D'une foi à l'autre: portraits de convertis
Par Tania Buri
Anonyme n'est pas synonyme d'insignifiant. Béatrice Guelpa a rencontré des personnalités aux parcours étonnants, comme celle de cet agent infiltré à la mosquée de Genève pour le compte des services secrets suisses, qui s'est ensuite converti à l'islam. Claude Covassi est certes un anonyme , mais qui avait défrayé la chronique en 2006.
Alternative et orthodoxieLa journaliste a essayé d'éviter les conversions liées à un phénomène de mode. Les personnes qu'elle a rencontrées étaient souvent en quête d'immuable, d'une inscription dans un groupe à travers le temps. Dans ce monde mouvant, sans point de repères, c'est Jérôme qui incarne le mieux cette trajectoire vers l'orthodoxie. Sans que cela soit nécessaire, il s'est fait baptiser à nouveau. Le jour J, il porte une robe de baptême, « une toile blanche qui, selon la tradition, sera aussi son linceul ».
Fait surprenant, il n'a pas parlé de sa conversion à ses proches, écrit Mme Guelpa. A l'heure du libéralisme spirituel, une conversion est difficile à avouer. « Etre croyant dans un milieu alternatif est une singularité plus difficile à assumer qu'une crête sur la tête ou une collection de piercings », peut-on lire plus loin.
« J'ai fait de belles rencontres, poursuit la journaliste, attablée au buffet de la gare à Lausanne. Difficile de dire celle qui m'a marquée plus qu'une autre. Peut-être Jean-Emmanuel, le gardien kurde de la Cathédrale de Genève. La force de ses rêves est incroyable. » Il lit une Bible, envoyée par son oncle d'Allemagne, dans les montagnes du Kurdistan. Et cette Bible l'amène à Genève alors qu'il ne connaît personne. Car entre-temps il s'est passionné pour la Réforme et Calvin.
Après un parcours du combattant et même s'il ne regrette pas son choix, il avoue: « Je me suis peut-être trompé sur un point... J'ai trop associé Genève et Calvin. Comme personnalité, il est plus respecté en France, aux Etats-Unis, en Corée du Sud ou en Australie », lit-on.
Protestante lambda, Béatrice Guelpa a suivi son catéchisme jusqu'à 16 ans, âge de la confirmation. En étudiant la philo, elle s'est ensuite éloignée de la religion. « J'ai un rapport ouvert à la religion. C'est peut-être le bon côté d'une éducation religieuse pas trop marquée. Je n'ai pas d'a priori, de dégoût prononcé ou de compte à régler. »
« J'ai retracé des parcours de vie, des aventures humaines, ce n'est ni sociologique, ni théologique. » Voulant éviter toute généralisation, la journaliste évite de répondre à certaines questions avant de lâcher: « J'ai repéré des points communs. Dans deux cas de conversion, l'un vers l'islam, l'autre vers le judaïsme, les mots étaient presque les mêmes, cela m'a surprise. »
Des discours rôdés et identiques dans la famille évangélique lui mettent parfois la puce à l'oreille. Mais la proximité des discours ne remet pas forcément en question la sincérité des conversions, s'empresse-t-elle d'ajouter. « Les personnes que j'ai rencontrées étaient vraiment animées d'une quête, quels que soient les motifs, les déclencheurs. Les gens qui cherchent quelque chose, c'est plutôt remarquable. En tout cas, ces personnes m'ont fait avancer», a poursuivi la journaliste.
Le jugement sur ces parcours de vie? « C'était la grosse limite de l'exercice... Comme il n'y pas de thermomètre pour mesurer la foi, je me suis livrée à l'exercice de retranscrire le plus honnêtement le parcours de ces nouveaux convertis. »
Rechercher du sens par le biais des religions historiques pour des individus post-modernes, est-ce pertinent? ai-je encore tenté de lui demander. « Pourquoi pas s'ils trouvent leur chemin comme cela. Pour eux visiblement, cela fait sens. Ils trouvent une direction. Certains arrivent à transformer tout cela en une éthique de vie. Cela m'interpelle », a répondu la jeune femme.
« C'est un chemin. Cela peut être le chemin inverse... vers la laïcité. C'est vrai que nous sommes dans un moment de société où il est difficile de trouver une place, un sens. Ce n'est en tout cas pas plus idiot que d'aller au supermarché et de remplir des sacs », a poursuivi la Franco-genevoise.
Ces recherche de sens, ces recherches identitaires ne sont pas toutes liées à la mondialisation, car beaucoup des convertis sont des personnes qui sont restées en Suisse, comme ce pasteur qui a choisi de devenir curé . « Pasteur pendant cinq ans, Patrick devient curé après treize ans de démarches, lit-on dans le livre publié aux Editions Labor et Fides. Il fait partie des trois cents pasteurs qui ont obtenu une dispense de célibat du pape en vingt-cinq ans, essentiellement des Anglo-Saxons ou des Allemands. Il est le premier francophone. »
Il reste père de quatre enfants et marié à Henriette. « Etre femme de pasteur ou femme de curé, ce n'est pas la même chose... Femme de curé, cela n'existe pas... C'est vrai qu'il n'y a pas de nom pour désigner ce que je suis. Pour les paroissiens, je suis Henriette ! Comme ils ne savent pas quoi me dire, ils m'appellent Henriette ! »
Béatrice Guelpa a encore été frappée par la souffrance provoquée par la conversion. « Les conséquences de ce choix sont souvent lourdes à porter. Il y a des remises en cause radicales qui peuvent amener à s'éloigner d'un pays ou d'une culture. Peut-être moins spectaculaire, mais tout aussi douloureuse peut être l'incompréhension de proches ».
