Penser l'islam dans la modernité
13 octobre 2010
Ghaleb Bencheikh, l’animateur de l’émission Islam sur France 2 et président de la Conférence mondiale des religions pour la paix était à Lausanne le week-end dernier. Rencontre.
Par Sylvain Stauffer
L'intellectuel Ghaleb Becheikh pense l'islam en lien avec la modernité. Ce docteur en sciences, fils d'un ancien recteur de la Grande Mosquée de Paris, a donné une conférence à l'Université de Lausanne vendredi dernier. L'occasion de l'interroger sur les dossiers religieux qui agitent la Suisse.
Sys : Quel est votre avis sur le débat que soulève le voile ?
G. B. : Le voile ne relève que d’une recommandation contingente, faite à un moment donné de l’histoire, pour des femmes particulières, pour qu’elles soient reconnues et pour qu’elles ne soient pas offensées. Cette question n’a vraiment pas besoin de tout le tintouin que nous connaissons maintenant, car elle ne relève pas de l’essentiel.
Sys : Que pensez-vous de la votation sur l’interdiction des minarets en Suisse ?
G. B. : C’était on ne peut plus stupide et idiot des deux côtés. Du côté islamique, parce que les mosquées n’ont pas besoin de minarets. Ce n’est ni une exigence architecturale, ni une exigence théologique. La meilleure preuve est la mosquée du Dôme du Rocher à Jérusalem : elle n’a pas de minaret, et cela ne l’a pas empêchée d’être l’une des plus belles et des plus chères au cœur des musulmans.
De l'autre côté, c’était tout aussi stupide de considérer que les minarets sont des fusées et qu’ils ne s’harmonisent pas avec l’architecture. Les nations évoluent, le vivre ensemble doit être empreint de respect et de reconnaissance, dans une société ouverte, multiconfessionnelle. Cette votation n’a pas honoré la Confédération helvétique.
Sys : Êtes-vous favorable à une lecture historico-critique du Coran ?
G. B. : Bien sûr. Et il faut même dépasser l’historico-critique. Il ne faut pas rester dans ce que j’appelle l’archéologie et la traçabilité. C’est un texte qui nous interpelle, qui nous pose des questions sur le sacré, sur la destinée de l’homme, sur le mystère de la vie. Et donc il ne faut pas faire un travail uniquement sur le contenant, mais également sur le contenu et sur ses significations, au pluriel. Peut-être que les nouveaux outils comme la sémiotique, la linguistique ou la médiologie, peu utilisées jusqu'ici, nous ouvriront d’autres perspectives. Et bienvenue aux résultats qui peuvent en découler !
SyS : Comment la tentative d’interpréter le Coran en lien avec la modernité est-elle perçue dans le monde musulman ?
G. B. : Mal au niveau des couches populaires. On ne comprend pas. De plus il y a des atavismes, des réflexes, des peurs : on confond fidélité à la foi et fixisme, attachement à la spiritualité et rigidité. Mal également au niveau du pouvoir politique quand il est le bras séculier pour imposer la loi dite d’inspiration religieuse. Toutefois, à côté de cela, il y a des intellectuels, des théologiens, des chercheurs qui font bouger les choses. Peut-être pas en nombre suffisant, peut-être pas avec assez de puissance pour servir de levier afin de changer les paradigmes de pensée, mais en tous cas ils existent et cela ouvre des perspectives. (3000 signes)
Sys : Le dialogue interreligieux est aujourd’hui à la mode, qu’en pensez-vous ?
G. B. : C’est paradoxal. Il y a d’une part une prolifération de colloques, d’associations, de rencontres sur le dialogue interreligieux, et de l’autre il y a une montée de la crainte, de l’hostilité… Toutefois, je pense que le dialogue interreligieux relève d’un besoin vital. Il est nécessaire pour faire reculer les craintes, pour plus de reconnaissances, pour laisser place à l’amitié, à la solidarité, pour construire ensemble une société juste, fraternelle et solidaire.
INFOS
Ghaleb Bencheikh est venu donner une conférence à l'Université de Lausanne sur une invitation de la Faculté de théologie et de sciences des religions, la Société suisse de théologie et l'IRSB, l'Institut romand des sciences bibliques.
Cet article a été publié dans :
Le quotidien vaudois 24 Heures.