William Wilberforce : un combat contre l’esclavage
Par Gabrielle Desarzens
« J’étais très ambitieux », a lui-même déclaré William Wilberforce (1759-1833) en commentant son entrée à la Chambre des communes à l’âge de 21 ans, puis sa victoire aux élections du comté du Yorkshire qui l’a propulsé au Parlement britannique. Mais alors que tout lui sourit, il est interpellé par l’inadéquation qu’il perçoit entre ses ambitions professionnelles et la foi chrétienne. En pleine remise en question, il rend visite à John Newton, ancien capitaine de bateaux d’esclaves qui a écrit le célèbre chant « Amazing Grace ». Et cet homme, imprégné du renouveau évangélique qui soufflait alors en Angleterre, l’a encouragé à rester actif au Parlement pour y servir Dieu. Ce que fit William Wilberforce au-delà de toutes attentes.
« Toute sa doctrine, tous ses préceptes, il les puise dans la parole de Dieu* », a par la suite écrit l’un de ses contemporains pour résumer l’engagement de William Wilberforce. Un engagement qui s’est inscrit dans une Grande-Bretagne plongée en pleine révolution industrielle. Car avant de se propager dans toute l’Europe, c’est sur cette île que des transformations socio-économiques considérables vont avoir lieu dès 1760 : la population se concentre dans les villes et s’accroît ; la mécanisation et l’augmentation de la production palpitent au cœur d’une société marquée par l’esprit d’initiative et le goût de la nouveauté.
L’Angleterre est au tout premier rang de l’économie mondiale dès le début du XIXe siècle. Mais elle n’en est pas pour autant un paradis social. Et la révolution économique s’y déroule au milieu de nombreuses souffrances. Dans ce pays en pleine mutation, William Wilberforce est un homme qui se lève et qui décide de se battre au nom de ce qui est devenu pour lui non seulement vrai, mais aussi essentiel : la dignité de la personne humaine et sa condition d’être unique et libre devant Dieu.
Ces années de prospérité sont difficiles non seulement pour la classe ouvrière... mais aussi pour les esclaves ! Le développement constant des colonies et des activités commerciales rapporte en effet du Sud non seulement des matières premières indispensables et de nouveaux marchés, mais il s’effectue sur le dos d’une main-d’œuvre à laquelle on n’octroie aucun droit : les Noirs, transportés dans des cales de navires depuis l’Afrique jusque dans les colonies des Indes britanniques.
Sur la base de sa foi chrétienne, William Wilberforce remet en question l’ensemble du système commercial mondial et le combat politiquement. Pendant des années, il mène une bataille harassante et épuisante au Parlement. Bataille qu’il remporte enfin après plus de 40 ans de lutte : les 500'000 êtres humains alors employés comme esclaves principalement dans les plantations de sucre des colonies anglaises sont libérés sous son impulsion.
Comme d’autres réformateurs sociaux britanniques, William Wilberforce a été fortement influencé par l’œuvre du prédicateur John Wesley, pour qui « l’amour pour Dieu et pour tous les hommes est le cœur de la religion. Cet amour... est le médicament de la vie, l’outil infaillible contre tout mal dans un monde brisé. »
Dans cette Grande-Bretagne en pleine effervescence, un renouveau religieux appelé « méthodisme » émerge, comme pour pallier aux manques de l’Eglise officielle anglicane. A l’origine, il représente un authentique effort de réflexion religieuse et une révolte. John Wesley proclame notamment que la foi seule peut sauver et qu’elle vient du cœur, non de la raison. Son mouvement freine la déchristianisation qui est en cours dans les classes défavorisées, répand un idéal de solidarité humaine et aussi la conviction que l’harmonie des classes permet le progrès sans recours à la révolution.
Converti à ce christianisme évangélique en 1785, William Wilberforce n’a de cesse de militer pour le retour aux valeurs de service et d’amour envers les plus démunis, comme les prisonniers et les enfants qui travaillent dans les mines et les industries. Il est convaincu que la lumière des chrétiens doit luire devant les hommes : « En sorte qu’ils voient vos bonnes œuvres et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux » (Mt 5 :16). Avec obstination, il oriente ensuite son combat en faveur de l’abolition de la traite des Noirs et de l’esclavage : année après année, il présente une motion en ce sens devant la Chambre des communes. Il y affronte l’hostilité de ses collègues torys (libéraux), dont la majorité est en faveur du maintien de la traite et de l’esclavage dans les colonies, considérés comme une des bases de la prospérité britannique.
