Judaïsme et christianisme: une gestion différente d'un même héritage

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Judaïsme et christianisme: une gestion différente d'un même héritage

20 avril 2010
Un des artisans francophones les plus réputés du dialogue judéo-chrétien, le philosophe français Armand Abécassis, s'est exprimé mercredi soir à Lausanne. ProtestInfo a interpellé l’animateur d’ « A Bible ouverte », l’émission de France 2.


Le dialogue interreligieux est un concept aujourd’hui très à la mode, qu’en pensez-vous ?


Armand Abécassis : Je ne crois pas qu’il soit à la mode. Il est devenu nécessaire et incontournable. Il est préparé depuis 1945 quand Jules Isaac, qui a fondé l’amitié judéo-chrétienne, est allé voir le pape. Cela a transformé un certain nombre de choses.

C’est par exemple à partir de cette visite qu’il a décidé de changer, dans la prière, l’expression « juifs perfides ». Depuis lors beaucoup de changements se sont produits, surtout depuis Vatican II et cela continue avec le pape actuel. Il y des progrès énormes, de plus en plus de chrétiens sont disposés à lutter contre ce qui, dans leur théologie, contiendrait des affirmations anti-juives. De plus, depuis 1945 il y a eu partout dans le monde la création d’amitiés judéo-chrétiennes, et on continue à travailler dans ce sens-là. Les progrès sont énormes, il y a des colloques qui se font, des réunions d’études, des congrès. Il y a aussi beaucoup de livres qui paraissent, du côté chrétien comme du côté juif, où l’on travaille à la réconciliation et aux rapports de respect et d’estime réciproque.

Et le dialogue entre juifs, chrétiens et musulmans ?

A. A.
: En principe ces trois religions peuvent s’entendre, c’est le même Dieu. Les trois monothéismes disent que la parole est divine car elle proclame l’amour, la paix, la justice. Ils sont d’accord là-dessus. Donc les divisions ne viennent pas du monothéisme lui-même, ou de la pensée religieuse monothéiste, elles viennent simplement des institutions et des hommes. Que les chrétiens aient maltraités les juifs pendant plusieurs siècles ne vient pas du christianisme, cela vient de l’église, des institutions et de raisons politiques et stratégiques, donc des hommes. De même l’islam n’est pas en soi fanatique, il y a des fanatiques et des extrémistes musulmans mais la spiritualité de l’islam est absolument pure et respectable, elle est aussi valable que la spiritualité chrétienne ou juive puisqu’elle affirme l’unité de Dieu et qu’elle ne considère comme divine que la parole qui court à la paix, à la justice et à l’amour. On trouve cela dans la Thora, comme dans les Evangiles et le Coran.

Puisque Jésus était juif, peut-on dire que les chrétiens sont des juifs qui s’ignorent ?

A. A. : Non, le christianisme n’est pas le judaïsme. Jésus était juif, pas chrétien, il n’a jamais mis le pied dans une église, il n’a jamais lu les évangiles, les apôtres étaient tous juifs sauf Luc. Donc ce qui s’est passé avec Jésus et ses disciples était une crise intérieure au judaïsme. C’est plus tard que le christianisme a été créé. Le mot christianisme est apparu en Asie Mineure, bien après la mort du Christ. Jésus n’a pas voulu créer une nouvelle religion, il a voulu apporter un bouleversement, parfois légitime, à l’intérieur de la communauté juive.
C’est après le concile de Jérusalem, en 50, que les choses se sont dessinées avec Paul qui a dès lors voulu convertir les païens, ce que les juifs refusaient. Il faut ici reconnaître que depuis 2000 ans, grâce au christianisme, des milliards d’humains ont reçu un minimum de morale et de spiritualité. Et de même pour l’islam, grâce à Mahomet, depuis 14 siècles. Les trois monothéismes ont apporté beaucoup de bien au monde.


Bien sûr, on peut reprocher à ces monothéismes de pousser les choses à l’extrême et d’interpréter leurs textes saints pour arranger au mieux leurs institutions au lieu de le faire à la gloire de Dieu. Mais les hommes sont comme ça, c’est valable pour n’importe quoi. Sur le plan politique c’est la même chose...
Que Staline ait pris le pouvoir de manière arbitraire et totalitaire, cela vient-il du marxisme ou de lui-même ? Alors que le marxisme parle de justice et d’égalité, le totalitarisme était énorme avec Staline et tout ceux qui l’ont suivi. Le fanatisme n’est pas seulement religieux, il y a des fanatismes dans toutes les idéologies, ce qui prouve que le cela relève de l’appareil psychique de l’homme, pas du tout des textes. C’est pourquoi il faut apprendre à lire, à interpréter les textes et à surtout ne retenir que les interprétations qui sont pour le bien de l’humanité. On confond la théorie, la morale et la spiritualité avec le caractère de l’homme, or ces théories ne sont dans le monde que par la volonté humaine et c’est de là que vient le risque de toutes les dérives que nous connaissons.

