Genève préfère Rousseau à Calvin
Par Gabrielle Rivier et Tania Buri
Avec Calvin, la réaction du milieu politique genevois à gauche comme à droite a d'abord été « laïcarde », a expliqué à ProtestInfo Michèle Künzler, la nouvelle élue verte au Conseil d'Etat genevois. Les députés et autres élus n'ont pas voulu voir dans un premier temps ni la dimension culturelle et internationale de l'événement, ni l'impact réel de Calvin sur le développement de Genève, a-t-elle expliqué.
Or Rousseau, qui a actuellement les faveurs des politiques, n'a pas non plus toujours été aimé de Genève. Son livre « Le contrat social » y a été brulé. Un peu plus tard, au début des années 1900, une statue du philosophe n'y était pas la bienvenue. Au final, celle-ci a été placée sur l'île touchant le pont des Bergues. « Elle est tournée du côté du lac et Rousseau regarde au loin et non la ville, ce qui est révélateur », a souligné Mme Künzler.
Qu'est-ce qui a changé? La Genève actuelle préfère se reconnaître dans un philosophe, qui incarne le siècle des Lumières, a suggéré la nouvelle élue écologiste. Mais au bout du compte, avec les cérémonies Calvin, « une grande ignorance historique aura été levée, un peu ». Et les retombées en terme d'image et de rayonnement international auront été positives pour la ville reconnaît Pierre Maudet, conseiller administratif de la ville de Genève.
Pour le jeune radical, le nombre et la diversité des manifestations liées à l'anniversaire de Calvin ont donné l'image d'une ville qui assume son passé "avec fierté mais aussi avec recul et détachement". Enfin, la mise en perspective du personnage et de son oeuvre ont permis, selon M. Maudet, de valoriser considérablement la portée de la vision de Calvin et de son apport intellectuel pour les siècles qui ont suivi sa vie.
Culpabilité face à RousseauM. Maudet avance en revanche une autre explication pour le retour en grâce de Rousseau à Genève. Selon lui, Genève a développé un sentiment de culpabilité avec le philosophe, après l'avoir chassé et brûlé ses livres. Au contraire, Genève a rappelé Calvin après l'avoir provisoirement chassé; elle l'a admis comme un de ses grands hommes de son vivant, tout en développant une relation de distance avec celui qu'on a longtemps présenté comme un dictateur austère.
C'est, selon M. Maudet, la raison pour laquelle Genève fêtera plus facilement Rousseau que Calvin, ne serait-ce que pour "expier" son erreur d'avoir chassé un des plus brillants esprit des Lumières. "Je pense que l'antagonisme s'arrête là et ne s'explique aucunement par la laïcité", a-t-il plaidé.
Travail de longue haleineSur le terrain, Roland Benz, président de l’Association Jubilé Calvin09-Genève, revient sur son parcours difficile. « Nous avons dû mener un dur combat, ponctué de dossiers et de plaidoyers, pour finir par obtenir quelque chose, financièrement et matériellement, de la part de la Ville et du Canton de Genève», a-t-il expliqué.
En 2007, plusieurs instances privées prennent contact avec la Ville de Genève. Elles annoncent qu’elles ont le projet de réaliser différents événements à teneur culturelle et qu’elles comptent sur son soutien. Patrice Mugny (Verts), alors maire de la Ville, s’en réjouit mais informe que la Ville ne sera pas en mesure d’aider financièrement ces projets.
Certes, l’Université de Genève avait prévu de nombreuses manifestations. Cependant, Didier Raboud, responsable du service de presse de l’Unige, rappelle qu’il s’agissait essentiellement de festivités autour du 450ème anniversaire de l’Académie. Ces dernières se sont chiffrées à plus de 6 millions de francs.
Convaincue de l’importance de l’événement pour la cité de Genève, l’Eglise protestante décide de mettre sur pied l’Association Jubilé Calvin09 – Genève. Cette association, indépendante de l’Eglise, prétend défendre le droit de Calvin à un anniversaire digne de ce nom.
Calvin09 revendique l’importance de « cet esprit de premier plan du XVIème » pour Genève. « Genève, la cité de Calvin ! Cette expression, utilisée si souvent par les médias, dit bien le lien profond qui unit dans la mémoire collective notre ville à Jean Calvin », lit-on sur la page d’accueil du site de l’association.
En vue de la réalisation de divers projets à forte teneur culturelle, Calvin09 se lance dans la recherche de fonds. Leur obtention auprès de différents sponsors a représenté un « énorme défi », selon Roland Benz. « A force de démarches, le Conseil municipal a finalement voté le 12 mai 2009 une subvention de 200 000 francs, ainsi que des prestations en nature », a-t-il relevé.
Quant à l’EPG, elle est un partenaire financier parmi d’autres de Calvin09. Son directeur, Jean Biondina, estime que « Calvin appartient à beaucoup plus qu’à l’Eglise protestante de Genève. L’Eglise s’est limitée à un rôle de sponsoring. Elle a voté une ligne de 150 000 francs à l’été 2007 et une provision de 200 000 francs en juin 2008 ».
Au total, les divers spectacles, expositions et concerts organisés par Calvin09 auront coûté trois millions de francs à l’association, dont 1, 8 million de francs de sponsoring auxquels l’Etat et les communes genevoises ont contribué à hauteur de près de 400 000 francs.
2012 Rousseau pour tous a un tout autre statut, estime Dominique Berlie, codirecteur du projet. « 2012 Rousseau pour tous a vu le jour à l’initiative de la Ville pour célébrer le tricentenaire de Rousseau. La Ville met en route un mouvement qui se veut initiateur et fédéraliste ».
M. Berlie rappelle qu’un jury a sélectionné 31 projets suite à un appel lancé en 2007. Les lauréats feront partie de la programmation officielle, en 2012. Quatre grandes thématiques ont été retenues pour célébrer Jean-Jacques Rousseau et son œuvre : science, musique, exposition, événement et multimédia.
Le Département de la culture de la Ville de Genève a reçu 120 dossiers de grande qualité. « Ces projets phares sont des projets institutionnels qui ont amené à faire demande au Conseil Municipal d’un budget de 4 millions, qui sera validé par tranches. Ces 4 millions représentent un gros quart de ce que coûtera la réalisation de l’ensemble des projets : en effet, chaque porteur de projet devra établir des conventions de partenariat et trouver le restant de la somme ».
En vue de 2012 Rousseau pour tous, jeudi 19 novembre 2009, le Conseil municipal de la Ville a voté une première tranche de 250 000 francs sur le budget global. Sur la page d’accueil du site internet dédié par la Ville de Genève aux événements Rousseau, on lit ce mot d’ordre : « Proposé par le Département de la culture de la Ville de Genève, 2012 Rousseau pour tous a pour but de célébrer le tricentenaire de la naissance du philosophe et écrivain, et de rappeler toute l’importance de l’héritage genevois dans la vie et l’œuvre de Rousseau ».