Rien ne décourage William Wilberforce. Les obstacles ne font qu’enflammer son zèle. Il comprend que c’est sur l’opinion publique qu’il doit s’appuyer, afin de peser sur les votes du Parlement. Il ne cesse alors pendant vingt ans d’agiter le pays, parle dans les meetings, provoque l’intervention de la presse et stimule les écrivains. Il publie lui-même divers ouvrages, dont une Lettre aux électeurs et aux habitants du Yorkshire au sujet de la traite. A chaque session parlementaire, il présente sa motion, sans se rebuter lorsqu’il la voit repoussée par la majorité ou lorsqu’on lui oppose les interminables retards d’une enquête qu’on prolonge à dessein... Il prononce des discours remarquables, écrit et fait écrire sans relâche. Sa correspondance est incessante, ses démarches personnelles ne s’interrompent jamais ; il s’adresse sans distinction aux ministres, aux chefs de l’opposition et aux ecclésiastiques.
Le 25 mars 1807, la Chambre finit par accepter l’acte d’abolition de la traite des Noirs par 283 voix contre 16. Dès lors, William Wilberforce tourne ses efforts vers l’abolition graduelle de l’esclavage, jugeant que l’abolition immédiate entraînerait non seulement la ruine des propriétaires, mais aussi celle de leurs esclaves, et qu’il faut d’abord les former pour pouvoir les rendre libres. C’est sous la pression de l’opinion publique travaillée sans relâche par lui-même comme par ses amis que l’Angleterre impose à la France, au traité de Paris du 30 mai 1814, l’abolition de la traite des Noirs, assortie toutefois d’un délai de cinq ans.
Sous son impulsion, une société pour l’abolition de l’esclavage est créée en 1823 en Angleterre. Et c’est le 14 mai 1833 que le parlement britannique adopte une loi d’émancipation générale des Noirs. Trois jours après cette grande victoire, William Wilberforce, qui se sera battu 46 ans pour mettre un terme à l’esclavage, meurt. Comme s’il avait attendu enfin cette mesure légale pour tirer sa révérence... Ses funérailles ont lieu en grande pompe à l’Abbaye de Westminster. Et les regrets sont unanimes : sa vie désintéressée, son dévouement absolu à la cause des opprimés, sa persévérance lui ont attiré le respect de tous. Il ne s’est pas contenté de lutter contre l’esclavage. Il est resté sensible aux misères qui l’entourent : le quart, parfois le tiers de son revenu est, sans nulle ostentation, consacré à des œuvres de bienfaisance.
La dernière lettre que John Wesley, le fondateur du méthodisme, a écrite avant sa mort lui était destinée. Datée du 24 février 1791, il avertissait William Wilberforce de la difficulté de la bataille, mais lui prodiguait aussi des encouragements : « A moins que Dieu ne vous ait suscité pour cette besogne, vous serez usé par l'opposition tant des hommes que des diables. Mais si Dieu est pour vous, qui peut encore être contre vous ? Est-ce que tous sont ensemble plus forts que Dieu ? Oh, ne vous lassez pas de bien faire ! Continuez, au nom de Dieu et avec la puissance de sa force, jusqu'à la disparition de l'esclavage même américain (le plus vil jamais apparu sous le soleil). »
Ce texte a été publié dans le quotidien Le Courrier le 23 février
Lutter contre les pertes de mémoireA l’Espace culturel des Terreaux à Lausanne, un spectacle intitulé « Gospel Story »* retrace l’histoire du chant des esclaves afro-américains. « Des chants qui expriment le quotidien, l’espérance, le combat de ces personnes », résume le pasteur Serge Molla, l’une des chevilles ouvrières avec Jean Chollet de la présentation. Quelque 40 chanteurs du chœur Vocaphone et du chœur Fa7 sont réunis à cette occasion, « pour lutter contre les pertes de mémoires culturelles. Et afin qu’on comprenne enfin ce qui est dit et exprimé au cœur d’hymnes comme ‘Deep river’ ou ‘Jericho’. »
Un récitant et 4 musiciens interviennent également au fil des 25 chants qui montrent le courage de ceux qui croyaient en un Dieu « capable d’ouvrir un chemin là où il n’y en a pas. »
G.D.
*Les 11 (19h), 12 (20h), 13 (19h) et 14 (17h) mars. La présentation du jeudi se poursuit par un débat.
Sources
- Le film Amazing Grace*, sorti le 23 février 2006 dans les salles de cinéma américaines, relate la chronique des efforts de William Wilberforce pour mettre fin à l’esclavage des Noirs. Le titre du film se réfère au célèbre chant de John Newton.
* En anglais, sous-titré français.
- « Amazing Grace, William Wilberforce and the heroic campaign to end slavery », d’Eric Metaxas, éd. HarperOne, New York: 2007
- «Amaing Grace in the life of William Wilberforce », de John Piper, éd. Inter-varsity press, Nottingham: 2007
- L'Annuaire 1789-1815
- Encyclopédie Universalis
- Encyclopédie libre Wikipédia
- * Du traducteur M. Frossard, in « Le christianisme des gens du monde, mis en opposition avec le véritable christianisme », de William Wilberforce, tomes I et II traduits en français en 1821, Montauban (F) : imprimerie de Philippe Crosilhes. Ouvrage disponible sous googlelivres.ch