La fourchette, cette débauchée, la cuillère, cette sainte innocente, et le couteau, ce félon

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La fourchette, cette débauchée, la cuillère, cette sainte innocente, et le couteau, ce félon

20 mars 2007
L’exposition « Couverts découverts. L’art de la table de 1400 à nos jours
Autour de la collection Hollander », à l’Alimentarium (Musée de l’alimentation) de Vevey, invite à découvrir l’origine de nos couverts de table, souvent liée à des symboles religieux. L’inoffensive cuillère, apparue en premier vers 1300, avait une forme provenant du bol équipé d’un manche que plusieurs convives se partageaient. En bois au Moyen-âge, la cuillère en bronze et argent n’apparaît qu’après 1400. Le manche va s’allonger et se parer de diverses figurines décoratives à son extrêmité : vierges à l’enfant, saints ou apôtres. Selon le commissaire de l’exposition Denis Rohrer, qui a fait des études d’histoire et d’histoire de l’art à l’Université de Lausanne, l’origine est peut-être à chercher dans des ustensiles utilisés à l’église pour la messe. Une cuillère de communion de la collection montre ainsi, sur une longueur d'à peine 20 centimètres, toutes les stations du chemin de la Croix avec un grand nombre d’inscriptions minuscules. Pareilles oeuvres d’art ont rarement été mises sur la table et étaient plutôt conservées comme des souvenirs. D’autres cuillères étaient offertes en cadeau de naissance à l’enfant (avec l’effigie du Saint portant le nom de l’enfant) ou comme présents de mariage. Les cuillères offertes par lots de douze représentaient les douze apôtres ; « on en garde une trace dans les couverts que les parents ou marraines offraient à l’enfant chaque année pour les anniversaires ».

Le couteau, apparu vers 1400, sert non seulement à couper, mais aussi, pour les couteaux de service à larges lames, à piquer les morceaux pour les distribuer aux autres convives, car à cette époque, les fourchettes sont à peine connues. Les parents de jeunes enfants, assis côte à côte à table, pardonneront les mauvaises habitudes de leurs rejetons en apprenant que la double fonction du couteau, à la fois arme félonne et ustensile de table, faisait rire aux larmes les Chinois pour lesquels « les Européens mangent avec leurs épées ». Quant aux premières fourchettes, apparues en tant que couverts individuels vers 1500 à la Cour des Médicis, elles avaient une réputation douteuse puisqu’elles étaient considérées comme « un luxe superflu, voire un raffinement affecté » par l’Eglise, les dons de Dieu « devant être touchés avec les doigts ». Utilisées par les dames pour manger de la confiserie sans se salir les doigts, elles furent adoptées par les courtisanes italiennes et françaises, et donc jugées d’autant plus suspectes. Les ornements frivoles en ivoire d’anciennes fourchettes confirment d’ailleurs ces préjugés, explique le commissaire, puisque certains manches sculptés figurent un couple enlacé dévoilant les parties génitales féminines. D’abord à deux piques, la fourchette mettra deux siècles pour atteindre la forme familière que nous lui connaissons. Quant au pliage des serviettes de table qui se pratiquait à l’aube du XXème siècle dans les milieux aisés, il était fait de façon à figurer des animaux variant selon les convives, cygnes ou paons. Cette façon de faire est l'héritière de la symbolique médiévale qui, en servant des plats sous forme de tels animaux, démontrait ainsi aux hôtes leur importance et leur puissance. L’influence profonde de la table et de ses ustensiles dans notre vie quotidienne se marque par la multitude d’expressions qui en sont tirées, telle « manger avec la fourchette du père Adam » pour se moquer de quelqu’un qui se sert de ses doigts à table.Exposition du 23.03.2007 au 06.01.2008, Alimentarium, Musée de l’alimentation, Quai Perdonnet, 1800 Vevey.