchant en rien d’avoir une spiritualité puisqu’elle n’est en aucun cas liée à Dieu, l’auteur du livre L’esprit de l’athéisme (Introduction à une spiritualité sans Dieu) conteste la synonymie entre religion et spiritualité : « La vie humaine ne peut être complète qu’en ayant une spiritualité. On en a tous besoin. Cela relève du libre choix de chacun que ce soit avec ou sans Dieu. La spiritualité est la vie de l’esprit, le pouvoir de penser, de vouloir, d’aimer, de rire. Nous avons tous en nous ces pouvoirs. Les athées n’ont pas moins d’esprit que les croyants ! Pourquoi donc auraient-ils moins de spiritualité ? ».
Pour lui, vivre sans croire en Dieu n’est pas la solution de facilité, bien au contraire. « Je préfèrerais que Dieu existe, c’est ce que je désire par-dessus tout. Ce serait plus facile et agréable. Aucune existence n’est plus désirable que celle de Dieu car c’est réconfortant d’avoir une vie après la mort, de ressusciter, de retrouver les êtres chers que nous avons perdus et d’être aimé d’un amour infini. Qu’espérer de mieux ? Mais si nous avons un esprit, c’est pour nous en servir. Ce n’est pas pour penser ce qui est le plus agréable, mais le plus vraisemblable. Aucune croyance n’est plus suspecte que l’existence de Dieu », conclut André Comte-Sponville. Parole d’un athée qui croit en bien des choses.
INFOS
La conférence d’André Comte-Sponville a été suivie d’un débat avec la philosophe et professeure de théologie protestante Lytta Basset et le prêtre et professeur de théologie catholique François-Xavier Amherdt.
Légende Photo : André Comte-Sponville est fidèle à un patrimoine à défaut de l’être à Dieu ©Anne Buloz-ProtestInfo
Cet article a été publié dans :
Le quotidien genevois Le Courrier le samedi 20 mai 2011.