« Dans une Suisse parfaite, j’attribuerais davantage de tâches à la société civile qu'aux Eglises »

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« Dans une Suisse parfaite, j’attribuerais davantage de tâches à la société civile qu'aux Eglises »

Samuel Ramuz
1 février 2011
Jon Pult © FEPS/Röthlisberger

Les croyances ont-elles besoin d'Eglises? Vendredi 28 janvier à Davos, la question a tenu en haleine les intervenants de la dernière soirée de l'Open Forum 2011 de la FEPS. Parmi eux, Jon Pult, 26 ans et président du parti socialiste grison. Interview.



ProtestInfo: Jon Pult, avez-vous peur des Eglises?

Jon Pult: Non, pas du tout. J’ai du respect pour les communautés religieuses. Mais j'éprouve aussi un certain scepticisme lorsque elles prétendent à une vérité trop absolue et ont le sentiment de détenir un monopole sur la transmission d’une orientation éthique ou sur la recherche de sens dans la vie. On peut avoir des valeurs fondamentales issues des Lumières et non pas seulement d’une croyance. Mais je n’ai aucune peur de l’Eglise.


P.: Les prises de parole au fond très ouvertes du nouveau président de la FEPS Gottfried Locher ne vous ont-elles pas séduit?


J.P.: J’apprécie M. Locher en sa qualité de citoyen et d’homme ouvert, ainsi qu’en sa fonction de pasteur et de président de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse. La différence fondamentale entre lui et moi, c’est que lui croit en Dieu. Il croit que le bonheur, la paix de l’esprit, et en définitive la bonté tiennent à la croyance en quelque chose de surnaturel.

P.: Vous croyez donc plutôt en l'Homme?

J.P.:
Je crois que nous devons, ici et maintenant, forger un monde meilleur. Et que pour ce faire, les droits de l’Homme sont notre base. Les hommes – et les femmes – devraient agir en vertu de fondements libérateurs et basés sur la raison. Ils doivent en premier lieu être des citoyens adultes et, s'ils en éprouvent le besoin, ils peuvent appartenir à une certaine communauté religieuse établie, mais en deuxième lieu seulement.


P.: Mais les valeurs socialistes ne sont-elles pas en partie issues des valeurs originellement évangéliques?

J.P.:
Naturellement, beaucoup de valeurs chrétiennes sont également des valeurs sociales-démocrates. Par exemple, un adage dit que le Sermon sur la montagne est le premier manifeste social-démocrate. Mais en tant que sociaux-démocrates – parmi lesquels on compte des sociaux-démocrates croyants, athées, agnostiques (ndlr: dont Jon Pult est) –, nous sommes convaincus que notre engagement ne doit pas être d'abord motivé par une croyance en l’au-delà, mais dans dans l’ici et maintenant. C’est l’ici et maintenant qui doivent déterminer notre individualité et notre capacité à raisonner.


P.: Ces différences de sensibilités ne sont-elles pas source de divergences à l'interne du parti?


J.P.:
Sur le plan philosophico-religieux, nous avons des positions différentes, qui peuvent déboucher sur des débats vifs. Mais ce qui beau c’est que, en définitive, qu’on soit croyants ou non, personne ne peut prouver qui a tort ou a raison; s’il existe un dieu ou non.

P.: Vous appartenez encore à la Jeunesse socialiste suisse (JUSO). Vous reconnaissez-vous dans ses prises de position extrêmes en matière de laïcité (votées à l'automne 2009)?

J.P.:
La majorité des JUSO sont des laïques convaincus. Notre président, l'Argovien Cédric Wermuth, en fait partie. Et je considère qu'il est vital que, dans la démocratie qui est la nôtre en Suisse, une instance formule l'importance d'une séparation stricte entre Eglise et Etat. Même s'il est vrai, par exemple, que l'impôt ecclésiastique n'est pas perçu dans tous les cantons...


P.:
Justement, n'y a-t-il pas là un double discours tenu par certains socialistes laïques?  Séparation stricte d'une côté, mais reconnaissance des prestations fournies de l'autre...

J.P.:
Non, je ne crois pas. Je ne remets pas en cause les prestation de type social fournies par les Eglises. Elles jouent un rôle non-négligeable dans notre société civile. Là où je ne suis pas d’accord, c’est lorsque les Eglises, ou les communautés religieuses au sens large, formulent des exigences auprès de citoyens qui ne souhaitent pas y adhérer. Nous demandons l’égalité pour tous! Et une plus grande séparation Eglise/Etat que celle qui existe à l’heure actuelle va dans ce sens.

P.: Mais l'Etat devrait-il selon vous reprendre à son compte des prestations aujourd'hui fournies par les Eglises? Dans le cas bien particulier du canton de Neuchâtel, le départ récent d'un gros contributeur remet passablement en cause la répartition des tâches...


J.P.:
Si je pouvais façonner seul une société parfaite – heureusement je ne le peux pas, nous vivons dans une démocratie! –, j’attribuerais davantage de tâches à la communauté séculière qu'aux Eglises reconnues. Autrement dit plus à l’Etat et à ses différents échelons qu’aux institutions religieuses reconnues, à des degrés divers, d'utilité publique par les cantons.

Mais l'histoire suisse en a décidé autrement et nous devons donc viser la meilleure coopération possible. Et, quelle que soit la qualité et l'économicité du travail fourni par les Eglises (ndlr: l'étude FAKIR de la FEPS parue l'automne dernier montre que leurs prestations valent effectivement ce qu'elles coûtent aux cantons), viser un Etat plus social, plus équitable et plus juste doit rester notre priorité.

P.:
Vous revenez de quelques jours de vacances en Egypte. Avec quels sentiments par rapport aux vastes soulèvements qui visent le pouvoir en place?


J.P.:
Deux choses m’ont touché. Premièrement, les citoyens égyptiens; ils n'hésitent pas à passer outre les appartenances sociales ou religieuses (chrétiens coptes, jeunes sunnites,...) et sortent ensemble dans la rue pour manifester contre un régime corrompu. Cet espoir commun et ce soulèvement contre le régime de Moubarak pour créer une société plus juste, cela me touche profondément.

P.: Et la deuxième?


J.P.:
Des Egyptiens, tant chrétiens que musulmans, m'ont parlé des mêmes rêves: ceux d’enfin introduire dans leur pays les droits de l’Homme, d’instaurer une sécurité sociale, d’avoir du travail, d’avoir du pain ainsi qu’un minimum de dignité humaine. Je leur souhaite sincèrement de pouvoir se construire un quotidien meilleur que ces trente dernières années.

 

 


Un politicien romanche fan de Zapatero


Mais qui est ce fan de Zapatero à la double nationalité italo-suisse mais au nom typiquement romanche? « Petit politicien province », comme il aime à se décrire, Jon Pult n'est en pas moins un des plus sûrs talents politiques du canton. Candidat au Conseil national sur la liste du PS grison pour les fédérales de cet automne, il s'est entre autres illustré en mai 2009 en lançant avec ses camarades des JUSO une initiative pour l'introduction de cours d'éthique dans la scolarité obligatoire.

« La confrontation critique avec le fait religieux doit avoir lieu à l'école, et cette confrontation ne doit pas être laissée aux Eglises », estimaient alors les auteurs de l'initiative. Le peuple leur avait alors partiellement donné raison en maintenant des heures de cours confessionnels.