La Passion de Bach mise en scène à la cathédrale de Lausanne
27 mars 2007
La Passion selon saint Jean de Bach est mise en scène pour la première fois dans la cathédrale de Lausanne
A quelques jours de la première, plus de 140 personnes travaillent à la théâtralisation d’une des œuvres les plus magistrales de Bach, qui retrace les dernières heures de la vie du Christ. Une approche audacieuse de la Passion, pour la rendre populaire. Entretien avec le metteur en scène Gérard Demierre.La Passion selon saint Jean est ultra connue. Qu’est-ce qu’une mise en scène apporte de plus ?La spiritualité gagne à être mise en scène. C’est encore plus vrai dans une société qui met l’accent sur le visuel. Quand la musique devient spectacle, elle offre une occasion aux gens de partager une expérience. En même temps, la qualité d’écoute compte. Contrairement au cinéma, une église est l’un des derniers lieux où cette attention empreinte de respect est possible. Avec cette mise en scène dans la cathédrale, je compte réunir un public plus large que d’ordinaire et lui proposer une écoute qui permet d’entrer en profondeur dans l’action. Depuis le début des préparatifs, les musiciens et les acteurs partagent une aventure forte. Le public va s’y associer. J’aime cette notion de partage qui se fait rare dans notre société. Quand vous voyez des musiciens et des acteurs sur scène qui croient au spectacle, vous avez envie de faire pareil, de croire à votre tour. Vous n’observez plus la Passion de l’extérieur. Vous avez le sentiment d’avoir partagé un événement proche de vous. Vous l’avez vécue sur le terrain.Cette œuvre est protestante, vous êtes catholique. Votre origine influence-t-elle votre mise en scène ?J’y ai ajouté la présence de deux femmes : Marie et Marie de Madeleine. Elles sont absentes de l’œuvre de Bach, mais seront présentes tout au long du spectacle, en tant qu’observatrices, exprimant leurs émotions, leur souffrance par le jeu des actrices. Je leur ai donné la parole en leur attribuant les airs de soprano et d’alto. Cette présence permanente est essentielle à mes yeux. Elles sont les témoins du parcours de Jésus qu’on mène à la croix. Elles incarnent la mère et la femme de nos jours. Pour le reste, j’ai respecté le texte et la musique à la note près. Mais le public va totalement redécouvrir l’œuvre. Certains solistes l’ont déjà interprétée des dizaines de fois. Mais là, je les bouscule. Ils ont dû modifier tous leurs repères, car je leur demande d’exister durant toute la Passion, aussi entre les airs qu’ils chantent. Cela demande une ferveur et un investissement incroyables. Ils doivent trouver en eux-mêmes une vérité au personnage durant toute la montée au calvaire.Les puristes diront que l’œuvre, très intérieure, de Bach n’est pas faite pour une mise en scène. Que leur dites-vous ?Je réponds avec Bach. Il a dit lui-même que son œuvre n’est pas définitive. A chaque représentation, il l’a adaptée en fonction du lieu, des chanteurs et de l’orchestre. Je suis certain qu’à la cathédrale de Lausanne, Bach aurait orchestré une nouvelle proposition. A l’époque, il n’avait pas le droit de faire de l’opéra. Mais à l’intérieur de sa Passion, il y a déjà du théâtre, un peu comme en cachette. Cela dit, je ne prétends pas me mettre à la place de Bach. En rendant la Passion selon saint Jean plus théâtrale, en privilégiant parfois l’émotion à la rigueur de la note, la vérité de l’interprétation à la performance musicale, je propose juste d’aller chercher au fond de soi son sens actuel.C’est votre expérience de garçon de messe qui vous a donné envie de faire du théâtre?C’est vrai. Enfant, j’étais garçon de messe à la cathédrale de Fribourg. A l’époque, elle était comble à chaque fois. Il y avait des costumes, je me levais, m’asseyais, me mettais à genoux. J’avais l’impression d’être un acteur. Quand j’étais directeur du Petit Théâtre de Lausanne, juste derrière ce grand théâtre qu’est la cathédrale, les mômes qui venaient pour la première fois parlaient doucement, comme à l’église. Le théâtre impose un respect, une qualité d’écoute et peut-être un mystère, qui nous permettent d’aller chercher un peu profond en soi. L’Eglise devrait être un lieu populaire. J’aimerais rendre populaire cette belle histoire.Voir aussi notre article 1124 sur la "Petite Passion" créée à Villamont