Davantage de Noirs dans les prisons américaines aujourd’hui que d’esclaves en 1850

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Davantage de Noirs dans les prisons américaines aujourd’hui que d’esclaves en 1850

Dick Price
14 avril 2011
“Il y a plus d’hommes afro-américains emprisonnés aujourd'hui qu’il n’y avait d’esclaves en 1850 avant le début de la guerre civile”, a déclaré Michelle Alexander, professeure de droit dans l’Etat d’Ohio. L'auteure du bestseller "The new Jim Crow ou l'incarcération de masse à l’ère de la non-discrimination raciale" s'exprimait à la Bibliothèque principale de Pasadena fin mars.


, LA Progressive

En abordant ce sujet, Michelle Alexander a mis le doigt sur un point sensible. Ce soir-là, plus de 200 personnes ont affronté une pluie battante et les inévitables bouchons pour se masser dans la salle principale de la Bibliothèque de Pasadena, une petite ville proche de Los Angeles; des douzaines d’autres furent installées dans une pièce voisine, et les derniers arrivants furent tout simplement renvoyés. Plancher historique du taux de criminalité

Le taux de criminalité n’explique pas l’augmentation spectaculaire du nombre d’hommes noirs incarcérés dans les prisons américaines depuis une trentaine d’années, a expliqué Mme Alexander. Cette professeure a été greffière auprès du juge de la Cour suprême Harry Blackmun après avoir suivi les cours de la Stanford Law School. “En fait, le taux de criminalité a fluctué au cours des années et se situe maintenant à un plancher historique”, a-t-elle relevé.

“Ce phénomène s'explique en large partie par la guerre menée contre la drogue, et dirigée presque exclusivement contre les communautés noires et pauvres”, a-t-elle déclaré, alors que plusieurs études ont montré que les Blancs utilisent et vendent des drogues illégales autant ou même plus que les Noirs. Dans certaines communautés noires de quartiers défavorisés des centres-villes, quatre jeunes noirs sur cinq peuvent s’attendre à avoir à faire à la justice au cours de leur vie.

Conséquence de cette situation, selon Mme Alexander, de très nombreux hommes noirs sont privés de leurs droits – empêchés, du fait de condamnations pour infraction grave, de voter et de vivre dans des logements sociaux, victimes de discrimination à l’embauche, exclus des jurys et privés d’accès à la formation.

70% des hommes noirs incarcérés une fois retournent en prison

“Que pouvons-nous attendre qu’ils fassent?” a demandé l’oratrice. Celle-ci a mené des recherches pour la publication de son livre alors qu’elle travaillait comme directrice du Projet de justice raciale de l’Union américaine pour les libertés civiles (ACLU) de Californie du Nord. “En fait, 70% d’entre eux retournent en prison dans les deux ans, c’est cela la réalité. ”

La manifestation, organisée par la Librairie publique de Pasadena et le Centre Flintridge, avec le soutien d'une douzaine d'organisations parmi lesquelles l’Eglise locale a attiré de fait des personnes déjà convaincues : plus des deux tiers d'entre elles représentaient la communauté

“Si nous devions revenir aux populations carcérales du niveau de 1970, avant le début de la guerre contre la drogue, a-t-elle indiqué, plus d’un million de personnes travaillant dans le système pénitentiaire verraient leur emploi disparaître.”

noire établie à Pasadena, alors que d’autres venaient de milieux militants. Les propos de l'oratrice, aussi brillants furent-ils, n’avaient pas grand-chose de nouveau pour ce public, qui faisait en quelque sorte office de chœur. De ce fait, la vraie question a été de savoir ce qu’il faut faire pour lutter contre cette injustice.

Mariée à un procureur fédéral, Michelle Alexander a brièvement mentionné les divergences d’opinion qui interviennent parfois dans sa famille. “Vous pouvez imaginer les discussions que nous avons. Mon mari pense qu’il y a des changements que nous pouvons susciter à l’intérieur du système”. Mme Alexander n'y croit que partiellement :“Je pense qu’il doit y avoir une révolution d'une manière ou d'une autre.”

Quelle que soit la façon dont le changement viendra, le système carcéral américain, souvent en mains privées et géré selon une logique industrielle, sera un obstacle de taille.

“Si nous devions revenir aux populations carcérales du niveau de 1970, avant le début de la guerre contre la drogue, a-t-elle indiqué, plus d’un million de personnes travaillant dans le système pénitentiaire verraient leur emploi disparaître.”

Dépendance de l’Amérique à l’égard du système pénitentiaire Ainsi, la situation de dépendance de l’Amérique à l’égard du système pénitentiaire est la même que celle qu'elle connaît avec la guerre. « Nous avons construit une machine de guerre, plus importante que celles de tous les autres pays du monde réunies, avec des millions de personnes bien payées dans l’industrie de la défense, et des milliards de dollars en jeu. Face à un marteau aussi fort, toute question de politique étrangère a l’air d’un clou à enfoncer – encore une bombe à lancer, encore un pays à envahir, encore un grand projet de fabrication d’armes à réaliser.

De même, face au complexe carcéro-industriel bien en place, et avec un million d’emplois et des milliards de dollars en jeu, tout cas de justice criminelle a aussi l’air d’un clou: encore une peine de prison à décréter, encore une double récidive à punir, encore une prison à construire dans une petite ville qui veut créer des emplois, encore une chance de vie meilleure à refuser.

Michelle Alexander, qui tire son inspiration de l’action du pasteur Martin Luther King, consacre la dernière partie de son livre aux mesures que les gens peuvent prendre pour combattre ce phénomène. Elle recommande en particulier de soutenir l’organisation opposée à la guerre contre la drogue “Drug Policy Alliance”. (FN)