Rien ne descend sur terre sans la volonté humaine. Et c’est là la grandeur de la volonté humaine, car l’Esprit a besoin d’elle pour descendre sur terre, et c’est là sa misère, car il est livré aux faiblesses de la volonté humaine.

La notion d’amour est fondamentale dans le christianisme, qu’en est-il pour le judaïsme ?


A. A.
: Le christianisme dit que « Dieu est amour », mais seulement à condition que l’on comprenne que cet amour ne pourra s’instaurer que quand la justice sera établie. Cela, c’est le judaïsme. Je ne peux aimer que celle ou celui que je considère comme égal et ayant les mêmes droits et les mêmes devoirs que moi. Sans vraie justice, je ne peux pas aimer. L’amour c’est d’abord la justice. Il faut d’abord que je sois éduqué à cette justice, à cette égalité, à cette fraternité pour que je puisse me hisser au niveau de l’amour. Donc on ne croit pas que par l’amour on va changer le monde. Il faut d’abord demander aux politiques d’instaurer la justice. Et il faut que les religieux courent après la même justice mais par amour, pas parce que l’histoire, la politique ou la société le demande. C’est parce que je veux aimer l’autre que je combats pour qu’il soit au même niveau que moi, qu’il soit égal à moi. Avant d’aimer l’autre réellement je désire l’aimer, car je le considère comme mon égal, et c’est pourquoi je vais d’abord lutter sur le plan politique, économique et social pour qu’il acquiert les mêmes droits et devoirs que moi.

Comment concilier l’idée d’un peuple élu avec celle d’un amour infini de Dieu pour tous les hommes ?


A. A.
: L’idée de peuple élu ne veut pas dire qu’il a des droits supplémentaires. Le peuple élu est celui qui a des devoirs supplémentaires, des devoirs que les autres ne veulent pas prendre. Par exemple, si vous décidez de vous marier c’est parce que vous voulez prendre cette responsabilité supplémentaire de construire un foyer avec l’être que vous aimez. Et une fois que vous êtes époux, vous allez prendre une responsabilité supplémentaire d’avoir des enfants. Et l’élection veut justement dire prendre une responsabilité supplémentaire. Et on demande à tous les hommes de prendre cette responsabilité. On ne doit pas simplement se contenter de prendre des responsabilités à l’égard du mal que l’on fait, quand on est responsable de ses mauvaises actions. L’élection c’est la responsabilité qui n’a rien à voir avec la faute. Je vois qu’il y a des tsunamis dans le monde, des tremblements de terre, des gens qui meurent de faim, cela n’est pas de ma faute, mais je prends la responsabilité supplémentaire de m’en occuper. C’est cela que l’on appelle l’élection. Donc il n’y aura de salut possible que quand tous les hommes seront élus.

S’il est important de transmettre cet esprit, pourquoi le peuple juif n’est-il pas prosélyte ?

A. A. : Nous ne voulons pas que tout le monde devienne juif. Nous voulons que chaque culture reste ce qu’elle est et nous pensons que la parole divine peut traverser toutes les cultures. Si on pense que tout le monde doit devenir juif ou chrétien, cela veut dire que l’on pense que la parole divine ne passe que par le judaïsme ou le christianisme, c’est du fanatisme extrémiste. Les zoulous, les africains, les japonais doivent garder leur culture et montrer qu’elle peut aussi être structurée selon la parole divine. Le judaïsme n’est pas prosélyte car il ne veut pas que les autres cultures disparaissent. La parole divine peut arriver partout, c’est pourquoi nous ne nous assimilons pas, car nous voulons démontrer que chaque culture peut porter la morale, l’esprit et la parole divine. On demande simplement que chaque culture s’ouvre à la morale et à la spiritualité, et cela c’est la grande victoire.

Sylvain Stauffer

Bio express

Ecrivain français de religion juive, Armand Abécassis est né en 1933 au Maroc. Il enseigne la philosophie générale et comparée à l’Université de Bordeaux. Chantre du dialogue judéo-chrétien, il anime les émissions de télévision « A bible ouverte » le dimanche matin sur France 2.

Il est à Lausanne sur invitation de l'Université de Lausanne, de la communauté israélite ainsi que des Eglises réformée et catholique vaudoises.
Derniers ouvrages parus

  • Judaïsme. De l’hébraïsme aux messianités juives, Albin Michel, 2006
  • Le Livre des Passeurs (avec Eliette Abécassis), Robert Laffont, 2007
  • Rue des Synagogues, Robert Laffont, 2008

Conférence

  • Salle des fêtes du Casino de Montbenon, Lausanne: entrée libre
  • Date : Mercredi 21 avril 2010, 20 heures