A quoi ressembleront les cimetières de demain?

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A quoi ressembleront les cimetières de demain?

2 mai 2010
Dans les villes, la pression démographique tend à assimiler ces lieux à des parcs d’agréments. Les écologistes y voient l’un des derniers paradis pour la biodiversité en zone urbaine tandis que les pratiques funéraires se transforment. Autant de raisons de supposer que le modèle du cimetière traditionnel est sur le point de rendre son dernier souffle.

Par Sylvain Stauffer

Les bons vieux cercueils mis en bière dans des tombes individuelles laissent de plus en plus nos contemporains de marbre. La tendance est à la crémation. « Environ 85 % des défunts sont incinérés », explique Pierre de Mestral, directeur de Cassar Pompes Funèbres SA à Lausanne. « La plupart des gens entre soixante et huitante ans veulent se faire incinérer car ils pensent que leurs enfants n’iront pas au cimetière », poursuit-il.

Les jardins du souvenir ont la côte

Près de 40 % des cendres rejoignent ainsi les jardins du souvenir, en plein boom. Selon M. de Mestral, ceux-ci doivent leur succès à deux facteurs : « Tout d’abord, une tombe coûte cher. Aujourd’hui, les gens ne dépensent plus pour les enterrements. Et ce n’est pas seulement une question d'argent, mais de mentalité, de désir. D’autre part, il faut entretenir la tombe. »

Quelque 30% des cendres sont ainsi rendues aux familles. Elles les conservent ou les dispersent dans la nature. C’est bien un refus du cimetière traditionnel qui est ici à l’œuvre. En Suisse allemande, de nombreuses communes proposent des forêts du souvenir, où l’on peut enterrer une urne au pied d’un arbre. Des sociétés commerciales ont aussi profité de ces mutations. Certaines proposent, par exemple, la dispersion des cendres dans un lac, ou, plus insolite, dans les montagnes depuis un hélicoptère.

Même les catholiques, qui ne tolèrent pourtant l’incinération que depuis 1967, semblent aujourd’hui l’adopter. Selon Pierre de Mestral, « dans les communes catholiques il y a de plus en plus de crémations. A Villars-le-Terroir (VD), les six derniers défunts ont été incinérés. On n’avait jamais vu ça ! »

La désertion des cimetières profite aux vivants. Les immenses espaces conservés pour les futurs résidents semblent aujourd’hui superflus. La municipalité d’Yverdon-les-Bains a, par exemple, décidé de transformer une partie du cimetière en friche afin de la rattacher au parc public du Castrum.

Espaces verts pour les vivants

Pour SANU, entreprise de formation pour le développement durable, la question de l’utilisation des cimetières par le commun des mortels est donc à l’ordre du jour. Selon Alfred Wittwer, chef de projet à SANU, « la densification de la population dans les villes crée une pression sur les surfaces vertes. » Les cimetières sont, dès lors, perçus « comme des parcs, des havres de paix. Les gens s’y promènent, y font leur jogging et y pique-niquent. »

Et les Suisses alémaniques semblent moins complexés que les Romands. Des villes comme Zurich ou Bâle y ont organisé des pièces de théâtre, des expositions ou des concerts. De ce côté-ci de la Sarine, si de pareilles pratiques semblent encore excentriques, les mœurs évoluent aussi: outre les traditionnelles visites montrant des tombes de personnages célèbres, le cimetière du Bois-de-Vaux, à Lausanne, devient un lieu de rendez-vous pour les écologistes, au point qu’un séminaire sur la gestion verte y sera bientôt organisé par SANU, en collaboration avec la municipalité de la capitale vaudoise.

De la vie au cœur des cimetières En zone urbaine, les cimetières représentent, en effet, l’un des derniers grands espaces verts. « Au Bois-de-Vaux, il y a la plus importante diversité de papillons de la ville de Lausanne avec les ruines romaines, explique Pierre-André Monachon, chef de section au service des parcs et promenades de la ville.

On y trouve environ seize espèces différentes de papillons, indicateurs de la biodiversité dans les prairies. Ce lieu est aussi une station ornithologique pour les oiseaux nicheurs. Il y a également une douzaine d’espèces d’orchidées. » La municipalité travaille dans ce sens depuis plusieurs années.

Philippe Curdi, architecte-paysagiste de la ville, nous parle des techniques qu’il utilise : « Aujourd’hui, à Lausanne, les zones désaffectées dans les cimetières sont semées en prairies. En entretenant ces lieux de manière moins intensive que si c’était du gazon, par exemple, on permet à la biodiversité de s’y installer.

D’autre part, nous avons mis en place un réseau écologique connecté. L’objectif est de relier les îlots intéressants pour la biodiversité grâce à des arbres, des toitures végétalisées, des prairies ou des ruisseaux. » L’aide de scientifiques pour le monitoring ainsi que la communication au public font aussi partie du programme.

Qu'en pensent les réformés?

Si le coût élevé que représente l’entretien des cimetières peut plaider en faveur d’une diversification de leurs usages, la question reste problématique : les cimetières ne doivent-ils pas demeurer ces lieux de recueillement, sacrés ?

Selon Xavier Paillard, pasteur et vice-président du conseil synodal de l’Église réformée du canton de Vaud, « le cimetière n’est pas un lieu sacré, mais il doit rester un lieu particulier et chargé de respect. »

Et de souligner: « l’espace public est divisé en différentes zones et il ne faut pas en confondre ses utilisations diverses. Il y a toujours des gens qui vont se promener dans les cimetières parce que ce sont des lieux de paix et de recueillement. D’autres les visitent pour des questions d’intérêt historique ou culturel, mais il ne faut pas les confondre avec un jardin public. »

Demain

A quoi pourrait bien ressembler le cimetière du XXIIe siècle ? Peut-être à ceci : un coin traditionnel avec un alignement de pierres tombales, une scène de concerts située entre le jardin du souvenir et le columbarium, des écologistes venus observer la biodiversité et un espace pique-nique pour les familles. Sans oublier le carré musulman avec les tombes orientées vers La Mecque.

Les cimetières changent de visage. Mais dans nos sociétés qui tendent à cacher la mort, ces lieux n’ont-ils pas pour vertu de nous rappeler notre finitude?


Infos

  • Séminaire : Cimetières de demain : morts ou vivants ?
  • Organisation : SANU, formation pour le développement durable, en collaboration avec la municipalité de Lausanne
  • Lieu et date : Cimetière du Bois-de-Vaux, Lausanne, mercredi 19 mai 2010, 13h – 17h