Trois questions à Pierre-Yves Brandt
Pierre-Yves Brandt est professeur de psychologie de la religion à la Faculté de théologie et de sciences des religions de l'Université de Lausanne. Il a publié avec Claude-Alexandre Fournier un ouvrage intitulé La conversion religieuse, en 2009, également paru chez Labor et Fides.
ProtestInfo: Vit-on un moment particulier sur le plan des conversions?
Pierre-Yves Brandt: Je ne pense pas que la situation en Suisse, en Europe, soit si différente de ce qu’elle était il y a vingt ou trente ans.
La conversion formelle est nécessaire lorsqu’une institution religieuse adopte une attitude exclusiviste en ce qui concerne la possibilité de prendre part aux activités qu’elle organise. Exclusiviste signifie qu’elle exige que vous renonciez officiellement à toute appartenance à une autre institution religieuse et parfois même que vous renonciez à participer à toute activité organisée par une autre institution religieuse.
Ainsi, avant Vatican II, il était en principe interdit à un non catholique d’assister à la messe, ce qui imposait de se convertir au catholicisme si l’on voulait se joindre à cette célébration officiellement. Dans la première moitié du 20e siècle, on a donc assisté à des conversions du protestantisme au catholicisme et vice versa, parfois de manière spectaculaire si la personne qui changeait d’Eglise était une personne en vue.
Aujourd’hui, vous pouvez avoir des protestants sur les bancs d’une église catholique ou des catholiques sur les bancs d’une église protestante sans que personne ne s’en émeuve. La conversion concerne donc en Suisse aujourd’hui plutôt le choix de certains d’entrer dans des groupes évangéliques, qui peuvent avoir une politique très stricte pour distinguer les membres et les non-membres (avec des activités réservées exclusivement aux membres).
Elle concerne aussi le choix de devenir musulman. En raison de la distance culturelle entre les groupes musulmans actifs chez nous et la société suisse, la transformation identitaire qui accompagne la conversion d’une personne d’origine suisse (en provenance d’une famille protestante ou catholique depuis plusieurs générations) frappe les esprits car elle s’accompagne souvent de l’adoption de coutumes nouvelles en matière d’habillement, d’alimentation, de calendrier.
Ces changements de coutumes servent d’ailleurs de signes de différenciation aidant la personne convertie à affirmer sa nouvelle identité. Mais, en terme de nombre, le phénomène reste limité en Suisse comme en Europe.
ProtestInfo: Pourquoi les gens se convertissent-ils?
Pierre-Yves Brandt: Il y a plusieurs raisons qui poussent à la conversion dans notre société. Comme à toutes les époques, il y a des gens en recherche qui trouvent une réponse à leurs questions dans un système religieux et qui décident d’y entrer. Ce sont des conversions par convictions.
Il y a aussi des conversions qui accompagnent un mariage: l’un des partenaires choisit d’adopter la religion de l’autre pour homogénéiser les valeurs communes dans la famille.
Je crois qu’il y a aussi des conversions motivées par la recherche de sécurité: dans notre société où la responsabilité de choisir ses propres valeurs est laissée en grande partie à l’individu, certaines personnes vivent cela comme une charge trop lourde à assumer. Elles cherchent un environnement de refuge offrant des repères clairs en terme de règles à suivre, de pratiques, permettant de savoir si l’on fait bien ou si l’on fait mal. L’obéissance est parfois plus rassurante que la liberté.
ProtestInfo: Ces conversions en Occident ne cachent-elles pas au fond un durcissement sur le plan mondial, notamment du côté de l'islam?
Pierre-Yves Brandt: Je crois que l’islam a toujours supposé que la conversion était la meilleure manière de se sauver. Le christianisme et ses missions n’a pas agi différemment dans les siècles passés.
Il y a eu un moment de grande ouverture ces dernières décennies en Europe et l’on observe un certain repli identitaire depuis vingt ans. Les sociétés musulmanes n’ont pas vécu le passage à la modernité comme les sociétés occidentales. C’est pourquoi la mondialisation avec ses mouvements de populations amène soudain au milieu de nos sociétés pluralistes une proportion non négligeable de ressortissants musulmans dont certains revendiquent fortement une appartenance identitaire exclusive demandant à nos sociétés de nous adapter à leurs exigences. Cela nous paraît être un retour en arrière par rapport à ce qu’était l’appartenance religieuse au christianisme il y a un siècle.
ProtestInfo: Y-a-t-il d'autres périodes dans l'histoire comparables à l'époque actuelle en terme de mouvements de conversions?
Pierre-Yves Brandt: Mon collègue Enrico Norelli dit que le deuxième siècle de notre ère, dans l’empire romain, présente de nombreuses similitudes en ce qui concerne la diversité d’appartenances religieuses qui se côtoyaient dans un même espace géographique. Les personnes avaient la possibilité de fréquenter différentes sortes de cultes, d’adhérer à des groupes d’origines diverses. T. B.
INFOS
- D'une foi à l'autre. Portraits de convertis. Béatrice Guelpa, Editions Labor et Fides, 2011, 240 pages.
- Article paru dans le Monde des religions.
- Interview de Béatrice Guelpa au TJ de 12h45