La théologie libérale et ses enjeux

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La théologie libérale et ses enjeux

Bernard Reymond
12 janvier 2011
Comme toutes les églises ou religions, le protestantisme abrite divers courants de pensée et de spiritualité qui ont l’habitude de s’y côtoyer, généralement avec irénisme, parfois au gré de disputes qui peuvent être très vives et qui montrent alors combien pour des chrétiens, quelle que soit leur orientation, la vérité n’est jamais à bien plaire, mais toujours, espérons-le, dans une attitude de respect réciproque qui est un aspect essentiel de l’amour du prochain.


Par commodité, l’habitude veut que ces divers courants soient désignés par des adjectifs qui, tels des étiquettes, aident à s’y retrouver dans les débats d’idées, mais dont il faut se garder de faire des épouvantails ou des étendards indûment partisans. « Orthodoxe » et « libéral » sont en l’occurrence les deux adjectifs les plus fréquemment utilisés pour désigner deux tendances effectivement bien distinctes au sein du protestantisme pris dans son ensemble.

Comme son nom l’indique, le courant orthodoxe entend rester fidèle à une « droite louange » et se situer résolument dans la droite ligne des doctrines défendues par les réformateurs. Le courant libéral, en revanche, ne conçoit pas de fidélité bien comprise aux vérités évangéliques qui ne s’accompagne précisément de liberté en matière de foi. Regardons-y de plus près.

C’est à peu près vers 1830 que l’adjectif « libéral » est apparu en français pour désigner un courant de pensée spécifique au sein du protestantisme. Mais l’exigence dont il rend compte est plus ancienne. Elle était déjà potentiellement présente dans la Réforme du XVIe siècle, par exemple quand Luther avance que tous, au sens de l’évangile, sont prêtres et ont par conséquent « le pouvoir d’apprécier et de juger le vrai et le faux dans le domaine de la foi ».

Mais Luther lui-même, tout comme Calvin d’ailleurs, ne tolérait guère que, dans ce domaine-là, on ne soit pas du même avis que lui.

Mais Luther lui-même, tout comme Calvin d’ailleurs, ne tolérait guère que, dans ce domaine-là, on ne soit pas du même avis que lui. Seuls des gens comme le courageux Sébastien Castellion ont défendu et assumé en plein siècle de la Réforme cette exigence de liberté personnelle dans la lecture et l’interprétation des Ecritures.

L’exigence de rectitude doctrinale s’est toutefois rapidement trouvée sujette à contestation, soit de la part du piétisme pour lequel la ferveur de la piété vécue devait l’emporter sur les rigidités doctrinales, soit du côté de tous ceux qui ont été de plus en plus attentifs au fait que la référence aux Ecritures suppose toujours un processus d’interprétation ; les dogmes prétendument tirés des Ecritures ne sont par conséquent eux aussi que des interprétations et doivent être considérées comme sujettes à discussion, voire à révision.

D’autre part une prise de conscience décisive s’est imposée à de nombreux esprits au XVIIIème siècle comme une conséquence des persécutions dont ont été victimes les protestants de France et d’autres régions européennes : le protestantisme a par principe partie liée avec la liberté de pensée et de conscience chère au siècle des Lumières qui, sauf en France où il s’est montré volontiers anti-chrétien, a souvent été le fait de pasteurs et de penseurs protestants.

Ainsi s’est amorcée une nouvelle phase de l’histoire protestante avec l’avènement de ce que l’on appelé le « néo-protestantisme » et qui est à l’origine du protestantisme libéral. La nouveauté par rapport aux siècles précédents et le souci de véritablement penser et de vivre le christianisme au présent, en pleine « modernité » comme on dit parfois, et non en reconduisant sempiternellement les attitudes et schémas de pensée du « vétéro-protestantisme ».

Un néo-protestantisme

C’est en tout cas ce néo-protestantisme virant au libéralisme qui a appris aux protestants la nécessité de défendre non seulement la liberté de l’Eglise envers les pouvoirs établis, mais aussi la liberté de chacun dans l’Eglise. D’où l’expression allemande de « libre christianisme » à laquelle peut correspondre celle de « libres croyants », très prisée au cap du XXème siècle.

Au départ, il n’y a donc pas à proprement parler de doctrine libérale, mais une attitude, une option ou une exigence libérales qui, sous l’angle des croyances, se traduisent par une très grande liberté envers les formules doctrinales héritées du passé.

Ainsi en Suisse où nos Eglises protestantes cantonales ont abandonné les unes après les autres, au cours du XIXème siècle, toute confession de foi à caractère obligatoire ou normatif ;

Ainsi en Suisse où nos Eglises protestantes cantonales ont abandonné les unes après les autres, au cours du XIXème siècle, toute confession de foi à caractère obligatoire ou normatif ; sans être évidemment contraints à le passer sous silence, pasteurs et théologiens ont par exemple eu depuis lors la liberté de ne plus se référer au symbole indûment dit « des Apôtres » ni de le lire au cours d’un culte.

On n’a en effet pas manqué de reprocher à ces confessions et autres symboles de faire écran entre les Ecritures et leurs lecteurs, voire de plaquer sur ces Ecritures des doctrines qui ne s’y trouvent pas expressément, sinon par extrapolations spéculatives, comme c’est le cas pour celle de la Trinité ou pour celle des deux natures, divine et humaine, du Christ.

On peut dire que l’attitude et la démarche libérales font désormais partie du paysage protestant en général. Et si c’est le cas, cela signifie que la théologie libérale y a sa place comme d’autres courants y ont la leur, même si les représentants de courants « évangéliques » ou orthodoxes croient parfois devoir la lui contester.

Orthodoxes et libéraux ont à cet égard besoin les uns des autres, les premiers pour éviter de s’enferrer dans des interprétations qui doivent rester ouvertes à la discussion, les seconds pour les inciter à se reposer sans cesse le problème de la fidélité et de la légitimité de leurs interprétations.

* Vous recevrez dans quinze jours une chronique consacrée au courant évangélique, écrite par Michel Kocher.

REPERES

Bernard REYMOND, professeur honoraire de théologie pratique à l’Université de Lausanne, est né à Lausanne en 1933.

Etudes à Lausanne, Marbourg et Heidelberg. Pasteur à Paris, puis dans le canton de Vaud. Chargé de cours à la Faculté de théologie protestante de Montpellier, puis à l’Université de Lausanne.

Auteur de nombreux ouvrages et articles, entre autres sur Alexandre Vinet, sur la prédication, sur l’architecture religieuse des protestants, sur le protestantisme et les différentes formes d’art. Collabore régulièrement au mensuel protestant libéral franco-suisse Evangile et Liberté.
Deux citations :

  • « Là où l’erreur n’est pas libre, la vérité ne l’est pas non plus. » (Alexandre Vinet)
  • « Mon Dieu, si c'est par crainte de l'enfer que je te sers, condamne-moi à
    brûler dans ton feu, et si c'est par espoir d'arriver au paradis,
    interdis-m'en l'accès; mais si c'est toi seul que je sers, ne me refuse pas
    la contemplation de ta face.» (Rabia al-Adawiya, mystique musulmane et
    ancienne esclave, 8ème siècle)