« Golgotha » de Frank Martin joué à Lausanne
Musique, peinture, cours public, chapiteau dans la cité, les réformés sortent le grand jeu. Le coup d'envoi sera donné lundi avec une marche aux flambeaux dans la ville. Pendant une semaine, des personnalités comme Rosette Poletti vont se succéder sous le chapiteau de la Place de l’Europe tandis que des animations, des conférences, des expositions et des concerts s'égrèneront jusqu'à Pâques.
Le fil rouge de cet événement, qui va rassembler près de 250 choristes et jusqu'à 500 personnes pendant plus d'un mois, est la passion du Christ, appréhendée par la musique, la peinture, intellectuellement et existentiellement. L'étincelle du projet est née des chefs de choeur, qui joueront l'oratorio « Golgotha » du Genevois Frank Martin et la « Passion selon saint Mathieu » de Jean-Sébastien Bach fin mars à la cathédrale de Lausanne.
Chez Frank Martin (1890-1974), c'est une exposition de Rembrandt à Genève à la fin de la deuxième guerre mondiale - où il a vu « les trois croix » -, qui l'a incité à composer 'Golgotha', a expliqué à ProtestInfo le pasteur genevois Ion Karakash. Il aura fallu attendre deux siècles après Bach pour qu'un auteur d'origine protestante s'empare à nouveau du thème de la passion (souffrance) du Christ, a poursuivi M. Karakash.
D'autres compositeurs se sont intéressés à cet épisode de la vie du Christ, mais Frank Martin est le premier à avoir composé avec "Golgotha" l'équivalent d'une passion de Bach qu'il admirait infiniment, estime le Genevois, qui vient donner une conférence sur le compositeur.
Une oeuvre écrite juste après la guerre
«Ces œuvres sont étroitement liées, explique Nicolas Reymond, chef de chœur et président du projet. Frank Martin a composé une passion très actuelle, fortement influencée de Bach.»
Frank Martin a été touché par le thème de la passion alors qu'il était profondément marqué par la réalité de la guerre, a poursuivi le pasteur. Frank Martin avait des liens étroits avec la Hollande, parce que son épouse en était originaire. Il était de ce fait particulièrement concerné par l'occupation de ce pays par les forces du Reich. Le jour de l'armistice, c'est la musique de Frank Martin, qui a été jouée sur les ondes de Radio Genève, «In Tera Pax». Il s'est mis à la composition de « Golgotha » dès la fin de la guerre, en été 45, et quitte Genève pour s'installer aux Pays-Bas.
La musique de Frank Martin a été mise au service du texte. Bach écrivait pour une communauté et ce qu'il composait était l'expression d'une foi commune. Frank Martin a écrit au 20e siècle, sans commande, sans être sûr qu'il serait joué, dans un environnement déchristianisé. Il essaie de toucher la dimension spirituelle des auditeurs, mais il n'écrit pas une musique d'Eglise.
Tous les choristes qui chanteront l'oratorio de Frank Martin ou la Passion de Bach ne sont pas des croyants, a précisé Gabriel Dutoit, choriste et membre de l'organisation « Passion regard ». Certains d'entre eux craignent d'être « récupérés » par les Eglises, alors que le projet est d'abord né artistiquement. « Je peux le comprendre. C'est vrai que chanter ces deux oeuvres font vibrer différemment si l'on est croyant ou non », a poursuivi M. Karakash.
Chez les réformés, en particulier les calvinistes, l'art musical a été davantage développé que l'art visuel. « La musique est l'art qui a été le plus cultivé par les protestants », selon le Genevois.
Entorse à la tradition, une exposition de peintures a été organisée par le groupe « Spiritualité dans la Cité » de l'Eglise réformée vaudoise (EERV). Par analogie avec la démarche qui a inspiré Frank Martin, une exposition au Forum de l'Hôtel de la Ville, puis à la Cathédrale, montre comment les peintres ont interprété la crucifixion au fil du temps.
Parler de la réalité des gens
Sous le chapiteau de la Place de l’Europe dès lundi, les passants sont invités toute la journée à participer à des animations, des ateliers, du cinéma et des témoignages de personnalités confrontées à la souffrance. Parmi elles, l’écrivain Jacqueline Kelen, le chanteur Dominique Scheder, l’auteur albanais Driton Kajtazi, la réalisatrice Denise Gilliand ou la conférencière Rosette Poletti. «Nous voulions parler de la passion en partant de la réalité des gens», a expliqué Guy Dottrens, de « Spiritualité dans la Cité ».
Enfin, onze conférences réunissent des spécialistes, à l’Université, à l’Espace culturel des Terreaux et dans le cadre de Connaissance 3. Les uns présentent le point de la recherche sur la croix dans l’art, dans le Nouveau Testament, en psychologie, dans le cinéma, dans la BD et même dans l’islam. (tb)
Tout le programme sous www.passionregard.ch